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be tous temps, les gouvernants qui ont voulu arriver au despotisme ont saisi avec empressement toutes les occasions de se débarrasser des hommes généreux qui leur portaient ombrage, et qui se posaient comme des surveillants incommodes d'un pouvoir qui ne voulait plus être contrôlé. Bonaparte fut bien aise d'un attentat qui, par l'horreur qu'il excita, lui permettait d'éloigner de France ceux des patriotes restés fidèles à la cause de la liberté et du peuple. La liste de proscription fut apportée au conseil d'état, qui, malgré sa dépendance, recula devant la dé-restation d'un complice fait avorter le projet. portation. Le sénat, plus servile, sanctionna la détention hors du territoire continental de la république prononcée contre les citoyens qu'on ne convainquit, qu'on n'accusa même d'aucun crime. Alors se révéla dans le sénat une opposition impuissante, mais généreuse : elle se composait de Grégoire, Garat, Volney, Lanjuinais, Lambrechts et Cabanis. Parmi les proscrits figuraient Félix Lepelletier, frère du conventionnel assassiné, et plusieurs anciens membres de la convention et des conseils : Talot et Destrem faisaient partie de ces déportés.

les brigands, explique bien le choix qu'on a fait de sa personne pour le mettre à la tête de tous les complots. Pour mieux se dérober à la police il prend plusieurs logements. D'abord il n'est question que de vol de fonds publics, de projets vagues contre le gouvernement, de moyens de rallumer la guerre civile. Plus tard on décide le pillage de la diligence de Troyes au-dessus de Charenton. François Carbon, dit le Petit François, ex-chef de chouans, est chargé de faire passer les armes dans un rouleau de toile; l'ar

Dans l'intervalle le tribunal criminel de la Seine, appelé à juger Ceracchi et ses complices, acquitta Diana, la fille Fumey, Daiteg et Lavigne, et conJamna à la peine de mort Demerville, Ceracchi, Arena et Topino-Lebrun. Ces derniers, s'étant en vain pourvus au tribunal de cassation, subirent leur jugement. L'attentat de la machine infernale avait fait bâter la procédure.

Cependant les véritables auteurs de ce dernier complot restaient inconnus: un hasard en favorisa la découverte. Les cochers de fiacres donnaient un diner au cocher du premier consul, qui, par la rapidité de sa course, avait sauvé le chef de l'état. Dans la chaleur du repas, un des convives dit qu'il savait bien d'où partait le coup, et que sa voiture s'était arrêtée devant une porte cochère pour laisser passer la petite charrette qui avait fait tout le mal. Une découverte en amena une autre. On envoya des espions chez les chouans de l'ouest ils ne cachaient pas leur crime, et se plaignaient seulement de n'avoir pas réussi.

Vers la même époque Fouché fit aux consuls un rapport dont voici les principaux passages :

Deux auteurs de l'attentat sont entre les mains de la police: leurs aveux ont nommé les autres..... Depuis longtemps je savais que Georges, de retour d'Angleterre, en avait apporté de nouveaux projets d'assassinat, et des guinées pour payer les assassins.... Joyau, dit d'Assas, Lahaie Hilaire, dit Raoul, et Limoelan, dit Beaumont, arrivent successivement. Le caractère de ce dernier, parvenu à mériter le titre de brigand parmi

>> Limoelan reçoit par Boulogne des nouvelles de Londres annonçant l'arrivée d'un commissaire nommé Rivière. Bientôt ce sont des dépêches de Georges qui parlent du prochain voyage de Mercier de la Vendée, qui descendra à l'hôtel de Vauban... Au lieu de Mercier, c'est Saint-Rejant qui arrive, Saint-Rejant, connu sous le nom de Pierrot, chef des chouans d'Isle-et-Vilaine, monstre dont les crimes font frémir l'humanité. Limoelan et Saint-Rejant achètent chacun un nécessaire d'armes de cinquante louis, ils les essaient au bois de Boulogne. Quelques jours après ils achètent des carabines à vent pour s'en servir aux théâtres.

