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• Soldats! nous n'avons jamais été vaincus deux hommes sortis de nos rangs ont trahi nos lauriers. » —— Français ! La défection du duc de Castiglione livra Lyon sans défense à nos ennemis..... les Français ne furent jamais sur le point d'être plus puissants..... (1) »

Mais la population sceptique de Paris était devenue insensible à ces apostrophes; ces oripeaux oratoires étaient usés; c'était à peine s'ils pouvaient décevoir encore quelques gardes nationaux convaincus et quelques clubistes de faubourg.

« J'ai traversé la France, disait Napoléon à Sainte-Hélène ; et j'ai été porté jusqu'à la capitale par l'élan des citoyens et au milieu des acclamations universelles; mais à peine étais-je à Paris que, comme une sorte de magie, et sans un motif légitime, on a subitement reculé, on est devenu froid autour de moi. »

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C'est que le pays était désabusé et qu'il y avait au fond de toutes les âmes un immense besoin de paix. Napoléon le sentit. Ce fut à ses yeux une raison de plus pour tenter de négocier. Il avait appelé aux affaires étrangères le duc de Vicence, Caulaincourt, dont il connaissait le dévouement; c'était lui qui avait négocié l'année précédente à Châtillon; l'Empereur savait qu'il s'était fait estimer des Alliés. En prenant le portefeuille, le 30 mars 1815 (2), Caulaincourt adressa une circulaire aux agents français à l'étranger; il leur annonçait que leur mission était terminée, qu'ils allaient être remplacés, et il ajoutait :

« Si au moment de quitter la cour auprès de laquelle vous résidez, vous avez occasion de voir le ministre des affaires étrangères, vous lui ferez connaître que l'Empereur n'a rien de plus à cœur que le maintien de la paix; que sa Majesté a renoncé aux projets de grandeur qu'elle pouvait avoir antérieurement conçus, et que le système de son cabinet, comme l'ensemble de la direction des affaires en France, est dans un tout autre principe.

(1) Proclamations du golfe Juan, 1 mars 1815. (2) Angeb., III, 992,

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La dépêche fut expédiée; mais des ordres avaient été donnés par les coalisés; on arrêta les courriers à la frontière. Napoléon se retourna d'un autre côté. Caulaincourt qui fut chargé de ces négociations, nous en a laissé le récit (1).

M. le baron de Vincent, ministre d'Autriche, n'avait pas encore quitté Paris, ainsi que M. Boudiakine, chargé d'affaires de Russie. (Entre nous on ne se pressait pas de leur délivrer leurs passeports). Je m'arrangeai pour voir dans une maison tierce (2) M. de Vincent que je connaissais du reste beaucoup. C'était un homme doux et modéré; et s'il y avait eu moyen de s'entendre, il aurait prêté les mains; mais il me déclara tout d'abord que la résolution des Alliés était contraire à ce que Napoléon conservât le trône, et il ne me laissa aucun espoir que le cabinet de Vienne modifiât, en ce qui le concernait, cette disposition. Il m'engagea néanmoins sa parole de faire connaître à l'Empereur François, en particulier, les sentiments de Napoléon pour le maintien de la paix.

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Napoléon spéculait sur sa parenté avec l'empereur d'Autriche, sur l'intérêt que ce souverain devait porter à son petit-fils, le roi de Rome. Mais il faisait en même temps des ouvertures analogues à la Russie. S'il ne pouvait obtenir l'alliance d'Alexandre, il tâchait du moins de le détacher de la coalition; et, dans ce dessein, il n'hésita pas à compromettre les intérêts de la France, à dévoiler le traité du 3 janvier 1815 qui avait rompu la quadruple alliance et qu'une incroyable légèreté avait fait tomber entre ses mains. Ecoutons encore le duc de Vicence.

« M. de Jaucourt (3) avait oublié en partant de retirer du portefeuille des affaires étrangères un traité secret entre l'Angleterre, l'Autriche et la France pour s'opposer en commun, de gré ou de force, au démembrement de la Saxe, que la Russie et la Prusse

(1) Souvenirs du duc de Vicence. (2) Chez Mme de Souza.

(FLEURY, Mém.)

(3) Chargé par Louis XVIII de l'intérim des affaires étrangères pendant que Talleyrand était au Congrès.

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méditaient. Cette pièce est très-curieuse. Je la mis sous les yeux du ministre Russe comme une preuve manifeste de l'ingratitude dont la cour des Tuileries payait l'Empereur Alexandre. Boudiakine ne pouvait en croire ses yeux; il contint ses mines; mais il était furieux. »

Fleury de Chaboulon donne au sujet de ce même entretien des détails assez piquants.

« M. de Boudiakeen, après avoir également refusé l'entretien proposé par le duc de Vicence, finit enfin par l'accepter, Il fut convenu qu'ils se rencontreraient chez Mlle Cauchelet, dame du palais de la princesse Hortense.

M. de Jaucourt avait oublié dans le portefeuille des affaires étrangères, un traité secret par lequel l'Angleterre, l'Autriche et la France s'étaient mutuellement engagées à s'opposer de gré ou de force, au démembrement de la Saxe, que conspiraient ouvertement la Prusse et la Russie.

