Page images
PDF
EPUB

contre le duc de Bassano et contre Savary. Des gardes du corps assaillirent à coups de sabre, en plein jardin du Palais-Royal, le capitaine de gendarmerie Plusdorff parce qu'il avait coopéré, étant maréchal-deslogis, à l'arrestation du duc d'Enghien'. Exelmans dénonça à Soult un complot de royalistes que Wellington avait, de son côté, mentionné dans une lettre à lord Castlereagh. Enfin Carnot - Carnot qui n'était pas apparemment homme à s'effrayer pour rien resta debout et armé toute la nuit du 21 au 22 janvier. Ransonnet, l'avocat Descoutures et une dizaine d'officiers supérieurs en retraite ou à la demisolde, qui s'étaient donné rendez-vous dans la maison de la rue Saint-Louis, dont l'escalier fut barricadé, veillèrent avec lui, disposés à une défense énergique 3. Tant d'indices et de témoignages prouvent que si ces craintes d'assassinats, propagées avec une persistance singulière par la rumeur publique, étaient fort exagérées pour la nuit même du 21 janvier, elles n'étaient point, d'une façon générale, tout à fait imaginaires.

III

Les tumultueuses obsèques de mademoiselle Raucourt et l'émotion provoquée par l'anniversaire du

bunaux, car il citerait le nom des princes. ⚫ On se decida donc à le gracier en 1817. Douze ans plus tard, sur la presentation de plusieurs pièces, entre autres d'une lettre du comte de la Fruglaye, ancien général vendéen, qui affirma que Stevenot n'avait agi, en 1814 et 1815, que d'après les ordres des princes, ce personnage fut solennellement rehabilité (arrêt de la cour du 14 juillet 1829) et, peu de jours après, il fut admis à la retraite comme marechal-de-camp. (Dossier de Stévenot. Arch. Guerre. Rapports de police, 4 et 6 mars. Arch. nat. F. 7, 3739.)

1. Note de Bassano. (Ernouf, Maret, duc de Bassano, 643.) Rovigo, Mém., VII, 321. Rapp. de police, 13 juillet 1814 (Arch. nat. F. 7, 32004).

2. Note sur Exelmans. (Dossier d'Exelmans. Arch. Guerre.) Wellington à Castlereagh, Paris, 5 dec. (Dispatchs, XII.) Cf. Maréchal Lefebvre à Davout, 25 mars (Cite par Martel, II, 195): Pendant dix mois on a vécu sous le poignard des chouans..

3. Lettres de Descoutures à Sadi Carnot, s. d. (Mém. sur Carnot, II, 398.)

21 janvier n'avaient pas fait oublier l'affaire d'Exelmans. Un mémoire justificatif, rédigé par Comte en forme de réquisitoire contre Soult, venait de paraître dans le Censeur, dont un tirage à part se distribuait gratuitement chez le portier du général'. Le 25 janvier, on apprit qu'Exelmans avait été acquitté à l'unanimité par le conseil de guerre, et qu'à la sortie de l'audience le peuple de Lille, qui passait cependant pour très royaliste, l'avait porté en triomphe. Cette nouvelle fit une grande sensation dans Paris et dans la France entière. L'opposition représenta l'arrêt du conseil de guerre comme « une victoire d'avantposte ». Le Censeur, le seul des journaux qui donna les plaidoiries, fut lu avec avidité. Les lettres de félicitations parvinrent par centaines à Exelmans et à Comte, son vigoureux défenseur. La duchesse de Raguse, qui ne manquait aucune occasion d'afficher son bonapartisme, se fit présenter le général Fressinet, autre conseil d'Exelmans, et l'embrassa en plein salon. Pour les royalistes, qui espéraient une condamnation sévère (le duc de Berry avait demandé au roi qu'il s'engageàt à ne point faire grace'), ils dissimulèrent leur confusion en faisant célébrer dans les journaux l'indépendance de la justice sous le descendant de saint Louis. « Au temps de Buona

1. Rapp. de police, 13 janv. (Arch. nat. F. 7, 3739.)

2. Dossier d'Exelmans. (Arch. Guerre.) Prefet du Nord à Beugnot, 27 janv. (Arch. nat. F. 7, 3739.)

Exelmans comparut le 23 janvier devant le premier conseil de guerre permanent de la 16 division militaire, preside par Drouet d'Erlon. Parmi les juges, il y avait les generaux Teste et Dubreton. Le rapporteur declara qu'un seul des cinq chefs d'accusation, celui de desobeissance, lui paraissait digne de quelque attention; encore conclut-il sur ce point, comme sur les quatre autres, à l'acquittement du general.

3. Rapp. de police, 23, 24, 30 janv., 3 et 6 fev. (Arch. nat. F. 7, 3739.) 4. Procès-verbaux du conseil des ministres, 26 dec. (Arch. nat. AF• V1.) Le roi qui etait encore dans sa periode debonnaire repondit très bien à l'ardent duc de Berry; - Mon neveu, n'allons pas plus vite que la jus

parte, dit le Journal des Débats, les choses eussent tourné d'une autre façon. » Mais la cour avait beau paraître triompher de cette défaite, elle n'en voulait pas moins au maréchal Soult, qui offrit sa démission. On lui reprochait son zèle maladroit. Il n'aurait pas dû traduire Exelmans devant un conseil de guerre «s'il n'était pas sûr des généraux'»!

