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irrésistible vers la paix. Toutes les colères s'étaient concentrées sur cette tête. La France attribua tous ses malheurs au despotisme impérial et répudia le génie qui l'avait fascinée quinze ans. L'Europe comprit qu'elle devait, dans l'intérêt de son propre repos, ménager un peuple qui l'avait si longtemps tenue en échec. A part les Prussiens dont les ardeurs de représailles n'étaient que trop justifiées (1), les puissances alliées désiraient sincèrement la réconciliation. Elles n'avaient pas moins combattu dans Napoléon le conquérant que l'héritier de la Révolution française. Elles voulaient en finir avec cette Révolution; il était nécessaire pour elles qu'il s'établit en France un gouvernement régulier donnant des garanties d'ordre et de durée. Un gouvernement dont le premier acte eût été un traité humiliant pour le pays, n'aurait pu ni se soutenir lui-même, ni contenir longtemps les passions nationales. De là vint la modération dont on usa en 1814.

« Les alliés, dit de Pradt, n'étaient pas venus à Paris pour la France, pour la rendre puissante, pour entrer dans ses désirs....... mais pour se défendre eux-mêmes de ses atteintes passées et à venir.... Ils avaient fixé son nouvel état sinon sans générosité, du moins sans rigueur; et ce défaut de rigueur pouvait encore après

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(1) « Il ne les avait pas seulement accablés de guerres, de taxes, d'invasions, de démembrements; il les avait offensés autant qu'opprimés... Ils voulaient venger la reine de Prusse de ses insultes et la nation allemande de ses dédains.... Après la campagne de Russie, l'Empereur causant un jour des pertes de l'armée française dans cette terrible épreuve, l'un des assistants, le duc de Vicence, les estimait à plus de 200,000 hommes. Non, non, dit Napoléon, vous vous trompez, ce n'est pas tout; » et après avoir un moment cherché dans sa mémoire. « Vous pourriez bien ne pas avoir tort; mais il y avait beaucoup d'Allemands. » C'est au duc de Vicence, luimême, que j'ai entendu raconter ce méprisant propos; et l'empereur Napoléon s'était complu sans doute dans son calcul et dans la réponse, car le 28 juin 1813, à Dresde, dans un entretien devenu célèbre, il tint le même langage au premier ministre de la première des puissances allemandes, à M. de Metternich.

GUIZOT. Mém., 1, 64.

irrésistible vers la paix. Toutes les colères s'étaient concentrées sur cette tête. La France attribua tous ses malheurs au despotisme impérial et répudia le génie qui l'avait fascinée quinze ans. L'Europe comprit qu'elle devait, dans l'intérêt de son propre repos, ménager un peuple qui l'avait si longtemps tenue en échec. A part les Prussiens dont les ardeurs de représailles n'étaient que trop justifiées (1), les puissances alliées désiraient sincèrement la réconciliation. Elles n'avaient pas moins combattu dans Napoléon le conquérant que l'héritier de la Révolution française. Elles voulaient en finir avec cette Révolution; il était nécessaire pour elles qu'il s'établît en France un gouvernement régulier donnant des garanties d'ordre et de durée. Un gouvernement dont le premier acte eût été un traité humiliant pour le pays, n'aurait pu ni se soutenir lui-même, ni contenir longtemps les passions nationales. De là vint la modération dont on usa en 1814.

« Les alliés, dit de Pradt, n'étaient pas venus à Paris pour la France, pour la rendre puissante, pour entrer dans ses désirs....... mais pour se défendre eux-mêmes de ses atteintes passées et à venir.... Ils avaient fixé son nouvel état sinon sans générosité, du moins sans rigueur; et ce défaut de rigueur pouvait encore après

(1) « Il ne les avait pas seulement accablés de guerres, de taxes, d'invasions, de démembrements; il les avait offensés autant qu'opprimés... Ils voulaient venger la reine de Prusse de ses insultes et la nation allemande de ses dédains.... Après la campagne de Russie, l'Empereur causant un jour des pertes de l'armée française dans cette terrible épreuve, l'un des assistants, le duc de Vicence, les estimait à plus de 200,000 hommes. «< Non, non, dit Napoléon, vous vous trompez, ce n'est pas tout; » et après avoir un moment cherché dans sa mémoire. « Vous pourriez bien ne pas avoir tort; mais il y avait beaucoup d'Allemands. » C'est au duc de Vicence, luimême, que j'ai entendu raconter ce méprisant propos; et l'empereur Napoléon s'était complu sans doute dans son calcul et dans la réponse, car le 28 juin 1813, à Dresde, dans un entretien devenu célèbre, il tint le même langage au premier ministre de la première des puissances allemandes, à M. de Metternich. GUIZOT. Mém., 1, 64.

tout ce qui avait rempli le cours des vingt-cinq dernières années passer pour de la générosité.