» L'agent de l'Angleterre arrive, mais au lieu de Rivière c'est Hyde; il rassemble les agents de Georges à l'hôtel des Deux-Ponts. Là il est décidé qu'on assassinera le premier consul. Saint-Rejant reçoit une lettre de Georges dans laquelle il l'informe du meurtre, par les chouans, de l'évêque de Quimper, ex-député à diverses assemblées, homme chéri et respecté pour sa modération et ses vertus. Il loue le sang-froid, l'audace des assassins, les présente pour modèles, et exhorte ses amis à presser la grande affaire. »>

Ici la police perdit la trace du complot. Un des espions se compromit en se rendant de jour à la préfecture, l'autre fut éliminé pour graves soupçons. Une arrestation faite à côté des conjurés leur donna l'alarme, et ils redoublèrent de précautions. Mais bientôt des renseignements pris dans les alentours de Georges conduisent à la découverte de la demeure de François Carbon; déjà il l'avait abandonnée, y laissant un baril de poudre. On apprend qu'il a une sœur, deux nièces, et cellesci avouent que leur oncle est caché chez mesdames de Gouyon et Champion de Cicé, ex-religieuses, rue Notre-Dame-des-Champs. Il est arrêté. Saint-Rejant effrayé court d'asile en asile; il est arrêté aussi rue du Four, au moment où il quittait l'hôtel du Nord. On saisit madame de Cicé et d'autres personnes qui avaient logé les conspirateurs; mais on ne put s'emparer ni de Joyau, ni de Lahaic, ni de Limoelan, ni de Bourgeois, ni de Corter, ni

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de Songé. La procédure, les dépositions, les in- qui pourtant, sans changer les noms, enlevait terrogatoires produisirent des lumières surabon- | aux prévenus la garantie du jury d'accusation, dantes. Les débris de la charrette, du baril, du et chargeait les seuls préfets de la formation des cheval, la poudre reconnue de fabrique anglaise, listes de jurés (ce qui était changer ↳ jugement tout devient des indices qui se changent en preu- par jury en renvoi à des commissions spéciales); ves. Des paroles, des lettres, un baril de poudre, Bonaparte se défia encore du zèle des citoyens des armes, des expériences faites, des préparatifs délégués par les préfets, ôta à ces prétendus juconsommés ne laissent aucun doute sur les cou- rés la connaissance des crimes de haute trahison, pables. et ne trouva que les tribunaux militaires capables de prononcer dans ces questions. Le tribunat adopta ces dispositions liberticides, mais ce ne fut qu'après une longue discussion. Déjà uneopposition courageuse s'était formée dans ce corps. Benjamin Constant en avait donné le signal. Andrieu, Daunou, Chénier, Ginguené y répondirent. Le complaisant sénat les élimina des élections nouvelles, et la France perdit ainsi la dernière garantie de ses libertés.

Saint-Rejant et Carbon sont traduits en justice. Le premier, ancien officier de marine, chef de chouans, a mis le feu au baril de poudre. Il avait donné douze sous à une petite fille de quatorze ans, nommée Pensol, pour garder la charrette, et il savait que cette malheureuse allait être mise en pièces! Le second a arrêté et pillé des diligences avec son complice; il a, de plus, commis un vol dans une église. Tous deux reçoivent des ordres et de l'argent de Georges Cadoudal, qui est subordonné au ministère anglais. Ces gens, tout en affectant des pratiques religieuses et parlant sans cesse d'honneur, professaient la religion, la morale et l'honneur des bagnes.

