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SECTION V.

De l'interprétation des lois.

60.-On distingue deux sortes d'interprétations des lois, l'une d'autorité ou de législation, l'autre de doctrine. La première consiste à résoudre les doutes par forme de réglement ou de disposition générale, obligatoire pour tous les citoyens et les fonctionnaires chargés d'appliquer la loi; elle appartient naturellement au législateur, et notre Constitution la lui réserve formellement, dans son art. 28.

La seconde consiste à saisir le véritable sens d'une loi dans son application aux cas particuliers, ou même à la suppléer si elle ne les a pas compris dans ses dispositions; elle est confiée surtout aux juges, aux administrateurs, aux arbitres, aux jurisconsultes.

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61. De l'interprétation par voie d'autorité. Ce n'est qu'au législateur — qu'appartient le droit d'expliquer sa pensée et d'assujettir tous les citoyens à l'explication qu'il en donne: ejus est leges interpretari cujus est condere.

62.-L'art. 91 de la loi du 1" déc. 1790 ordonne que « lorsqu'un jugement aura été cassé deux fois, et qu'un troisième tribunal aura jugé en dernier ressort. de la même manière que les deux premiers, la question ne pourra plus être agitée au tribunal de cassation, qu'elle n'ait été soumise au corps. législatif qui, en ce cas, portera un décret déclaratoire de la loi, et le tribunal de cassation s'y conformera dans son jugement.

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65. La Constitution de l'an 1, art. 256, celle de l'an vIII, et la loi du 27 vent. an viii, renferment des dispositions particulières sur ce sujet.

64. Selon la loi du 16 sept. 1807, il y a lieu à interprétation après deux arrêts de cassation (art. 1). Elle peut être demandée par la cour avant de prononcer le second arrêt (art. 5): sinon ce second arrêt est rendu, sections réun es, sous la présidence du grand juge (art. 4). L'interprétation est donnée dans la forme des réglements d'administration publique (art. 2).

65. — La loi du 4 août 1832 a abrogé par ses art. 23, 24 et 25 les dispositions antérieures. Si deux arrêts sont cassés entre les mêmes parties et par les mêmes moyens, il y a lieu à interprétation. Jusqu'à ce que la loi ait été rendue, il est sursis au jugement de l'affaire. Les cours et tribunaux sont tenus de se conformer à la loi interprétative dans toutes les affaires non définitivement jugées.

Ces dispositions sont mauvaises; elles transforment les chambres en juges. 66. De l'interprétation par voie de doctrine. — Il résulte des dispositions combinées des art. 4 et 5, C. civ., que le ministère du juge l'appelle à l'investigation de la pensée du législateur par tous autres moyens que la lecture d'un texte, pourvu qu'il se borne à faire aux seules parties dont la contestation lui est déférée, l'application de ses recherches et de ses lumières.

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67. L'art. 5, C. civ., ne permet pas aux juges de statuer par voie réglementaire.

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68. D'après un principe universellement reconnu en matière d'interprétation, les lois pénales doivent s'interpréter dans le sens le plus favorable au prévenu, ou plutôt les juges ne doivent jamais faire l'application que d'un texte précis. (Merl., Rép., v Juge, art. 6.)

69. Les lois fiscales doivent s'interpréter dans un sens restreint aux intérêts du fisc, et il faut se garder de faire profiter les particuliers d'exceptions ou priviléges introduits dans un but tout fiscal. - Dalloz, no 404.

70. Les lois prohibitives, même en matière fiscale, doivent être exactement renfermées dans leurs limites et ne sauraient être étendues d'un cas à un autre. - Dalloz, no 405.

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71.- Les lois de compétence doivent recevoir, dans le doute, un sens favorable à la juridiction ordinaire.-Carré, des Jurid. civ. Int. génér., no 9.

72. Les lois civiles doivent fléchir devant celles introduites par des vues politiques. Tel est le texte d'un motif d'un arrêt de rejet, du 11 juillet 1844. 73. Les lois spéciales doivent s'entendre d'après le système qui leur est propre. Elles sont censées ne se référer aux lois générales que dans les points qu'elles ne règlent ni expressément, ni implicitement (Merlin, Rép., vo Loi, § 11, no 4). Elles ne doivent point servir à décider par analogie les cas non prévus.-Ibid., Quest. de dr., vo Notaire; Bacon, aph. 14.

74. Les lois formellement rétroactives doivent se restreindre le plus possible.-Merlin, Rép., v° Triage, § 1.

75.-On doit adopter l'interprétation qui fait produire aux lois un effet qui les met en harmonie entre elles, plutôt que celle qui les paralyserait en les neutralisant l'une par l'autre.

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76. En ce qui concerne l'interprétation d'une loi, la discussion qui l'a préparée et dont elle est le résultat, concourt puissamment à manifester la pensée du législateur. On a vu la cour de cassation résoudre une question grave sur le régime dotal, « attendu qu'il résulte des procès-verbaux de la discussion du code civil, que les auteurs de ce code ont voulu maintenir le régime dotal, tel qu'il existait dans les pays de droit écrit, sauf les modifications, etc. » — 1er fév. 1819.

