Page images
PDF
EPUB

visa qu'elle était incomplète. Par un nouvel arrêté, il rétablit les processions de la Fête-Dieu et de l'Octave. Pendant ces deux jours, la circulation des voitures serait interdite de huit heures du matin à trois heures de l'après-midi, et il était enjoint de tapisser toutes les maisons sur le passage du Saint-Sacrement. « Le peuple des boutiques et des ouvriers a été ulcéré, écrivait J. P. Brès le 4 juillet. Il va à la messe, mais volontairement, tandis que les processions lui barrent le chemin et le forcent à saluer; cela le rend furieux. » Il y eut des résistances, de petites émeutes. Des gens qui refusaient de s'incliner devant les processions furent frappés. Rue Saint-Honoré, la police repoussée par les marchands dut appeler à son aide la gendarmerie pour faire fermer les boutiques. Beugnot reçut des lettres d'injures, une pétition fut adressée à la Chambre des députés. On disait: « Bientôt on sera forcé d'aller à confesse. » Et de fait, dans certaines communes, les indigents eurent à produire des billets de confession pour obtenir des secours. On accusait Louis XVIII de se laisser mener par le clergé. Une caricature représentait le vieux roi, ventru et impotent, dans un fauteuil à roulettes, sur le dossier duquel un prêtre avait les deux mains. La légende portait : « Va comme je te pousse.»

་་

Les cérémonies funèbres à la mémoire de Louis XVI et de Marie-Antoinette, célébrées dans les cathédrales du royaume, prirent malheureusement un caractère politique par la faute du clergé. Les prédicateurs

1. Moniteur, 10 et 11 juin.

2. J. P. Bres à son oncle, Paris 4 juillet. (Arch. Aff. étr., 675.) Rapport de Kellermann, Strasbourg, 20 juillet. (Arch. Guerre.) Journal de Paris, 18 juillet. Rapport de police 26 juin, 19 juillet. (Arch. nat. F. 7, 3738, F. 7, 3053.) 3. Lettres à Beugnot, juin. (Arch. nat. F. 7, 3204. et F. 7,3053. Le Censeur. n° 1, 38. Moniteur, 1er juillet. Quelques vérités inédites, 10. Bulletins et rapports de police, 17, 18, 20, 21, 22 juillet, 3 novembre. (Arch. nat. F. 7, 3204, F. 7, 3738, F. 7, 3739.)

condamnèrent en masse, avec les régicides, tous les citoyens qui, depuis 1789, avaient pris part à la Révolution. Ils n'oublièrent pas dans leurs anathèmes les acquéreurs des biens d'église. Les paroles qui avaient retenti dans la chaire furent reproduites et commentées par la presse. Les journaux royalistes n'en étaient pas encore à demander ouvertement que l'on proscrivit les votants, c'est-à-dire les régicides, et que l'on fit rendre gorge aux acquéreurs, mais ils ne cachaient pas leur mépris pour eux. « Ces gens là, disaient-ils, ne sauraient se plaindre puisqu'ils ont conservé tout, fors l'honneur. » Comme la censure préalable venait d'être rétablie, on pensa que puisque le gouvernement laissait paraître ces articles, c'est qu'il en approuvait l'esprit ; et les exaltés de l'autre parti ripostèrent en distribuant au parterre de la Comédie-Française des annonces manuscrites ainsi conçues: « Demain, grand bal au Cirque pour l'anniversaire de la mort de Louis XVI. »

D'autres cérémonies funèbres furent solennellement célébrées pour Moreau, pour Pichegru, pour Cadoudal. Tous ceux qui avaient conspiré ou combattu contre la République étaient glorifiés. Le roi paya les frais du service de Georges à l'église Saint-Paul. Les journaux ne manquèrent pas de le faire savoir 3. Les royalistes vantèrent à la fois la générosité de Louis XVIII et sa haute justice. Mais le public ne fut qu'à demi édifié, car aux yeux de beaucoup de Français Georges n'était qu'un assassin et un dévaliseur de voitures publiques

4

[ocr errors]

1. Correspondance des préfets, mai, juin, juillet. (Arch. nat. F1a, 581. Carnot de Feulins au roi, 24 nov. (Arch. Aff. etr., 646.) Cf. Lafayette, Mem.

V, 327. Benj. Constant, Mém. I, 32-33 et notes.