Des mesures tardives, mais sévères, furent prises contre les chouans qui infestaient les environs de Paris, se répandaient sur les grandes routes, attaquaient et dépouillaient les voyageurs. Une diligence fut pillée entre Charenton et Créteil, une troisième près de Bondy, un roulier vers la commune de Saint-Ouen. Les maires exigèrent impérieusement l'exhibition des passeports. Chaque diligence fut tenue d'avoir un sousofficier et quatre soldats sur l'impériale, armés de fusils et munis de vingt cartouches. La nuit, elles étaient en outre escortées de deux gendar

n'éteignaient pas l'incendie; les brigands, malgré leurs soumissions ou leurs jugements, sortaient toujours de leurs repaires : l'or anglais augmentait leur audace. Les journaux étaient remplis du récit de leurs honteux exploits. Ces feuilles ne cessant d'exprimer des craintes pour l'idole qu'elles encensaient, la garde du consul fut augmentée; on alla jusqu'à proposer de faire reculer la civilisation en inventant des supplices spéciaux pour tous ceux qui attenteraient à la vie du sauveur de la république. Fouché était infatigable.

Après une longue procédure et des débats qui durèrent six jours, le tribunal acquitta les accusés de Cicé, les filles Gouyon-Beaufort, Vallon, Baudet, Lavieuville et sa femme qui avaient donné asile aux auteurs de l'explosion ou eu des rapports avec eux; condamna à trois cents francs d'amende et à trois mois d'emprisonnement le sieur Collin, officier de santé, qui, après l'évé-mes à cheval armés de mousquetons. Ces mesures nement, avait donné à Saint-Rejant les secours de son art, sans en instruire le commissaire de police; et à la peine de mort Saint-Rejant et Carbon, qui furent conduits au lieu de l'exécution revêtus d'une chemise rouge. Dès lors les cent trente républicains proscrits étaient évidemment purs de tout crime ils n'en furent pas moins frappés de l'inique sentence arbitraire portée contre eux. Le premier consul s'obstinait à les craindre plus que les chouaus. « La chouannerie et l'émigration, disait-il, sont des maladies de peau; le terrorisme est une maladie de l'inté rieur. » Bonaparte oubliait qu'il avait été luimême un des plus fougueux terroristes, c'est-àdire un de ces républicains enthousiastes, ardents, inflexibles, qui auraient donné leur vie pour le triomphe de la liberté, qui livrèrent même leur réputation à la calomnie, et qui, par ces sacrifices mêmes, se croyaient en droit de ménager pen les ennemis de la révolution.

Malheureusement, ces conspirations eurent de graves conséquences. Bonaparte qui, en faisant peser sur la patrie la main de fer qu'il étendait sur l'Europe, n'osait pas avouer le dessein de détruire les dernières institutions républicaines, et

L'explosion de la machine infernale servit à rehausser l'humanité des Parisiens. Des dons réitérés, considérables, vinrent au secours des victimes. Les maisons ébranlées et rendues inhabitables furent démolies, la rue Saint-Nicaise disparut presque en entier, et la place du Carrousel y gagna en régularité et en étendue.

Cependant, la paix se négociait entre la république française d'une part, l'empereur d'Autriche et le corps germanique de l'autre. Elle fut signée le 9 février 4804, à cinq heures du soir. Outre la ratification du gouvernement français et de l'empereur, il fallait celle de l'empire germanique. On décida que la ville de Ratisbonne serait

La cour de Rome invita en conséquence le comte Roger de Damas et ses Napolitains à se retirer au plus tôt. Mais ce chef objecta qu'ayant été toujours subordonné aux Autrichiens, il devait être compris comme eux dans la convention de Trévise, et autorisé à garder ses positions. Cette prétention n'était pas fondée, les troupes napolitaines n'avaient point été nommées dans l'armistice.

mise en état de neutralité pour que la diète pût y | cette résolution du premier consul. Le cardinal délibérer avec indépendance. Ce corps s'y réunit Gonzalvi lui en témoigna de vifs remerciments. en effet, et, malgré quelque velléité d'opposition Pour l'église romaine, ce rapprochement était de la part des princes ecclésiastiques, il donna, des plus heureux. le 7 mars, son suffrage pour l'approbation pure et simple. Ce suffrage reçut, le 5, la sanction de 5. M. I. Les princes qui n'avaient pas été appelés à la négociation et dont les états étaient sans cesse dévastés par la guerre, se félicitèrent d'avoir été compris dans le traité. Les cessions faites en leur nom avaient d'ailleurs été déjà consenties par eux deux ans auparavant au congrès de Rastadt, qui n'était que l'introduction du traité de Lunéville. Celui-ci, dont les bases avaient été posées à Paris par le ministre des relations extérieures de France et par le général Saint-Julien, fut signé par Joseph Bonaparte, conseiller d'état, et le comte de Cobenzel.