77. Les motifs de la loi, s'ils embrassent d'autres objets que son disposilif, lui donnent ou non de l'extension, selon que la loi est conforme ou non aux principes généraux du droit (L. 12 et 15, ff. de Legib.). v Motifs des lois.

Merlin, Rép.,

78. Lorsque le dispositif d'une loi est général, il convient rarement d'argumenter de ses motifs pour le restreindre aux cas que ces motifs désignent nominativement. - Ibid., v° Divorce, sect. 4, § 10; Quest., vo Inscription hypothécaire, § 3.-Dalloz, 416.

79. — L'intitulé d'une loi n'est pas non plus un motif de restreindre, pour quelques cas, une disposition générale qui les embrasse tous.- Rép., vo Voiture (lettre de), $ 1.

80.-Les principes naturels de l'équité, qui est la loi universelle, sont d'un grand secours dans l'interprétation des lois (L. 2, § 5, ff. de aquâ et aq. pluv.; 1. 7, ff. de bon. damnat.; l. 15, § 6. ff. de excus. tut.).

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81. Lorsque, dans le concours de la législation générale avec la législation spéciale, cette dernière contient une disposition expresse qui n'est ni obscure, ni insuffisante, les juges ne peuvent s'écarter de ce qu'elle prescrit littéralement, sous le prétexte d'en rechercher le sens ou l'esprit, ou de la rendre plus parfaite. Arr. 7 juill. 1828.

82. - De plus, lorsqu'une disposition littérale d'une loi ou d'un arrêté est expresse, générale, et ne renferme aucune modification, il n'est pas permis aux tribunaux d'en restreindre l'application à tels ou tels individus.-Dalloz,

n° 421.

83. Il existe d'autres règles d'interprétation, dont quelques-unes sont tirées du titre préliminaire que Portalis avait mis en tête du projet de code. Les voici :

84.-Quand la loi est claire, il ne faut point en éluder la lettre, sous prétexte d'en pénétrer l'esprit; et dans l'application d'une loi obscure, on doit préférer le sens le plus naturel et celui qui est le moins défectueux dans l'exécution.

85. Pour fixer le vrai sens d'une partie de la loi, il faut en combiner et réunir toutes les dispositions.

86. La présomption du juge ne doit pas être mise à la place de la présomption de la loi. Il n'est pas permis de distinguer, lorsque la loi ne distingue pas; et les exceptions qui ne sont point dans la loi, ne doivent pas être suppléées.

87.-L'application de chaque loi doit se faire à l'ordre des choses sur lesquelles elle statue. Les objets qui sont d'un ordre différent ne peuvent être décidés par les mêmes lois.

88.

On ne doit raisonner d'un cas à un autre, que lorsqu'il y a même motif de décider.

89. Lorsque la loi, par la crainte de quelque fraude, déclare nuls certains actes, ses dispositions ne peuvent être éludées sur le fondement que l'on aurait apporté la preuve que ces actes ne sont point frauduleux.

90. La distinction des lois odieuses et des lois favorables, faite dans la vue d'étendre ou de restreindre leurs dispositions, est abusive. — Dalloz, n° 452.

91.

Telles sont, en abrégé, les règles à méditer pour quiconque veut étudier avec fruit l'ensemble de notre législation.

CONSTITUTION BELGE

EXPLIQUÉE.

HISTORIQUE.

L'insurrection la plus légitime et la plus glorieuse venait de séparer violemment la Belgique de la Hollande. Les hommes généreux que l'énergie révolutionnaire avait jetés au pouvoir, sentirent qu'une des nécessités les plus impérieuses de leur position était de prévenir, à jamais, le retour des abus du gouvernement précédent, en assurant par de fortes garanties les libertés pour lesquelles la nation avait combattu.

Dès le 6 octobre 1830, un arrêté du gouvernement provisoire créa une commission de constitution; le 28 du même mois, le projet qu'elle avait rédigé, fut publié, par ordre du gouvernement, dans l'Union belge, journal alors officiel.

Un autre projet fut aussi présenté par MM. Forgeur, Barbanson, Fleussu et Liedts.

C'est de ces projets combinés que fut formé celui de la section centrale sur lequel la discussion s'est établie.

La discussion, souvent interrompue par les graves événements qui se succédaient à cette époque, ne fut terminée que le 7 février 1851. La constitution fut solennellement sanctionnée et promulguée le même jour.

Elle ne devint, toutefois, obligatoire qu'à l'entrée en fonctions du régent, le 26 février 1831, encore le congrès se réserva-t-il exclusivement le pouvoir législatif.

L'élection et la prestation de serment du roi Léopold vinrent compléter notre édifice constitutionnel et la monarchie représentative, telle que l'a faite notre pacte fondamental, fut mise en vigueur le 21 juillet 1851.

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