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l'Autriche la noble fonction de veiller au maintien de la tranquillité générale, et placé de manière qu'au premier signal l'Angleterre pût venir à son secours. Il falloit, sur un autre point, assurer, pour l'avenir, l'inviolabilité du territoire suisse, avec raison regardé anciennement comme un des boulevards de l'Allemagne et de la maison d'Autriche; mais, avant de fixer les rapports qui devront lier dorénavant cette république aux autres puissances, il étoit nécessaire de mettre fin à des divisions intestines qui, ayant exalté toutes les passions, menaçoient de renouveler en Suisse les horreurs d'une guerre civile.

Dans l'intérieur de l'Allemagne, on avoit à fixer le sort des provinces qui avoient anciennement composé le grand-duché de Francfort, en tant que les anciens souverains n'y étoient pas rentrés ex jure postliminii : il falloit mettre fin à cette administration provisoire sous laquelle se trouvoient placés les départemens ci-devant françois sur la rive gauche du Rhin. Ces provinces devoient enfin connoître les maîtres auxquels elles obéiroient dorénavant. La Bavière ́étoit en droit de réclamer une indemnité pour les cessions qu'elle avoit faites à son voisin : elle avoit stipulé que cette indemnité seroit contitiguë à ses autres possessions, et cette condition ne pouvoit être exécutée sans violer des droits aussi légitimes que ceux qu'elle invoquoit. Les difficultés ne diminuèrent guère lorsqu'on

eut conçu l'idée de placer cette puissance sur la rive gauche du Rhin, pour servir de seconde barrière contre la prépondérance de la France.

L'acte du 12 juillet 1806 avoit été le signal d'une suite d'injustices dont la nation allemande n'avoit jusqu'alors pas vu d'exemple. Faudra-t-il que les restaurateurs de la légitimité sanctionnent ces abus de pouvoir, ou, si l'empire des circonstances ne leur permet pas de rendre hommage aux principes, abandonneront-ils les victimes du despotisme étranger à la disposition arbitraire de ceux qui se sont érigés leurs maîtres?

Après l'Allemagne, l'Italie méritoit surtout de fixer les yeux des souverains. Ce beau pays avoit été ravagé et bouleversé de plus d'une manière. Une faction d'autant plus redoutable qu'elle se cachoit sous l'ombre du mystère, n'avoit pas perdu l'espoir d'y faire triompher ces maximes antisociales qui, prêchées naguère au nom de la liberté et de l'égalité, formoient maintenant la doctrine secrète des initiés, dont on ne laissoit apercevoir aux profanes que cette partie pour laquelle on avoit forgé les mots d'idées libérales. Rien ne dérangeoit davantage les projets de ce parti que l'établissement de la maison d'Autriche dans la Péninsule. Il comptoit se servir comme d'un instrument facile à briser, lorsqu'il seroit devenu inutile, du seul individu d'une famille justement abhorrée, qui occupoit encore un trône usurpé. Son existence

en faveur de laquelle on invoquoit des traités, embarrassoit extraordinairement les pacificateurs de l'Europe, en les mettant continuellement en opposition avec leurs propres principes. Heureusement l'inconséquence et la vanité de Murat le poussèrent à détruire lui-même les entraves qu'une parole, donnée peut-être avec trop de précipitation, avoit mises aux travaux des ministres.

Après avoir rendu la Lombardie à l'Autriche, l'intérêt de la tranquillité générale vouloit que, entre cette maison et la France, le Piémont fût placé comme une puissance intermédiaire, à laquelle on pût confier la clef des Alpes : malheureusement on ne pouvoit lui procurer un agrandissement suffisant sans sacrifier une ancienne république qui se flattoit d'avoir recouvré son indépendance.

Indépendamment des trois lignes de la maison d'Autriche fixées en Italie, la famille des Bourbons aussi avoit des droits à faire valoir sur le patrimoine d'une de ses branches, dont, par une inconséquence qu'il faut sans doute attribuer à un oubli, l'acte du 11 avril 1814 avoit disposé, sans l'aveu de ceux dont le consentement étoit nécessaire pour sanctionner cette libéralité. Il étoit à prévoir que cette affaire deviendroit l'objet d'une vive contestation; si elle fut plus tard arrangée à la satisfaction des deux parties, il faut en rendre grâces au désintéressement de la cour de Vienne.

Les îles ïoniennes, après avoir tour à tour obéi aux Vénitiens et à la France, ou formé une république sous la protection de la Porte et de la Russie, étoient tombées entre les mains des Anglois. Maîtresse de Malte, et par conséquent de la Méditerranée, la Grande-Bretagne conservera-t-elle aussi la clef de l'Adriatique? Si cette question devoit être décidée d'après les vrais principes d'une saine politique, sans égard aux services que cette puissance venoit de rendre à l'Europe, sa solution n'offroit certainement pas de légères difficultés à vaincre.

Le traité du 30 mai 1814, qui avoit réconcilié la France avec l'Europe entière, avoit fait revivre une ancienne contestation entre les cours de Paris et de Rio-Janeiro. Telle fut la confiance des deux cabinets dans la justice du congrès de Vienne, qu'ils remirent leurs intérêts à son arbitrage. Le Portugal réclamoit aussi l'intervention des puissances pour rentrer dans la souveraineté de la ville d'Olivença que, à une époque désastreuse, l'Espagne avoit démembrée de ses possessions, moins pour faire une conquête, que pour prouver qu'elle avoit réellement fait la guerre à la cour de Lisbonne 1.

Comme si ces questions si grandes, si compliquées et si difficiles n'avoient pas suffi pour fixer toute l'attention des ministres, et pour occuper tous les momens des cabinets réunis à

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Vienne, on leur demandoit encore de prononcer sur le sort d'une race d'hommes africains dont les droits et les souffrances étoient au moins bien étrangers au système d'équilibre qu'il s'agissoit d'établir en Europe. On diroit, en lisant la correspondance du cabinet de Saint-James avec les plénipotentiaires qu'il avoit envoyés au congrès, que rien, à cette époque, ne lui inspiroit plus d'intérêt que la cause des Nègres travaillant dans les plantations européennes aux Antilles. Pendant qu'il invoquoit en faveur de cette race infortunée les principes de l'humanité et de la religion, les états barbaresques placés sur la côte septentrionale de l'Afrique, débarrassés des entraves que les chevaliers de Malte mettoient anciennement à leur brigandage, traînoient dans une captivité bien plus dure tous les Européens naviguant sur la Méditerranée, et que ne protégeoit pas le pavillon britannique. Révolté de cette iniquité ou de cette inconséquence, un noble chevalier anglois s'étoit érigé en avocat des blancs gémissant dans les fers à Alger et à Tunis, pendant que son gouvernement brisoit ceux des noirs transplantés en Amérique. Cependant le cabinet britannique savoit qu'en plaidant auprès des monarques une cause si conforme aux préceptes de la morale, il seroit favorablement écouté: nous félicitons l'humanité qu'il ait réussi dans ses efforts; nous rendrions volontiers hommage à la magnanimité et au désintéressement de ce cabinet, s'il

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