Les stipulations de Campo-Formio y furent confirmées. L'empereur céda en outre à la république le comté de Falkenstein, le Fricktal, l'Istrie, la Dalmatie, les îles vénitiennes de l'Adriatique, les bouches du Cattaro, Venise, etc. Le prince de Modène, dont les pays furent cédés à la France, reçut le Brisgaw en échange. Le grand duc de Toscane renonça à son duché en faveur de son fils Louis de Bourbon, infant duc de parme, qui prit le titre de roi d'Etrurie. Ce fut le premier monarque de création napoléonienne. La république eut en toute souveraineté les pays et domaines situés sur la rive gauche du Rhin, qui séparèrent son territoire de celui de l'empire germanique. Elle renonça à toutes ses possessions de la rive droite.

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Sur ces entrefaites arrivait en Italie M. de Levaschef, ministre extraordinaire de Russie. Murat fit illuminer Florence pour le recevoir; ils parurent au spectacle dans la même loge et unirent les drapeaux russes et ceux de la république. Levaschef entra à Naples où il fut reçu en libérateur. Déjà Damas avait signé avec Murat de véritables préliminaires de paix. Le traité fut conclu le 28 mars moyennant la clôture des ports des deux Siciles aux Anglais et aux Turcs; la renonciation du roi de Naples à l'île d'Elbe, aux présides de Toscane et à la principauté de Piombino; le rappel enfin et la mise en liberté des Napolitains bannis ou détenus pour causes politiques.

Dans ce même mois de mars 1801 l'exécution du traité de Lunéville avait amené entre l'Espagne et la France la signature d'une convention pour l'établissement en Toscane de l'infant de Parme, en échange de son duché cédé à la république française. Mais le duc régnant ayant refusé les offres qui lui étaient faites, la France n'insista pas, et le duc resta paisible possesseur de ses états jusqu'à sa mort, arrivée en 1804. Il ne res

fût pas fixé. La France en fit détruire les forteresses. L'Angleterre n'avait plus au midi d'autre allié que la cour de Lisbonne. Un corps de trente mille hommes se mit en marche d'Italie vers les Pyrénées.

Dans ce traité, la cour de Vienne s'était peu occupée de ses alliés d'Italie. On n'y voit figurer ni le pape, ni le roi de Naples, ni le roi de Sar-tait plus en Italie que le Piémont dont le sort no daigne. Le général Miollis, à la tête d'une poignée de Français et de Cisalpins, tenait toujours tête aux troupes napolitaines commandées par le comte Roger de Damas, et au corps autrichien de Sommariva, renforcé par les insurgés toscans. Il les repoussa, prit Sienne et força l'ennemi à se retirer sur le territoire romain. Une troisième armée française avait sur ces entrefaites passé les Alpes par le petit Saint-Bernard, le Mont-Cenis et le Mont-Genèvre. Elle était peu nombreuse, mais Murat la commandait. Sa mission était plus diplomatique que guerrière. Il lui était enjoint de rétablir l'indépendance des états de l'église, en les affranchissant de l'occupation des troupes napolitaines qui, du château de Saint-Ange, dévastaient le territoire de Rome; de respecter ce territoire et de n'y mettre le pied qu'à la réquisition du pape. Son premier devoir, à Florence, avait été de faire connaître aux ministres romains