L'Empereur pensa que ce traité pourrait peut-être aliéner aux Bourbons l'intérêt de ces deux puissances, et jeter parmi les alliés, la défiance et la discorde. Il ordonna au duc de Vicence de le mettre sous les yeux du ministre russe, et de le lui représenter comme une preuve nouvelle de l'ingratitude dont la cour des Tuileries payait les nombreux bienfaits de l'Empereur Alexandre. L'existence de cette triple alliance était ignorée de M. de Boudiakeen, et parut lui faire éprouver autant de surprise que de mécontentement. Mais il déclara que les principes de son souverain lui étaient trop connus pour qu'il osât se flatter que la circonstance de ce traité, ou tout autre, pût opérer dans ses dispositions quelque changement favorable. »

M. Boudiakine ne se trompait pas. Le coup d'ailleurs était paré déjà. Le 27 mars lord Castlereagh écrivait de Londres au duc de Wellington :

« Il est à présumer que, dans le hourvari du départ, le cabinet des affaires étrangères, à Paris, n'a pas été vidé de tout son contenu par les ministres du roi, et conséquemment que notre traité secret avec la France et l'Autriche, aussi bien que toute la correspondance du prince de Talleyrand, tomberont entre les mains de Bonaparte. Il essaiera naturellement d'en faire son profit pour semer sous mains la discorde..... Je me flatte que ceci ne peut pro

duire aucune fâcheuse impression sur l'empereur de Russie, après tout ce qu'il a vu depuis longtemps. Il doit se sentir assuré que l'affaire en gros venait de dissidences actuellement arrangées... Le traité est d'après l'intitulé même, purement défensif; et tous nos procédés depuis ont prouvé cela de manière à ne pas permettre le doute. »

Mais l'empereur de Russie avait son siége fait; l'heure n'était point aux dissensions; il accepta les explications qui lui furent données. Il fit écrire presque immédiatement à lord Castlereagh par le comte de Nesselrode une lettre « respirant toute la chaleur de confiance et de haine unanime qui avait échauffé la coalition de 1812, répétant que c'était pour tous le cas de donner le dernier schilling et la dernière goutte de sang (1). » Le seul résultat de la manœuvre de Napoléon fut d'irriter un peu davantage Alexandre contre les Bourbons et Talleyrand : « Napoléon n'en profita pas et la France en souffrit. » La contradiction même et le décousu de ces démarches prouve d'ailleurs que Napoléon en attendait peu de chose. Il ne lui était plus permis de conserver d'illusions. La déclaration du 13 mars, « transmise directement par les émissaires du Roi aux préfets des villes frontières et propagée par les royalistes circulait dans Paris (2). » Napoléon savait qu'il était mis hors la loi des nations. Il n'avait plus qu'à gagner du temps, à s'armer, å soulever s'il le pouvait et à concentrer autour de sa personne les passions politiques des Français.

Ce fut l'objet du rapport qu'il se fit présenter le 2 avril par le conseil d'État, au sujet de la déclaration de Vienne. Ce document (3) rédigé avec une grande habileté s'adressait beaucoup plus à la France qu'à l'Europe et visait la Restauration bien plutôt que le Congrès. Il relevait avec une

(1) Villemain, 125, d'après les papiers de Castlereagh.

(2) Fleury.

(3) Angeb., III, 1004.

grande force les griefs de l'Empereur : le traité de Fontainebleau (1) n'avait pas été exécuté; l'Impératrice et son fils n'avaient point reçu, comme il était convenu, des passeports pour se rendre à l'île d'Elbe ; le prince Eugène n'avait pas obtenu l'établissement qui lui était promis, l'Empereur n'avait pas touché les revenus qui lui étaient alloués.

« La convention de Fontainebleau est un traité entre souverains; sa violation, l'entrée de Napoléon sur le territoire français ne pouvait, comme toute infraction à un acte diplomatique, comme toute invasion hostile, amener qu'une guerre ordinaire, dont le résultat ne peut être quant à la personne, que d'être vainqueur ou vaincu, libre ou prisonnier de guerre; quant aux possessions, de les conserver ou de les perdre, de les accroître ou de les diminuer; toute pensée, toute menace, tout attentat contre la vie d'un prince en guerre contre un autre, est une chose inouïe dans l'histoire des nations et des cabinets de l'Europe. »>

Ainsi Napoléon était à l'île d'Elbe en vertu d'un traité, les puissances n'en avaient point exécuté les clauses; l'Empereur se croyait en droit de le déclarer caduc à son tour. Napoléon, continuait le rapport, avait abdiqué dans l'intérêt de la France:

« Il espérait pour la nation la conservation de tout ce qu'elle avait acquis par vingt-cinq années de combats et de gloire...... Loin de là, toute idée de la souveraineté du peuple a été écartée.... La France a été traitée par les Bourbons comme un pays révolté reconquis par les armes de ses anciens maîtres, et asservie de nouveau à une domination féodale.

La dislocation de l'armée, la dispersion de ses officiers.............. l'avilissement des soldats.... le mépris des citoyens, désignés de nouveau sous le nom de Tiers-état, le dépouillement préparé et déjà commencé des acquéreurs de biens nationaux..... le retour de la féodalité dans ses titres, ses privilèges, ses droits utiles..... le rétablissement des dimes..... la domination d'une poignée de nobles sur un peuple accoutumé à l'égalité, voilà ce que les Bourbons ont fait ou veulent faire de la France.

C'est dans de telles circonstances que l'Empereur Napoléon a quitté l'ile d'Elbe. ... Il est venu délivrer la France et c'est aussi comme libérateur qu'il a été reçu. Il est arrivé presque seul; il a parcouru deux-cent-vingt lieues sans obstacles, sans combats, et a repris sans résistance, au milieu de la capitale et des acclamations

(1) 11 avril 1814, entre Napoléon, la Prusse, l'Autriche et la Russie. Angeb., III, 148.

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