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La première invasion n'eut point le caractère odieux qui s'attache en général à la conquête. Elle dura peu de temps et laissa peu de traces. La France sentait amèrement ses défaites, mais elle sentait aussi ses torts. Elle sut gré aux vainqueurs des égards qu'ils lui montrèrent. Le traité du 30 mai 1814 lui rendait ses frontières de 1792, c'est-à dire les frontières de l'ancienne France un peu étendues et fortifiées. Le pays se résigna sans trop de peine à l'abandon de conquêtes qu'il avait payées si cher et dont il appréciait l'injustice. Un écrivain de l'époque rend avec vivacité les sentiments qui régnaient à ce sujet dans les classes éclairées.

« Ce mobilier de puissance et de gloire ne faisait pas partie de l'ancien mobilier de la couronne de France. Il est compris dans l'inventaire d'une révolution dont les principes et les actes sont trop odieux et dont on a eu trop à souffrir, pour que les conséquences puissent paraître mériter d'ètre défendues. C'est donc sans résistance comme sans chagrin qu'on aura renoncé à tout ce qui est hors de l'ancienne France. » (1)

A part l'Angleterre, aucune des puissances n'avait d'inclination marquée pour les Bourbons. On les croyait incapables d'une mission aussi difficile. La France ne les appelait pas : il ne lui restait de tant de crises et tant de secousses qu'une indifférence radicale, une lassitude profonde.

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(1) De Pradt, du congrès de Vienne. Voyez aussi Viel Castel. I, 322. - << Lorsque les armées coalisées sont entrées dans Paris, les Français étaient réduits à un tel état d'oppression, d'avilissement et de misère, qu'ils n'ont pas senti d'abord ce qu'avait d'humiliant la présence de leurs ennemis dans le sein de la capitale; le gouvernement impérial qui pesait sur eux s'est écroulé, et comme Carnot l'a reconnu, ils en ont vu la chute avec une joie unanime. » (CENSEUR, t. V,

« C'était une nation de spectateurs harassés, dit un contempo. rain, qui avaient perdu toute habitude d'intervenir eux-mêmes dans leur propre sort, et qui ne savaient quel dénouement ils devaient désirer ou craindre à ce drame terrible dont ils étaient l'enjeu..... la nation était aussi divisée dans ses langueurs qu'elle l'avait été naguère dans ses emportements. » Mais, ajoute le même écrivain (1), plus on prouvera qu'aucune volonté générale, aucune grande force intérieure ou extérieure n'appelait et n'a fait la Restauration, plus on mettra en lumière la force propre et intime et cette nécessité supérieure qui détermina l'évé

nement. »

Les Bourbons apportaient la paix et la liberté politique. Ils restaurèrent les finances et commencèrent de rétablir l'armée. Le pays respira et se remit à vivre. Au congrès de Vienne, la France vaincue força, pour ainsi dire, l'entrée du concert Européen et reprit son rang de grande puissance. La plus large part du mérite revient ici au prince de Talleyrand. Il se fit un rôle prépondérant. Les grandes questions furent résolues dans le sens que le gouvernement de Louis XVIII jugeait le plus conforme aux intérêts de la France. Au mois de janvier 1815, la quadruple alliance était rompue; la France, l'Autriche et l'Angleterre s'unissaient pour résister aux ambitions de la Prusse et de la Russie. Au dedans comme au dehors la Restauration justifiait le beau nom qu'elle s'était donné.

Mais ses mérites n'étaient point de ceux qui frappent les imaginations populaires et gagnent les sympathies du grand nombre. C'étaient des mérites cachés, qui ne pouvaient trouver leur récompense que dans l'avenir. La Restauration avait à lutter contre de grandes défiances, elle se heurtait aux préjugés les plus enracinés. Ses amis étaient maladroits; les meilleurs étaient dépourvus de sagacité politique. Louis XVIII était lui-même un ancien émigré. Il ne montra dans cette première épreuve ni le tact ni la finesse (1) Guizot, Mémoires, I, 24-30.

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