La déclaration des puissances du nord d'un retour aux principes de neutralité, avait été regardée à Londres comme une déclaration de guerre. Paul I avait mis embargo sur les bâtiments anglais. L'Angleterre mit embargo sur les bâtiments russes, danois et suédois; les Prussiens ne furent pas compris dans cette mesure. Il s'en suivit un échange de notes qui n'eut aucun résultat. Cependant des escadres s'armaient dans les ports britanniques. Elles allaient mettre à la voiic pour la Baltique : le sort des armes était indécis. Pitt, qui a inondé l'Europe de sang humain, se retira avec quelques autres ministres. Voici le portrait qu'a tracé un écrivain de cet homme

d'état, dont la mémoire doit être, par tous les gens de bien, vouée à une exécration éternelle, et le nom cloué au pilori de l'histoire.

« Williams Pitt, fils du célèbre Chatam, cut une jeunesse si emportée que ses ennemis l'avaient nommé l'Enfant-Colère. Il tint les rênes du gouvernement anglais sous un roi imbécile et entêté, et les tint, quoique fort jeune encore, d'une main de fer. Il n'eut qu'un seul but dans tout le cours de sa vie, l'avilissement de la nation française. Il chercha à l'atteindre par tous les moyens, et employa tous les ressorts de ce qu'on est convenu d'appeler la haute politique. Sa funeste influence se fit sentir principalement sur la révolution française l'élan d'un grand peuple vers la liberté et l'égalité fit son tourment; aussi ne négligea-t-il rien pour déshonorer cette révolution. Il se fit tour à tour constitutionnel, fédéraliste, terroriste, accapareur, agioteur, faussaire, incendiaire, brigand et bourreau: rien ne l'arrêta, ni l'humanité, ni la morale publique, ni la liberté du pays anglais dont il se joua; il sacrifia toujours au besoin d'écraser son ennemi les principes d'honneur et de probité qui s'étendent aux intérêts des peuples et des empires comme à ceux des individus ; ce qui imprima aux opérations du cabinet de Saint-James ce caractère d'égoïsme barbare que l'histoire ne lui pardonnera jamais.

» Ses amis lui ont fait une réputation d'habileté, de fermeté, de persévérance et de force d'esprit; ils lui ont même prêté des combinaisons profondes qui ne lui appartinrent jamais, ou qu'il ne dut qu'aux circonstances et qu'au besoin dont il était sans cesse tourmenté de soumettre l'Europe au machiavélisme anglais. Toutes ses affections étaient dominées par un désir insatiable de gouverner: son ambition fut poussée jusqu'au délire.

» On ne peut cependant pas nier qu'il n'ait été homme d'état, dans l'acception que les courtisans donnent à ce mot; mais il eut en partage plus de finesse que de véritable pénétration, plus d'entêtement que de force de caractère, plus de machiavélisme que d'habileté. Comme orateur, il se fit remarquer par la netteté de ses paroles, par la précision de l'analyse et par une diction brève et imposante plutôt que majestueuse et séduisante il posséda au suprême degré le calme et le sang-froid dans la discussion; ce qui lui donna souvent une sorte de supériorité sur ses adversaires, des moindres fautes desquels il profita toujours. Rarement il cherchait à émouvoir et à entraîner ses auditeurs par des mouvements de cette éloquence brûlante que son rival, Fox, possédait au plus haut point; il s'adressait plutôt à leur esprit, à leur tête, qu'à leur cœur. Chez Fox, a dit plus tard Napoléon, le cœur

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échauffait le génie, et chez Pitt, le génie dessćchait le cœur. Ce que la postérité reprochera à Pitt, ce sera la hideuse école qu'il a laissée après lui, son immoralité profonde, son froid égoïsme, son mépris pour le sort des humains ou la justice des choses. » Pitt, en un mot, a montré à l'univers ce que peut le génie du mal, secondé par celui de la richesse il a été l'Attila moderne, et semble avoir pris à tâche de justifier le décret de la convention` nationale qui le déclara l'ennemi du genre humain.

