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supérieure qu'il déploya plus tard. Ce gouvernement était honnête et sincère; il manqua d'habileté, surtout de sens critique. Il ne compta point assez avec la sottise humaine; il dédaigna trop les fanfaronnades réactionnaires du parti royaliste (1), et les déclamations surannées des révolutionnaires (2). Comme il n'avait point l'intention de rétablir la corvée et d'exproprier les acquéreurs de biens nationaux, il se crut dispensé de faire à cet égard des professions de foi (3). Jamais pouvoir ne montra plus de mépris pour le charlatanisme : c'était une erreur avec un peuple qui avait assisté aux fêtes de la déesse Raison et poursuivi de ses acclamations toutes les pompes de l'empire. Il était habitué à d'autres manières d'être, il ne comprit pas et se défia (4). Des maladresses furent commises; quelques-unes étaient inévitables. Les adversaires de la Restauration surent en tirer parti. « Les Bourbons, dit un des plus dévoués serviteurs de l'empire (5), ne comprenaient pas ce qu'avait si bien compris Henri IV, c'est qu'ils n'avaient rien à craindre de leurs amis et tout à redouter de leurs enne

mis. >>

L'armée était mécontente, la nation craignait pour ses droits; la chute prodigieuse de Napoléon, son exil, son abandon réveillaient les sympathies étouffées par les derniers désastres; la légende se formait (6); le peuple s'habi

(1) Duv. de H, II, 329.

(2) Id. 354 à 358. Mémoire au Roi de Carnot.

(3) « En présence des alarmes de la France nouvelle, le Roi et ses principaux conseillers étaient bien plus disposés à céder qu'à engager la lutte; mais après avoir fait acte de sagesse constitutionnelle, Ils se croyaient quittes de tous soucis et rentraient dans leurs habitudes et leurs goûts d'ancien régime, voulant aussi vivre en paix avec leurs vieux et familiers amis. >> GUIZOT, Mémoires, I, 55.

(4) Le préfet de la Loire-Inférieure écrivait en novembre 1814 : « La classe haineuse n'est pas nombreuse; la classe méfiante est presque universelle. >> DUV., II, 373.

(5) Caulaincourt: Souvenirs du duc de Vicence.
(6) Voyez Duv., II,
363.

tuait à voir dans l'empereur tombé le défenseur de ses droits et le représentant de la Révolution. Son despotisme n'avait jamais menacé l'égalité; la noblesse impériale, loin de blesser la foule, flattait à la fois son goût pour l'éclat et caressait ses convoitises secrètes; c'était une noblesse démocratique; tout le monde y pouvait prétendre; on y parvenait même à l'ancienneté (1). L'oubli se faisait autour des souffrances; il ne restait que le souvenir des gloires du passé; les dernières blessures d'amour-propre en complétaient le prestige: Napoléon avait promené ses aigles populaires dans toutes les capitales; les fleurs de lys avaient reparu avec les étrangers. Ces regrets, ces froissements, ces inquiétudes, ce travail de légende, détachaient insensiblement la nation de ses nouveaux chefs. Les bruits qui venaient de Vienne contribuaient encore à affaiblir dans les esprits ce qui restait de griefs contre Napoléon. Ne voyait-on pas les souverains qui l'avaient vaincu continuer ses errements, trafiquer des âmes et négocier des peuples ainsi qu'il l'avait fait? leur conduite semblait même plus odieuse encore; ils n'invoquaient que le droit divin des couronnes, tandis que Napoléon avait eu toujours soin de se couvrir du manteau de la Révolution, d'exciper en toute occasion des droits éminents du peuple français. C'est ainsi que, sans rappeler l'empereur, les habitants des campagnes, obsédés du cauchemar féodal, la population ignorante des villes, en proie aux superstitions révolutionnaires, la bourgeoisie libérale, blessée dans son amour-propre, ombrageuse de la noblesse, franchement hostile au clergé (2), abandonnant à ses erreurs un gouvernement qui ne sollicitait pas assez son appui, préparaient peu à peu les voies aux menées

(1) Sur l'irritation et l'attitude des nouveaux nobles, voyez Duv. de H. II, 327, 234.

(2) « Le déclin du gouvernement royal en 1814, doit être attribué aux intérêts plus qu'aux opinions, aux amours-propres plus qu'aux intérêts.» Duv. 11, 337.

des agitateurs bonapartistes, soutenus par la conspiration spontanée des officiers en demi-solde, des vétérans licenciés, des jacobins anoblis (1), des clubistes incorrigibles, des mécontents de tout étage et des déclassés de tout ordre, dont vingt-cinq ans de crise sociale avaient encombré la France.

Lorsque le bruit se répandit que Napoléon était débarqué au golfe Juan, que les généraux se jetaient dans ses bras, que l'armée abandonnait le drapeau blanc pour suivre ses aigles, que les populations l'acclamaient au passage (2), le gouvernement restauré s'affaissa de lui-même. Ce n'était pas que le mouvement fût irrésistible, mais on n'avait point de forces pour l'arrêter, les barrières tombaient, la nation se laissait faire. Les voix qui s'élevaient en faveur de Napoléon n'étaient pas très-nombreuses, mais c'étaient les seules qui se fissent entendre; les bras qui s'armaient pour l'empereur ne formaient pas un faisceau bien redoutable, mais tous les autres restaient inertes.

