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Si l'on veut bien, pour juger sa doctrine, se placer à ce point de vue, qui est celui-là même d'où il l'a conçue, on sera moins surpris de l'intervention répétée du christianisme. Le christianisme l'avait introduit dans l'ordre de la grandeur morale; nul doute que dans ce commerce avec les réalités éternelles qu'il ne cessait de lui offrir, sa pensée n'ait singulièrement gagné en profondeur, en force, en sérénité. S'il nous était permis de la saisir en son principe, nous la verrions se dérouler de ce tranquille mouvement que communiquent les calmes persuasions et les hautes certitudes. Dans cette âme éprise de vérité, de réalité, d'action, c'est le christianisme qui fit jaillir de toutes parts les eaux vives de la joie, de la paix et du bonheur. « Certitude, sentiment, paix, joie. » Ces paroles que Pascal aimait à garder avec quelques autres en souvenir du plus grand ravissement qu'il lui eût été donné de ressentir, on pourrait sans doute les appliquer à ces invisibles démarches. La foi fut pour M. Ollé-Laprune la forme par excellence de la vie intérieure, le principe de son affranchissement, la source de sa liberté de penser et du joyeux épanouissement de son être; elle ne cessait de faire retour à cette réalité morale qui lui prête ses secrètes énergies et qui lui emprunte, en échange, je ne sais quel éclat paisible et quelle allégresse. Autant vaut dire que cette foi sereine et radieuse se confondait avec la vie dont elle était le recueillement. Si donc il nous la propose, en finissant, comme un gage de consolation et d'espérance, c'est qu'elle n'a point trahi sa confiance: elle a ouvert inépuisablement en lui les sources de l'action et de la félicité, et ce que son activité renferme de noble, de réglé, de ferme, ce qu'elle comporte de joie intime et incommunicable, c'est elle qui l'a donné surabondamment. Au terme de ses efforts il pouvait donc y voir la force par excellence de transformation et de réparation que réclame la réalité morale de l'homme et à laquelle elle est suspendue. Le christianisme lui avait ainsi révélé ses multiples affinités avec l'existence; pour lui, il avait fait ses preuves et donné ses gages: il pouvait à bon droit le mettre au principe de cette philosophie de la certitude et de la vie, que nous venons d'ex

poser.

Mais, par cela même, cette philosophie revêt le caractère que nulle doctrine en France n'eut peut-être à un tel degré, le caractére humain et religieux. - Humaine, elle l'est de toutes façons: par la méthode, par l'esprit, par le sens profond des vérités mo

rales, par la sympathie donnée à toutes les formes sous lesquelles s'exprime l'activité de l'homme; elle est encore humaine parce qu'elle a le sentiment vif de ce qu'il y a de relatif dans la pensée, parce qu'elle croit que l'esprit, en dépit de sa perpétuelle jeunesse et de sa divine puissance, est assujetti à l'effort et à la souffrance. Mais si elle a ses assises et comme ses racines dans les couches profondes de l'expérience et de l'histoire, elle s'élève aussi d'un mouvement joyeux et facile vers l'immuable divin; la vérité, la justice, la bonté, tout ce qui est d'ordre supérieur, d'ordre spirituel, c'est bien là ce que, de toutes manières, elle nous rend visible et palpable. M. Ollé-Laprune parle quelque part du dôme de Saint-Pierre où l'art ancien et l'art chrétien, la science architecturale et l'inspiration mystique, après bien des efforts et des essais, ont conspiré ensemble pour créer quelque chose d'unique en son genre. Ce dôme repose sur des fondemens solides et, avec ses lignes pures, harmonieuses, hardies, il monte vers le ciel en pleine lumière. Tel quel il nous fait invinciblement songer à cette philosophie où le divin et l'humain, le goût du relatif et le sens de l'absolu, l'antiquité et le christianisme, tant d'élémens de provenance diverse se fondent dans une harmonie supérieure; il la symbolise merveilleusement. On peut dire d'elle exactement ce que M. Ollé-Laprune disait de cette coupole : elle est, non pas un effort démesuré pour atteindre l'inaccessible, mais un beau mouvement puissant pour aller, aussi haut que possible, chercher à la source ce que Dieu seul peut donner: la lumière, la paix, la joie rayonnante de la vérité.

ALBERT BAZAILLAS.

LES CARLISTES

SOUVENIRS DE LA FRONTIÈRE

I

Au milieu des cruelles épreuves que traverse l'Espagne, on s'est demandé si la question carliste, assoupie depuis vingt ans, n'allait pas se réveiller. La dernière prise d'armes de Don Carlos fut puissamment secondée par la désorganisation dans laquelle les gouvernemens révolutionnaires qui s'étaient succédé après la chute de la reine Isabelle avaient jeté l'armée espagnole. Les défections de l'armée régulière fournirent alors aux carlistes les cadres qui leur manquaient. Des cadres aussi solides, en retrouveraient-ils aujourd'hui ? C'est une question qu'il ne nous appartient ni de résoudre, ni même de poser. Mais, puisque l'attention publique est de nouveau sollicitée par Don Carlos et ses partisans, il me paraît qu'il peut y avoir quelque intérêt à donner une idée de ce que fut la dernière guerre carliste, en racontant ce que j'ai pu personnellement en voir et en savoir, du poste d'observation particulièrement favorable où j'étais placé. Mais, au préalable, quelques mots d'explication sur l'origine et les débuts de la guerre ne seront peut-être pas inutiles.