» Par cela même, Pitt fut l'homme de l'aristocratie européenne, de cette caste qui, suivant l'expression d'un grand homme, n'a point d'entrailles. Son système, continué, en Angleterre, par les Castlereagh, les Wellington, les Peel, et en France, par les Villèle, les Polignac, les Guizot, a ménagé l'asservissement des peuples et le triomphe des patriciens. Mais, pour obtenir ce triomphe éphémère, Pitt a légué la banqueroute à la Grande-Bretagne, comme les Villèle et ses successeurs la légueront à la France, dont ils ont dévoré par avance les ressources et qu'ils ont laissée sous le poids d'une dette énorme. »

Un des actes de Pitt qui doivent perpétuer l'exécration attachée à son règne fut le bombardement de Copenhague en pleine paix.

Le 12 mars la flotte anglaise, forte de dix-huit vaisseaux de ligne, quatre frégates et trente chaloupes canonnières ou bombardes, en tout cinquante-deux voiles, sort d'Yarmouth cinglant vers le nord. Le 20 elle entre à Catégat et mouille près de l'île d'Anholt. Un plénipotentiaire est envoyé au prince royal de Danemarck, avec des sommations qui ne peuvent être admises. Le 25 la flotte fait voile vers le nord de la Zélande, et l'amiral Parker fait demander au gouverneur du château de Cronborg s'il fera feu sur les vaisseaux anglais lorsqu'ils franchiront le Sund. Le gouverneur ayant répondu qu'il ne pouvait permettre à une flotte dont les intentions ne lui étaient pas connues de s'approcher du fort, l'amiral trouva dans cette réponse une déclaration de guerre, et annonça qu'il ne pouvait différer les hostilités. Les boulets du fort se perdirent dans le canal sans causer aucun dommage à la flotte. La côte suédoise n'avait qu'une misérable batterie de huit pièces de canon qui semblèrent plutôt saluer le passage de l'ennemi que vouloir y mettre obstacle. Le 50 mars, sur le tard, la flotte était devant Copenhague. Le 2 avril, douze vaisseaux de ligne, quatre frégates et trente bombardes ayant été confiés par Parker à Nelson, celui-ci osa encore une fois, comme devant Aboukir, s'abandonner à la fortune. Il le pouvait, car la flotte danoise et les forts qui défendent la rade étaient en état de désarmement.

passée autour de son cou finit la lutte en terminant ses jours. A neuf heures il avait soupé avec sa famille, à onze heures il n'existait plus; deux heures après on proclamait Alexandre!... (')

Cependant on traitait à Copenhague, en présence de la flotte anglaise. Au lieu d'une renonciation formelle au traité de neutralité maritime, la seule concession à laquelle se prêta le prince royal fut que ce traité serait, relativement à la coopération du Danemarck, suspendu aussi longtemps que la trève resterait en vigueur : et, par une convention signée le 9 avril, la durée de cette trève fut fixée à quatorze semaines. Les vaisseaux du Danemarck demeuraient dans le même état. Copenhague et les environs devaient être respectés; mais les Anglais pouvaient s'y pourvoir de tout ce qui était nécessaire à leur flotte. Cet avantage était immense.

Cependant le début de Nelson ne fut pas heu- | débat, et, dans ce choc inégal, une écharpe reux. Trois de ses vaisseaux furent maltraités par le feu des Danois. Ceux-ci combattirent avec une ardeur incroyable et une rare opiniâtreté. Mais le sort trabit leur courage. La journée fut pour les vainqueurs, qui avaient pour auxiliaires de leur triomphe la puissance d'une artillerie considérable. Mais la palme de la gloire comme de la justice appartint aux vaincus, si l'on peut appe ler vaincus des hommes qui, bien qu'aux trois quarts désarmés, foudroyaient du haut de leurs pontons les vaisseaux anglais. Parker envoya à Nelson l'ordre de finir le combat. Celui-ci tenta une négociation, portant que, si l'on ne cessait pas le feu, il brûlerait cinq pontons dont il ne pourrait pas sauver les équipages. On lisait en tête de cette proposition: les Anglais à leurs frères, les braves Danois. Le feu cessa, et bientôt on vit échouer trois vaisseaux anglais, du nombre desquels était celui même de Nelson. Ce chef débarqua au port et traversa la ville à pied pour se rendre auprès du prince. L'attitude des habitants était formidable. Vieillards, hommes, enfants, femmes, tout avait pris les armes. On ne put s'entendre que sur un armistice provisoire. Au milieu de la discussion on apprend la mort de l'empereur de Russie. Dans la nuit du 24 au 25 mars, il avait cessé de vivre. Le Moniteur annonça ainsi cet événement: «Paul ler est mort » dans la nuit du 24 au 25 mars!!! L'escadre » anglaise a passé le Sund!!! L'histoire nous ap» prendra les rapports qui peuvent exister entre » ces deux événements. >>