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Stupéfaite, la France laissa sans résistance comme sans confiance, l'événement s'accomplir. Napoléon en jugea par lui-même ainsi avec son bon sens admirable : « Ils m'ont laissé arriver, ditil au comte Mollien, comme ils les ont laissé partir.» (3)

(1) Châteaubriand écrivait à leur propos en décembre 1814 : « Un républicain de bonne foi qui ne cède ni au temps ni à la fortune, peut être estimé... Mais si des fortunes immenses ont été faites... si Brutus a reçu des pensions de César, il fera mieux de garder le silence; l'accent de la fierté et de la menace ne lui convient plus. »> Réflexions politiques, IV.

(2) A Lyon « l'air retentissait d'acclamations non-interrompues. C'était un feu roulant de cris de: Vive l'Empereur! A bas les prêtres ! A bas les royalistes ! FLEURY DE CHABOULON. Mém. I, 213.

Cette marche triomphale de Napoléon à travers la France gonflait d'orgueil le cœur de ses amis. C'était encore l'élu du peuple ! l'homme aux merveilles... C'est en traits de feu qu'il faudrait retracer le grandiose de l'ovation populaire qui porta le proscrit, de bras en bras, du golfe de Juan au palais des Tuileries.

(Souvenirs du duc de Vicence). Cf. Duv., 11, 429. (3) Guizot, Mém. I, 57.

Ainsi s'accomplit la Révolution du 20 mars (1). Personne n'eut l'idée de la combattre; quelques-uns seulement en aperçurent, dès le premier moment, les terribles conséquences. Madame de Staël nous laisse un témoignage éloquent des perplexités qui déchirèrent alors les âmes clairvoyantes et vraiment libérales.

Non, jamais je n'oublierai le moment où j'appris par un de mes amis, le matin du 6 mars 1815, que Bonaparte était débarqué sur les côtes de France; j'eus le malheur de prévoir à l'instant les suites de cet événement, telles qu'elles ont eu lieu depuis et je crus que la terre allait s'entr'ouvrir sous mes pas. Pendant plusieurs jours, après le triomphe de cet homme, le secours de la prière m'a manqué complètement..... Je dis à M. de Lavalette : C'en est fait de la liberté si Bonaparte triomphe et de l'indépendence nationale s'il est battu (2). »

II. A Vienne les grandes questions étaient résolues; il ne restait plus qu'à débattre la forme de la future Confédération germanique; les plénipotentiaires négociaient le règle ment des affaires de détail; les souverains alliés songeaient à retourner dans leurs États. La confiance était complète; jamais Vienne n'avait été plus brillant. Ce fut au milieu d'une fête que l'on apprit l'audacieuse tentative de Napoléon. Un des secrétaires de l'ambassadeur de France, le comte Alexis de Noailles (3) assistait à la scène et l'a décrite en ces termes.

« La nouvelle arrivait à la cour d'Autriche dans la soirée du 5 mars, par un messager de Sardaigne, à l'heure où dans les salons de l'Impératrice, on donnait la représentation d'un tableau

(1) Cf. Duv. II, vi: Le 20 mars.

(2) Considérations, V, XIII. Voir aussi le chap. I, des Souvenirs des Cent-Jours de Villemain, et en général, pour toute cette période, suivre ce beau et vivant récit.

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vivant. Le sujet de ce jeu de cour était la première entrevue de Maximilien I avec Marie de Bourgogne... L'attention admirative qui suivait les scènes diverses, les changements pittoresques, les attitudes guerrières ou gracieuses du tableau, est tout à coup interrompue. L'Empereur d'Autriche et les monarques ses hôtes se retirent dans une pièce à part. Tout le monde, dans le palais, se répète bientôt que le 26 février au soir, Napoléon, avec quelques centaines d'hommes de sa garde, montés sur un brick et sur plusieurs petits navires, a quitté l'ile d'Elbe et que l'Europe est menacée. Quelques personnages officiels essayent de traiter légèrement cet incident. Mais l'inquiétude perce et domine dans le langage des plus fermes. L'incertitude dura cependant deux jours

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encore..... »

Il y eut d'abord une consternation générale, puis une irritation profonde. Tout était remis en question, il fallait donc recommencer la guerre. Les alliés adressaient les reproches les plus vifs à l'empereur de Russie. C'était lui surtout qui avait insisté pour que Napoléon ne fût pas traité plus sévèrement, relégué plus loin que l'île d'Elbe. Alexandre se défendait en accusant les Bourbons qui n'avaient su rien prévenir; mais il condamnait lui-même sa modération. Il devint le plus passionné des coalisés et déclara dès les premiers jours qu'il s'agissait maintenant d'une guerre à mort. Il répétait « que l'affaire le regardait personnellement, qu'il avait à se reprocher une imprudence, à se laver d'un tort, et qu'il mettrait à cette guerre renaissante par sa faute son dernier homme et son dernier rouble » (1). La résolution d'en finir avec l'Empereur éclate avec violence dans la déclaration des puissances, en date du 13 mars, au sujet de l'évasion de Napoléon de l'île d'Elbe (2).

«En rompant ainsi la convention qui l'avait établi à l'île d'Elbe, Buonaparte détruit le seul titre légal auquel son existence se trouvait attachée. En reparaissant en France, avec des projets de trou

(1) Villemain, Iv. 91.
(2) Angeberg, III, 912.

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