2. Rapport de police, 7 juin. (Arch. nat. F. 7, 3053.)

3. Journal des Débats, Gazette de France, 24, 25, 26, 27 juin.

4. Rapp. de police, 28 juin. Cf. Rapp. de police 17 oct. Arch. nat F. 7, 3101, et F. 7, 3739.)

III

C'était faire des mécontents pour rien, pour le plaisir. Or, des mécontents, on était contraint d'en faire déjà trop par les inflexibles exigences de la situation. Un des plus grands embarras pour le gouvernement de Louis XVIII, le principal peut-être, car de celui-là dérivaient la plupart des autres, était la question d'argent. Les grands armements et les désastres des années 1812 à 1814 laissaient un arriéré, non de seize cents millions, comme l'abbé de Montesquiou, ministre de l'intérieur, osa le dire le 12 juillet à la Chambre des députés ', mais de cinq à six cents millions. Le baron Louis proposa de combler ce déficit au moyen de bons temporaires, remboursables en trois ans, portant intérêt à 8/000 et garantis par l'aliénation de 300,000 hectares de forêts et par la vente des biens communaux 3. Les royalistes purs

1. 1,645,569,000 francs. Moniteur, 13 juillet, supplement.

2.

Dans cette menace d'un déficit de plus de 1,600,000,000 de francs, il y avait une exageration de treize quatorzièmes au moins.. Mollien, Mém. IV, 150. -La dette antérieure au 1er avril 1814 fut definitivement réduite en 1817, par le résultat des liquidations, à 503, 980, 190 francs.. Gaudin, Mém. II, 26. Les quinze années, sauf les rectifications qu'il ne dépend de personne de faire, ont perçu 13, 851, 382, 246 fr. et ont depense 14, 293, 666, 878 fr. Si ces deux sommes étaient d'une exactitude rigoureuse, le deficit de la gestion consulaire et imperiale serait de 442. 284. 632 fr. Le déficit de l'empire a ete probablement de la moitié de 1.300.000.000 fr. Paul Boiteau, article Budget général de l'Etat. (Dictionnaire des Finances, I, 558-559.)

Cf. sur cette question et sur les chiffres erronés qu'avait fournis à Montesquiou un ancien chef de bureau du Trésor public, nomme Bricogne: Mollien, Mém. IV, 149-150, 167-174, et annexes I à VI. Gaudin, Mém., II, 1-25, Villèle, Mém., I, 271, 271, 278-180. Roullion, le Furet ou l'Observateur 1814, n° IV.

Les materiaux et brouillons pour l'Exposé de la situation financière du royaume existent aux Archives nationales (cartons F1e 14 à F'e 23). Dans ces pièces, plusieurs chiffres sont surcharges et majores. Ainsi l'arriére pour la Guerre (non compris l'Administration de la Guerre) est porte à 104 millions au lieu de 71,473,453 fr.

3. Moniteur, 23 juillet.

Une ordonnance royale du 6 juin avait déjà consacré les alienations nationales. La vente des biens des communes, tant reprochee à Napoleon, continua sous la Restauration.

auraient voulu ne payer qu'à moitié ou même ne pas payer du tout les créanciers des gouvernements usurpateurs. Certains libéraux accusaient le ministre des finances de faire de l'agiotage. Les uns et les autres combattirent à la tribune le projet du baron Louis'. La Chambre ne l'en vota pas moins, et de l'ouverture à la clôture de la discussion, la rente monta de 65 à 78 francs. Mais pour limiter les dépenses des six derniers mois de 1814 à la somme que Louis avait comprise dans l'arriéré de l'empire, il fallait faire de grosses économies. On réduisit le budget des différents ministères. Nombre d'employés furent remerciés; ils allèrent grossir la masse de mécontents que formait déjà le personnel administratif et judiciaire qui avait dû quitter les départements cédés par le traité du 30 mai 2.

Les principales réductions portèrent naturellement sur les services de la marine 3 et de la guerre. « Nous avons plus de soldats qu'il ne nous en faut, disait Louis, puisque nous manquons d'argent pour les

1. Moniteur du 24 août au 3 sept. Cf. Villèle, Mém. I, 278-280. 2. Rapp. de Huss, 27 et 31 mai. (Arch. nat. F. 7, 32004.) — Une lettre du comte de La Ferronnays du 9 juillet 1814 porte à 15,000 les employés renvoyes. (Arch. nat. F. 7, 3204.) Ce chiffre parait fort exageré, du moins à cette date, car dans les derniers mois de 1814 et les deux premiers de 1815, il y eut encore des hécatombes de fonctionnaires subalternes (Rapp. de police, 7 dec. 1814, 7 janvier, 9 fevr., 1" et 2 mars 1815). (Arch. nat. F. 7, 3739.) Sur la foule des mecontents créée par la reforme des employés, Cf. Wellington à Castlereagh, Paris, 4 oct. (Dispatchs, Supplement, IX.)

