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Les fédérés ne gardèrent pas rancune à Napoléon de ses défiances et de sa parole faussée. Quand ils se rendaient dans les lieux de rassemblement, pour y faire sans armes l'école du soldat, ils mêlaient les cris de Vive l'empereur! aux couplets de la Marseillaise et du Ça ira. Le 1er juin, six cents fédérés portent processionnellement de la rue de Grenelle SaintHonoré à la barrière d'Italie un buste de Napoléon couronné de violettes et de lauriers. Arrivés place d'Italie, ils dressent un bûcher et y brùlent, aux roulements des tambours, un drapeau blanc et la dernière proclamation de Louis XVIII'.

De mêmes scènes se passent dans les départements. Les habitants de Saint-Mihiel élèvent sur la place publique un autel à Napoléon; son buste repose au milieu des drapeaux tricolores sur un tertre de gazon décoré d'écussons où se lisent les vers de Voltaire :

Le premier qui fut roi fut un soldat heureux.
Qui sert bien son pays n'a pas besoin d'aïeux.

et autres centons de même goût. A Strasbourg, on inaugure la fédération alsacienne par un repas de 500 couverts, des chants patriotiques, des promenades de drapeaux. « L'enthousiasme est extrême, écrit le général Rapp. On n'a pas vu cela depuis la Révolution. » A Dijon, des jeunes gens saccagent le café des royalistes, surnommé le Café Raguse. Au théâtre de Rouen, le public réclame chaque soir la

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le general Durosnel commandant la garde nationale. Le conseil d'Etat. saisi de la question, decida que les inconvénients de la levée en masse ne paraissaient pas devoir l'emporter sur l'avantage d'armer la classe des citoyens chez laquelle le sentiment du joug de l'etranger se developpait le plus fortement. (Arch. nat. AF. IV, 1935.)

1. Rapport de police, 1er et 4 juin. (Arch. nat. F. 7, 3740, et F. 7, 3204.) Cf Guizot, I, 71-72. Voir aussi le Journal de l'Empire, 24 mai: On a entendu avec peine le nom de l'empereur mêle à des chants qui rappelaient une époque trop fameuse; et Barante, Soue., II, 146: Chacun a degout et horreur de la federation des faubourgs.

Marseillaise et la Lyonnaise. Sur le refus du clergé de Limoges de chanter le Domine salvum, la foule assemblée dans la cathédrale entonne elle-même l'hymme liturgique. Le maréchal Suchet loue l'extrême patriotisme de l'Ain et du Rhône. « Si les royalistes osaient bouger, écrit le capitaine de gendarmerie d'Angoulême, ils seraient écrasés par les paysans qui sont très montés. » « Dans tout l'arrondissement, écrit le sous-préfet de Saumur, l'amour pour Napoléon va jusqu'à l'ivresse. » Malgré la pluie, dix mille personnes se portent à une lieue de Nimes au devant du 63 de ligne en criant: Vive l'empereur! Les citoyens de Landau donnent un drapeau d'honneur à la garde nationale des Vosges pour sa défense de la place en 1814. Les jeunes filles de Mulhouse décident qu'elles n'épouseront que des hommes qui auront combattu dans la prochaine guerre; elles viennent en prêter le serment solennel entre les mains du général Rapp. A Bar-sur-Ornain, le jour de la FêteDieu, les habitants placent sur un reposoir un enfant de cinq ans, habillé comme le roi de Rome, et forcent le curé à lui poser une couronne sur la tête1.

C'étaient là des paroles et de faciles manifestations, mais il y avait des actes. A la fin de mars, Davout estimait que l'on pourrait faire rentrer dans l'armée de 59,000 à 85,000 hommes appartenant aux classes antérieures à celle de 1815 et alors en congé. Or. le 14 juin, malgré l'opposition des maires, les menées des royalistes, les manoeuvres des embaucheurs et les troubles de l'Ouest et du Midi, où les levées avaient

1. Correspondance des préfets et rapports à l'empereur, 10 avril, 1a, 16, 22 mai, 4 et 6 juin. (Arch. nat. F. 7, 3044, F. 7, 3774. F, I, 26. Rapp. Mém., 354-353. Correspondance generale, 4, 18 et 24 avril. 4, 22 mai, 6, et 9 juin. Arch. Guerre.)

