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ordres pour rassembler le pospolite ruszenie, et à ce premier appel tous les nobles devaient se rendre à cheval, armés en guerre et avec leur suite, dans les endroits désignés. En effet, en plus d'une occasion cent et deux cent mille cavaliers se trouvèrent réunis ainsi avec le désir de venger l'agression hardie des envahisseurs; mais pendant les délais qu'entraînait cette espèce de levée en masse, l'ennemi avait eu le temps d'occuper une grande étendue de territoire. Formée et en bataille, l'armée polonaise prenait une éclatante revanche, battait ses adversaires et les poursuivait jusqu'à la frontière. N'importe, le mal était fait : dans l'aller et le retour, les agresseurs avaient saccagé une ou deux provinces polonaises, souvent même emmené en esclavage des populations entières. D'ailleurs, dans une organisation de cette nature, les Polonais ne pouvaient pas rester longtemps sous les drapeaux; après la victoire, ils se débandaient et retournaient dans leurs foyers sans en poursuivre les avantages. On ne laissait alors sur le théâtre de la guerre, que le généralissime ou hetmann avec une poignée d'hommes, et ce chef, plus d'une fois impuissant à tenir la campagne, fut obligé de se retirer devant un ennemi qu'il avait vaincu la veille en bataille rangée. Souvent aussi, en de telles circonstances, on vit l'hetmann conti

nuer la guerre avec ses troupes et de ses propres fonds, comme le fit Chodkiewiez dans la guerre contre la Suède, sous le règne de Sigismond III, lorsque la majeure partie du pospolite ruszenie, dégoûtée d'une lutte longue et opiniâtre, quitta les drapeaux malgré les ordres contraires du général.

Ces exemples de guerres soutenues aux frais et presque pour le compte d'un seul seigneur polonais, se renouvelèrent à diverses époques, grâce aux fortunes colossales des grandes familles du royaume. Ainsi, Zamoyski pacifia en 1595 la Valachie et la Moldavie, en soutenant les droits à l'hospodorat de la famille de Mohilo. Ainsi encore Mniszeh et Wisniowiecki parvinrent en 1605 à imposer comme souverain à la ville de Moskou, Démétrius, époux de Marie, fille de Mniszeh.

D'autres fois encore, le pospolite ruszenie n'étant point assez nombreux pour vaincre et anéantir l'ennemi, on le laissa en possession des terres qu'il avait envahies. On alla même plus loin en lui garantissant la possession des contrées conquises, pour servir impolitiquement les intérêts de quelques voisins, comme Sobieski le fit pour l'Autriche en 1683.

Sous l'empire de telles institutions, il n'était donc nullement à craindre que la Pologne pût

jamais méditer des conquêtes et usurper des

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Il serait temps que ces deux puissances ouvrissent les yeux et pesassent les faits. De tout temps il y a eu cette tendance chez les peuples barbares, d'envahir et de subjuguer les nations civilisées, riches, industrieuses, en possession de toutes les jouissances du luxe. Le pillage et une vie meilleuré étaient pour eux de grands mobiles qui suppléaient parfois au courage individuel et chevaleresque. L'armée russe n'est pas aujourd'hui autre chose qu'une horde de Barbares qui ont soif du luxe et de l'aisance des pays occidentaux; son organisation est aussi sauvage que le sont ses éléments. Vouée dans son pays à une existence affreuse et misérable, nourrie à peine, et ne taisant ses besoins que par la crainte du bâton, cette armée se souvient avec délices des jours d'abondance et de joie qu'elle a passés en Allemagne et en France, dans les campagnes de 1813, 1814 et 1815. Dans ses rangs il est des hommes qui ont vu et goûté ces plaisirs ; pour les autres, les preuves en existent dans les traditions de leurs camarades et dans le butin que leurs pères ont rapporté d'Europe. Aussi tous aspirent-ils à voir ces pays industrieux où la nourriture n'est pas mesurée à l'homme avec une désespérante parcimonie. Une campagne contre l'Europe réveillerait les échos endormis de ce vaste territoire, et le hourra de guerre serait poussé avec ivresse par

d'innombrables légions moskovites ou tatares. Contre ce débordement sauvage imminent à toute heure, inévitable à l'instant opportun, il n'y avait qu'une barrière, la Pologne, et l'Europe l'a laissé briser avec indifférence; elle souffre même aujourd'hui qu'on en détruise et qu'on en éparpille les derniers débris.

Si pourtant on veut retrouver quelque repos pour l'avenir, il faudra qu'on rétablisse tôt ou tard une Pologne, grande, forte et indépendante, s'étendant (voir la Carte no 1 ) de la Baltique à la mer Noire, l'ancienne Pologne en un mot. Dans les circonstances actuelles, devenues impérieuses et menaçantes, la Pologne du congrès de Vienne serait une dérision; et si l'on prend les armes une fois pour fonder l'existence d'une digue réelle et sérieuse contre l'empiètement des hordes barbares, il faut savoir d'avance ce que l'on fera et jusqu'où l'on ira, afin de ne point léguer à l'avenir une besogne incomplète et d'autre sang à verser. La Pologne dans ses anciennes limites, voilà le gage de la sûreté future de l'Europe; ce gage la Moskovie attendra qu'on vienne le lui demander les armes à la main (1).

(1) Un de nos compatriotes, feu Maurice Mochnacki, a écrit dans le temps, sur la politique orientale et méri

CHAPITRE V.

Indemnisation de l'Autriche et de la maison de
Brandebourg.

Lorsque, par le traité du 25 juillet 1772, la Russie, l'Autriche et la Prusse effectuèrent le premier partage de la Pologne, inoffensive envers ces trois puissances, elles entreprirent de démontrer, chacune pour sa part, leurs droits et prétentions sur les provinces qu'elles allaient envahir. Leurs déclarations ne se firent, en effet, point attendre. Celle de l'Autriche parut le 11 septembre 1772, celle de la Prusse le 13, celle de la Russie le 18 du même mois. C'était joindre l'ironie au crime. Dans son factum, le roi de Prusse entre autres fit valoir son droit à un dédommagement pour la Poméranie, province possédée paisiblement par la Pologne depuis

dionale du cabinet de Saint-Pétersbourg, un article si plein de faits et d'arguments, que nous avons cru devoir le reproduire à la fin de nos Pièces justificatives, comme complément des idées contenues dans ce chapitre. On y verra une exposition très-judicieuse des projets des czars sur Constantinople et sur l'Indostan, projets que seul peut faire échouer le rétablissement de la Pologne dans ses anciennes limites.

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