C'est en 1872 que Don Carlos prit les armes pour revendiquer les droits au trône d'Espagne qu'il prétend tenir de sa naissance. On connaît le point de départ de ces prétentions. La succession des femmes à la couronne avait été admise par le droit public espagnol jusqu'au jour où les Bourbons, en montant sur le trône d'Espagne, y apportèrent la loi salique, qui était celle de leur dy

nastie. Cette loi demeura en vigueur pendant cent trente ans. Ferdinand VII l'abolit et fit revivre l'ancien droit espagnol de la capacité des femmes à régner, par sa pragmatique du 29 mars 1830. C'est en vertu de cet acte que sa fille unique Isabelle fut proclamée reine, à sa mort, survenue en 1833.

L'infant Don Carlos, frère puîné de Ferdinand VII, refusa de reconnaître sa nièce et recourut aux armes pour soutenir ses prétentions à la couronne, qu'il revendiquait, en vertu de la loi salique, comme aîné des agnats de la famille royale. Il tint la campagne pendant six ans et fut contraint de mettre bas les armes en 1839. Le prétendant actuel est le petit-fils de ce Don Carlos, tout comme le roi actuellement régnant est le petit-fils de la reine Isabelle.

Le premier Don Carlos, fils de Charles IV, s'était titré Charles V (1). Son fils, connu sous le nom de comte de Montemolin, régna fictivement sous le nom de Charles VI et mourut sans postérité. Le Don Carlos actuel, fils aîné du second fils de Charles V, se titre donc Charles VII.

En somme, la question en litige entre les deux branches de la maison d'Espagne se réduit à savoir quelle est la loi successorale qui doit prévaloir, celle de la nation ou celle de la dynastie. Pendant trente-trois ans, de 1839 à 1872, le carlisme avait subi une éclipse à peu près complète. Don Carlos V était mort en 1855; son fils aîné, Montemolin, avait bien tenté de provoquer une sédition militaire, mais, battu et fait prisonnier à San Juan de la Rapita, il avait racheté sa vie et sa liberté en reconnaissant la reine Isabelle. Il mourut, à son tour, peu de temps après. Son frère Don Juan, disqualifié par les écarts de sa conduite privée, laissa dormir ses droits jusqu'en 1868. A cette époque, la chute de la reine Isabelle, en laissant le trône vacant, réveilla les espérances du parti carliste. Don Juan abdiqua ses droits en faveur de son fils Don Carlos, alors âgé de vingt ans. Ce jeune prince inaugura son règne platonique par une proclamation au peuple espagnol. Mais ce ne fut que trois ans après qu'il passa de la parole à l'action.

Amédée de Savoie, duc d'Aoste, venait d'être proclamé roi par les auteurs de la révolution de 1868. A la faveur de l'antipathie que les Espagnols éprouvent pour toute domination étran

(1) On sait que Charles-Quint, Charles V comme empereur d'Allemagne, était le premier de ce nom comme roi d'Espagne.

gère, une insurrection carliste éclata dans les provinces du nord, au mois d'avril 1872. Don Alphonse, frère de Don Carlos, pénétra en Catalogne. Don Carlos lui-même entra en Navarre le 2 mai et se mit à la tête de ses partisans; mais, battu quelques jours après à Oroquieta par le général Moriones, il rentra précipitamment en France dès le mois de juin. Les carlistes n'en poursuivirent pas moins la campagne sous le commandement de leurs valeureux chefs Dorregaray, Ollo, Saballs, Tristany, servis par l'anarchie croissante plus encore que par l'habileté de leurs généraux.

Le roi Amédée, dégoûté de l'impuissance à laquelle il était réduit, abdiqua le 10 février 1873, et la république fut proclamée à Madrid. Bientôt après, l'insurrection cantonaliste éclatait dans le midi. L'armée espagnole était en pleine désorganisation. Tous les officiers du corps de l'artillerie et nombre d'autres démissionnaient. Beaucoup passaient aux carlistes. Toutes ces circonstances servaient merveilleusement la cause du prétendant, devenu l'unique champion de l'ordre dans la Péninsule. C'était le moment d'agir vigoureusement. Don Carlos parut le comprendre et rentra en Espagne.

Depuis qu'il avait cherché un refuge sur le sol français, à la suite de son échec d'Oroquieta, ce prince ne s'était pas éloigné de la frontière. M. Thiers, qui n'était pas plus sympathique au petitfils qu'il ne l'avait été au grand-père, avait pris contre lui un arrêté d'expulsion, mais le jeune prétendant comptait de nombreux amis dans les Basses-Pyrénées. Les Basques français lui étaient presque aussi dévoués que les Basques espagnols. Les légitimistes voyaient en lui le représentant des idées qui leur étaient chères, le neveu, par sa mère et par son mariage, du Comte de Chambord. Tout le monde s'entendait pour lui donner asile et pour le dérober aux recherches de la police. Quand il était serré de trop près, un jeune gentilhomme du pays, qui avait l'honneur et l'avantage de lui ressembler beaucoup de visage et de prestance, donnait le change aux agens de la sûreté générale et les entraînait sur une fausse piste. C'est ainsi que le prince avait pu demeurer longtemps caché dans les environs de Bayonne ou de Pau.

Don Carlos rentra en Espagne le 25 juillet 1873. Il rejoignit à Zugarramundi la petite armée carliste commandée par les généraux Valdespina et Lizarraga, et marcha avec elle sur Estella, dont il s'empara. Ce fut la période la plus brillante de sa campagne. Tandis que ses partisans occupaient une partie de la Catalogne et

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