2. Rapports de Davout à Napoléon, s. d. (27 ou 28 mars, et 3 ou 4 avril.) (Arch. nat. AF. IV, 1936, )

été suspendues par ordre de l'empereur, 76,000 rappelés étaient incorporés dans les régiments ou en marche pour les rejoindre'. A cette même date du 11 juin, les conscrits de 1815, dont le rappel avait été décidé seulement le 30 mai, étaient mis en route au nombre de 46,000 sur 55,000 désignés pour partir. La levée des gardes nationaux mobiles de vingt à quarante ans, qui si impopulaire en 1814 n'avait donné pendant la campagne de France qu'une quarantaine de mille hommes 3, en avait déjà donné 150,000 au 15 juin. Des bataillons étaient entièrement formés de gens mariés. Les mobilisés quittaient leurs foyers aux cris de: Vive l'empereur!

1. Rapport de Davout à Napoleon, 11 juin. (Arch. nat. AF. IV, 1936.) Nous donnerons au tome II de 1815 tous les détails sur l'organisation de l'armée et des gardes nationales mobilisees pendant les Cent Jours. 2. Napoléon à Drouot, 30 mai. (Arch. Guerre, carton de la corresp. de Napoleon.) Rapports de Davout à Napoléon, 23 mai et 11 juin (Arch. nat AF. IV, 1534, et AF. IV, 1936.)

3. H. Houssaye, 1814, 11.

4. Un état du 8 juin contresigne par Davout (Arch. nat. AF. IV, 1936) porte à 132,272 le chiffre des gardes nationaux arrives ou en route. Carnot dans son rapport du 13 juin à la Chambre des pairs elève ce chiffre à 150,121. Bien que les differents effectifs cites dans le rapport officiel de Carnot soient generalement majorés d'un quart, le chiffre de 150,000 parait à peu près exact, car du 8 juin au 12 juin les operations du recrutement avaient continué. Ainsi, le contingent des Landes, porte seulement à 209 hommes dans l'etat du 8 juin, s'etait augmente le 17 juin au point de former trois bataillons. partis pour Bayonne (Situation du géneral d'Armagnac, 17 juin, Arch. Guerre). Les mobilisés de Seine-etOise, comptant 2,226 hommes le 8 juin. etaient 4,500 le 16 juin. (Prefet de Seine-et-Oise à Carnot, 16 juin. Arch. Guerre.)

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Les départements les plus empresses à concourir à la defense furent l'Aisne, l'Aube, la Côte-d'Or, la Marne, le Rhône, la Haute-Saône, les Vosges, l'Yonne, qui donnèrent tout le contingent demande; l'Ain, qui donna 4,538 hommes sur 5,030 demandés; les Ardennes: 3,475 sur 5,010; la Haute-Marne: 2,164 sur 2,520; la Meurthe: 8,100 sur 1,0000; la Meuse : 4,137 sur 3,000; le Haut-Rhin : 7,519 sur 10,000; Seine-et-Marne : 3,346 sur 5,040; Seine-et-Oise : 4,500 sur 5,040.

Les departements les plus réfractaires (sans parler de l'Ouest et du Midi où la levée ne fut pas ordonnee ou ne le fut, dans certains departements, que posterieurement au 15 mai) furent le Calvados qui donna 240 hommes sur 3,780 demandés; le Gers: 98 sur 1,440; la Loire: 582 sur 2,460; l'Orne: 107 sur 2,160; le Pas-de-Calais : 437 sur 7,440; la Seine-Inférieure : 656 sur 10,080. (Etats des gardes nationales d'élite, 31 mai et 8 juin. Arch. nat. AF. IV, 1925, et AF. IV, 1936.)

Vive la nation! Mais ce qui valait mieux que leurs cris, c'étaient leurs sacrifices et leur male résolution. Ceux qui avaient quelque argent s'armèrent, s'habillèrent et s'équipèrent à leurs frais; les autres, c'était le plus grand nombre, restaient sourds aux propos des royalistes que tout combattant fait prisonnier sans uniforme régulier serait impitoyablement fusillé, et partaient en blouse, en sabots, pieds nus'. 25,000 militaires retraités après vingt-quatre ans de service (officiers, sous-officiers et soldats) se présentèrent pour former des bataillons de forteresse. 15,000 engagés volontaires entrèrent dans la jeune garde et dans la ligne 3. Sur la demande des élèves des lycées, on organisa dans chaque ville, avec des collégiens volontaires de seize ans et au-dessus, des compagnies d'artillerie. Des jeunes gens de dix-huit à vingt ans se formèrent en compagnies franches. Il y a les éclaireurs à cheval de la Côte-d'Or, les franestireurs de Macon, les tirailleurs de Saône-et-Loire, les 900 chasseurs des Landes pour la défense des Pyrénées; il y a le corps franc de la Seine, de 700 hom