« Sur des généraux », on n'avait pu jamais l'être aut point d'attendre d'eux un arrêt inique. Mais il était vrai de dire que l'enthousiasme pour les Bourbons qu'ils avaient manifesté aux premiers jours de la restauration s'était refroidi. Tous les officiers généraux qui possédaient des dotations en pays étranger les avaient perdues. Un grand nombre d'entre eux avaient été mis à la demi-solde. Plusieurs, comme Exelmans, avaient été maltraités, outragés. La croix de Saint Louis, conférée au général Milhaud, lui fut enlevée parce qu'il était régicide. On aurait pu se rappeler son vote à la Convention avant de le décorer. Davout, injurieusement accusé d'avoir enlevé les fonds, de la Banque de Hambourg, fut relevé de son commandement, exclu de la Chambre des pairs, relégué à Savigny-sur-Orge. Il demandait à passer devant un conseil d'enquête; on lui refusa ce moyen de se justifier comme si l'on voulût laisser courir la calomnie. Vandamme subit un affront aux Tuileries. Comme il se présentait avec des officiers de son grade à l'audience publique du roi, un huissier l'invita tout haut à se retirer. Le surlendemain, il reçut l'ordre.

--

1. Rapp. de police, 4 fevrier. (Arch. nat. F. 7, 3739.) N. au comte de Girardin, Paris, 6 fevrier (Arch. Aff. etr., 675.)

2. Dossier de Milhaud. (Arch. Guerre.)

3 Davout, Mém, au roi, 2, 3, et lettre de Dupont citee dans l'Appendice. Me de Blocqueville, le Maréchal Davout, IV, 124 - Talleyrand avait souffert que la recherche et la restitution des fonds de la Banque de Hambourg⚫ fussent mentionnées par des articles speciaux de la convention du 13 avril et du traite du 30 mai!

[ocr errors]

de Dupont de s'éloigner de Paris dans les vingt-quatre heures et de se rendre dans ses propriétés de Cassel'. Le duc de Berry brutalisa des officiers. Pour une question de préséance, le duc de la Force traita comme un tambour le général Laplane3. La solidarité militaire faisait ressentir à tous les injustices et les outrages subis par quelques-uns. « Je détestais Bonaparte, disait le général Chouart, mais les Bourbons me le font aimer*. »

Même les officiers généraux qui étaient le plus en faveur, qui avaient un commandement, la pairie, leurs entrées au Château, qui voyaient toutes leurs vanités satisfaites, souffraient dans leur fierté. D'abord ils s'étaient trouvés très flattés d'approcher le roi, d'être reçus « dans une vraie cour», de frayer avec « de vrais princes », de troquer leurs titres de maréchaux d'empire et de généraux de division contre ceux de maréchaux de France et de lieutenants-généraux des armées du roi. Sans qu'ils se l'avouassent, car on sent ces choses-là, mais on ne se les avoue pas, il leur semblait être désencanaillés. Marmont nous apprend que Louis XVIII avait plus de majesté que Napoléon. D'autres maréchaux pensaient vraisemblablement comme Marmont, et ils étaient tout fiers. de servir un homme si majestueux. Mais cette première heure d'éblouissement avait été courte. Les chefs de l'armée ne tardèrent pas à s'apercevoir qu'aux Tuileries ils n'étaient plus chez eux. Leur présence était seulement tolérée. On plaisantait la Lé

1. Wellington à Castlereagh, Paris, 4 oct. (Dispatchs, Supplement, IX.) Vandamme à Marmont, 10 oct. Arch. Guerre.)

En traitant ainsi un général français, le roi servait les haines allemandes que Vandamme avait provoquées dans ses divers commandements d'outre-Rhin par son excessive severite.

2. Rapp. de police, 23, 24, 29 oct., 24 nov., 13, 28 janvier. (Arch. nat. F. 7, 3739.) Cf. Vitrolles. Mem., II. 135.

3. Rapp. à Soult, 8 fev. (Arch. Guerre.)

4 Rapp. de police, 2 dec. Arch. nat. F. 7, 3739.)

gion d'honneur, les ducs et les comtes « jadis va-nupieds », les généraux dont les pères avaient tanné du cuir ou cerclé des tonneaux. Les journaux rappelaient en raillant que Murat (ils avaient pour mot d'ordre de ne pas l'appeler le roi de Naples) était fils d'un aubergiste. A la cour, le dédain perçait sous la politesse affectée des grands seigneurs. On daignait les considérer comme des héros, ces soldats illustres, mais cela n'empêchait pas de les regarder comme des parvenus. Ils avaient gagné des batailles, mais <«< ils n'étaient pas nés », et s'ils avaient versé leur sang, ce n'était pas du sang bleu. Plusieurs étaient pairs de France, mais les nobles ne tenaient pas «< ces anoblis» pour leurs égaux. «< Quel dommage, disait amicalement un vieux duc à un maréchal de France, quel dommage que vous n'ayez pas, comme un de nous, ce qui ne se donne pas ! »

((

Les femmes des dignitaires de l'empire qui, bien qu'elles ne fussent pas toutes d'ex-vivandières comme la maréchale duchesse de Dantzig, avaient pour la plupart une modeste origine souffraient plus encore que leurs maris de ces blessures d'amour-propre. La duchesse d'Angoulème ne les appelait que par leur nom patronymique: « Vous êtes madame Junot? »> dit-elle à la duchesse d'Abrantès. Le cercle féminin de la cour les mettait dans une quarantaine à peine dissimulée. Elles entendaient ces propos :

Quelle est donc cette dame? Je ne connais pas ces femmes-là, c'est une maréchale. » La maréchale Ney était fille de madame Auguié, cette femme de chambre de Marie-Antoinette qui devint folle en apprenant le supplice de la Reine et se suicida. La du

1. Rapp. de police, 19 dec., 2, 6, 12 janv., 1o fév. (Arch. nat. F. 7, 3739.) La Fayette, Mém., V, 315. Lavallette, Mém., II, 130-131. Mollien, Mém., IV, 177.

« PreviousContinue »