3. La marine fut pour ainsi dire abandonnee. Après avoir cedé sans discussion aux Allies, par le traité du 30 mai, 31 vaisseaux de ligne et nombre de fregates, corvettes, etc., on mit en vente une partie des bâtiments dont ce traité stipulait le retour à la France. (Decrès à Caulaincourt, 20 mai 1815. (Arch. Aff. etrangères, 1802.) Cf. Rapp. de police, 20 août 1814. (Arch. nat. F. 7, 3783.) Des bâtiments qui étaient dans nos ports, la plupart furent désarmés. Les deux tiers des équipages furent envoyes en congé et l'on consomma tout l'approvisionnement sans rien remplacer. Au 20 mars 1815, il n'y avait à flot qu'un seul vaisseau, 11 fregates et 76 corettes, flûtes, gabares et transports. Avec un tel budget, ecrivait Decrès, la marine se serait affaiblie chaque année de la valeur de sept vaisseaux de 74. ・ (Decrès à Napoleon, 26 mars et 15 avril 1815, et etat de la flotte au 20 mars 1815. (Arch. nat. A F., IV., 1941.)

[ocr errors]

payer». Or, au mois d'avril, quand le ministre des finances tenait ce propos, l'armée, par suite des désertions en masse, comptait à peine 90,000 présents sous les armes, et les désertions ne s'arrêtaient point. On pouvait craindre que l'espérance des Alliés, d'un licenciement de l'armée française 3, ne se trouvat bientôt réalisée. Heureusement, les nombreux prisonniers des forteresses d'Allemagne et des pontons d'Angleterre, et les garnisons de Hambourg, de Magdebourg, d'Anvers, de Mayence allaient combler les vides. On aurait encore trop de soldats vu les nécessités budgétaires. Le 12 mai, le roi rendit une ordonnance sur la réorganisation de l'armée. L'infanterie fut réduite de 206 régiments à 107; la cavalerie de 99 régiments à 61 5; l'artillerie d'environ 339 compagnies à 184; le train d'artillerie de

1. Marmont, Mém. VII, 6. 2. Vitrolles, Mém. II, 181. D'avril à mai, il y eut 180.000 déserteurs. Rapport de Davout à Napoléon, s. d. (du 25 au 29 mars 1815. Arch. nat. AF. IV, 1936).

3. Metternich à l'emp. d'Autriche, 11 avril. (Metternich, Mém. II, 471-472.) Beugnot à Louis XVIII, 13 mai. (Arch. Aff. étr., 646.)

-

4. Mars 1814; 130 reg. d'infanterie de bataille (nominalement il y avait sous l'empire 156 reg. d'infanterie, mais 26 n'avaient pas ete formes en l'an XII ou avaient ete detruits complètement depuis et non reformes). 32 rég. d'infanterie legère (nominalement il y avait 37 reg., mais, pour les causes énoncees ci-dessus, cinq n'existaient que sur le papier). 4 reg. de vieille garde; 40 reg. de moyenne garde et de jeune garde. Septembre 1814: 90 reg. de ligne; 15 reg. d'infanterie legère: - ? reg. de l'ex-vieille garde sous le nom de Corps royaux de Grenadiers de France et de Chasseurs de France. (Les hommes de la moyenne et de la jeune garde maintenus au service furent incorpores dans la ligne et l'infanterie legère.)

5. Mars 1814. 91 rég. de cavalerie de la ligne; - 4 très forts régiments de la garde (sans parler des Polonais); - 4 reg. de gardes d'honneur.

Septembre 1814: 57 reg. de cavalerie de la ligne; reg. de l'exgarde sous le nom de Chasseurs, Dragons, Chevau-légers et Cuirassiers de France (ce dernier regiment forme avec les ex-grenadiers à cheval).

6. Mars 1814: 9 reg. a pied ayant chacun de 20 à 32 compagnies; 6 reg. à cheval à 8 compagnies; - 1 reg. à pied de la vieille garde à 6 compagnies; -1 reg. à cheval à compagnies ; 1 reg. à pied de la jeune garde à 14 compagnies.

Septembre 1814: 8 reg. d'artillerie à pied à 21 compagnies; - 4 rég. à cheval à 4 compagnies.

« PreviousContinue »