Paul s'était rapproché de la France pour plaire au gouvernement français, il avait obligé Louis XVIII à quitter Mittau et le territoire russe. Il correspondait en outre avec le premier consul. En fallait-il plus à l'Angleterre pour machiner sa perte? Les rassemblements des conjurés eurent lieu dans l'hôtel de madame de Gérobsow, qu'avait habituellement fréquenté l'ambassadeur anglais Withworth. Elle était sœur des Subof, tour à tour exilés et rappelés par Paul. A la tête de la conspiration était le ministre en crédit, le successeur de Rostopchine, le général Pablen. Son premier soin fut de jeter des soupçons entre l'empereur et son fils Alexandre, qui consentit à l'abdication de son père, sous la condition seulement qu'il ne serait pas attenté à ses jours. Paul s'était retiré au palais Michel, moins vaste et mieux fortifié. Subof se présenta à la porte de l'appartement de l'empereur que gardaient deux hussards, l'un est frappé d'un coup de sabre on entre dans la chambre. « Sire, s'écrie Subof, je vous arrête au nom de l'empereur. Et il lui présente un acte d'abdication. Paul refuse, se

En Russie, la dépouille de Paul était la proie de ses assassins. Les uns voulaient une réconciliation avec l'Angleterre, les autres soutenaient les principes de la neutralité. Enfin le parti anglais devint le plus fort, l'embargo fut levé le 18 mai, et un mois après, le 17 juin, une convention fut conclue, par laquelle la Russie sacrifia non seulement ses propres droits, mais encore ceux de toutes les nations neutres dont elle avait le dépôt. Alexandre offrit à Louis XVIII de continuer sa pension de deux cent mille roubles, qu'il rejeta en quittant la Russic. Le Danemarck et la Suède furent forcés de fléchir. L'embargo levé en Russie ayant été aussi levé le 19 mai en Suède, l'Angleterre en revanche révoqua celui qu'elle avait mis sur les bâtiments danois, suédois et russes. Deux terribles accusations pèseront à jamais sur la mémoire d'Alexandre: il détruisit la sainte-alliance maritime en 1800, et, en 1815, il fonda l'alliance impie des rois contre les peuples.

Si cette alliance formée pour délivrer les mers du despotisme que l'Angleterre y exerçait n'eût pas été brisée aussitôt, la république n'eût jamais perdu l'Égypte. Kléber s'y serait maintenu. mais après sa mort, l'armée d'occupation se trouva malheureusement partagée entre ses deux chefs Menou et Regnier; ce ne fut plus qu'ur champ d'intrigues, dont les Anglais profitèrent Le combat d'Alexandrie, celui de Canope, et de

Une de ces femmes que la police compte parmi ses agent écrivait à Fouché, à l'occasion de l'avènement d'Alexandre Le jeune empereur marche précédé des assassins de sor grand-père, suivi des assassins de son père et entouré des siens. Voilà, dit Fouché, une femme qui fait du Tacite. Et en effet, Alexandre montait au trône sur le corps de son pèrs. et il était contraint de s'appuyer sur les normes qui lui avaien fait cet horrible marche-pied. Le choix même de ses premiers envoyés atteste cet asservissement.

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