1. Carnot à Napoléon, 10 mai. Rapport du comte de Sussy, 18 mai Davout à Napoleon, 27 et 28 mai. (Arch. nat. AF. IV, 1935, et AP. IV, 1936.) Lettres à Davout: de Gruyer, Vesoul, 20 avril; de Rouyer, Lunéville, 22 avril ; de Fririon, Paris, 5 mai; de Hervo, Poitiers, 9 juin; de Suchet, Chambery, 10 juin. (Arch. Guerre.) Corresp. des prefets, 1, 4, 15, 16, 17, 22 et 27 mai, 3, 4, 5, 6, 8, 9, 11, 14 juin. (Arch. nat. F. 7, 30442, et F. 7, 3774.) 2. Rapports de Davout, à Napoleon, 11, 20, 22 et 28 mai. (Arch. nat. AF. IV, 1936). Dans l'Erposé de la situation de l'Empire, fait le 13 juin à la Chambre des pairs, Carnot porte à 33,000 le chiffre des retraites rentres sous les drapeaux, mais il y a majoration.

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3. Carnot, dans l'Exposé precite, dit: 20.000. Il est possible qu'il n'exagère point, car si le recensement total des volontaires ne semble pas avoir ete fait, les rapports des generaux et les lettres des préfets établissent qu'il eut des volontaires en plus ou moins grand nombre dans tous les departements: 250 dans les Vosges, 308 dans la Gironde, 26 dans le Loiret, 127 dans l'Ardèche, etc. Le 3 mai, Paris avait donne 1,100 volontaires, et le 1er juin, Lyon en avait donne 2,800. Napoleon à Lobau, 5 mai. Arch. nat. AF. IV, 907. Rapport de Lannoy a Napoleon. Lyon, 1er juin. Arch. Guerre.) 4. Circulaire de Carnot aux préfets, 3 juin (Arch. nat. F1a, 31). Cf. Barry, Cahier d'un rhetoricien, 93, 111. Journal de l'Empire, 19 avril.

mes, les francs-tireurs de la Meurthe, de 10 compagnies, les tirailleurs de la Moselle, de 500 hommes, les lanciers-chasseurs de la Moselle, de 400 cavaliers. «Tous ces hommes, dit Davout, rendront de très grands services '. »

Les fédérés de Lyon, les ouvriers de Vesoul, les paysans de l'Argonne travaillent gratuitement aux redoutes, aux tranchées, aux palanques, aux abatis. A l'exemple des grenadiers de la garde impériale, qui ont pris l'initiative d'aller remuer la terre sur les hauteurs de Montmartre et de Belleville, les douze légions de la garde nationale et les vingtquatre bataillons de tirailleurs-fédérés fournissent chaque jour des terrassiers volontaires non rétribués. Le 2 bataillon de la 12 légion construit à Charonne un petit monument avec cette inscription: Liberté! Patrie! Napoléon! La 12 légion qui a élevé ces retranchements jure de mourir pour les défendre 3. Le 7 bataillon de la garde nationale du Bas-Rhin demande à faire partie de la grande armée, les mobilisés des Vosges veulent qu'on les emploie en première ligne, les mobilisés de Cherbourg sollicitent leur incorporation dans la ligne'. « Cinq mille hommes, volontaires, rappelés, retraités, mobilisés, sont partis en deux mois, écrit le préfet du MontBlanc, plus qu'à aucune époque de la Révolution *. »

1 Davout à Napoleon, 18 et 22 avril, 25 et 30 mai Arch. nat. AF. IV, 1936). Gerard à Davout, Metz, 29 mai. Prefet des Landes à Carnot, 1 juin. Rapport du colonel Viriot et du major Commaible, 5 et 14 juin. (Arch. Guerre.) 2. XII arrondissement: faubourgs Saint-Victor, Saint-Jacques et SaintMarcel.

3. Rapports de Davout, de Dejean et de Lannoy à Napoleon, 19, 20, 24, 29 mai. Kapp. de police, 1o, 3, 4 juin. (Arch. nat. AF. IV, 1940, F. 9, 754, F. 7, 3771. Journal de l'Empire, 12 juin. Gruyer à Davout. Vesoul, 30 avril. Leclerc des Essarts à Lobau,Sainte-Menehould, 29 et 31 mai. (Arch. Guerre.) 4. Les officiers du 7o bataillon à l'empereur, Strasbourg. 12 juin. Rapport d'Epinal, 24 avril. General Proteau à Davout, Cherbourg, 5 juin. (Arch. Guerre.)

5. Prefet du Mont-Blanc à Carnot, Chambery, 5 juin. (Arch.nat. F. 7, 3774.)

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