Page images
PDF
EPUB

faut bien que je vous le dise : je ne me remarierai jamais, j'en ai pris la ferme, l'inébranlable résolution.

Une fois prononcées les paroles qui l'engageaient, Clarencé attendait une autre réponse: la sympathie que lui témoignait MTM Bréant, le regard amical qui le cherchait dans les salons ou l'accueillait dans l'intimité, les inflexions plus douces que prenait la voix amie en lui parlant, tous ces menus signes qu'exploite volontiers la fatuité masculine, l'autorisaient presque à espérer mieux.

[ocr errors]

Ah! s'écria-t-il avec amertume et dépit, voilà la réponse des femmes qui n'aiment pas !

-

Le regard de Claudine, qui le fuyait, revint se poser sur lui, doux comme une caresse. Elle hésita un moment, cherchant ses paroles; puis, les yeux errans, les mains frissonnant un peu sur ses genoux, elle expliqua, d'un ton raisonneur qu'elle prenait parfois: Oui, mon ami, je ne me remarierai pas. Cela est bien décidé. Ne croyez pas que j'aie pris cette résolution par rancune ou dépit, parce que mon expérience du mariage a été malheureuse. Je n'ai pas la sottise de confondre tous les hommes avec mon mari et je n'ai pas fait leur procès collectif dans celui qu'il m'a fallu soutenir contre un d'entre eux. L'homme auquel j'avais imprudemment lié ma vie, j'ai tâché de l'oublier: je crois avoir réussi, et ne lui souhaite aucun mal en punition de celui qu'il m'a fait. C'est au mariage que j'en veux. Je le regarde comme un mensonge social, comme un acte d'hypocrisie, comme une couverture qui sert à trop de vilains marchés et de bas compromis. J'estime qu'une femme qui peut s'en passer est coupable de s'y soumettre. Il y a beaucoup de malheureuses qui n'ont pas d'autres moyens d'assurer leur sort: qu'elles capitulent, je les excuse. Moi, grâce au peu d'argent que m'a laissé mon père et au peu de talent que j'ai, je suis une indépendante. Je ne veux pas être autre chose... Voilà tout!...

Clarencé l'écoutait sans la croire; car, jusqu'alors, quand elle exprimait de telles idées devant lui, il les prenait pour des boutades:

Quelle dialectique! fit-il, sans même dissimuler son dépit. Vous raisonnez comme un parfait socialiste. Soit! Je n'ai aucun droit à savoir qui se cache sous vos raisonnemens.

Vous croyez donc qu'ils cachent quelque chose? Il se possédait si peu qu'il répondit :

Quand les femmes font de la philosophie, elles cachent toujours quelque chose... ou quelqu'un.

Claudine ne se fâcha pas; elle continuait à le regarder bien en face, d'un regard si loyal et toujours si doux qu'il eut honte de son emportement.

[ocr errors]

Pardonnez à ma surprise, reprit-il en baissant la voix : je connaissais déjà votre liberté d'esprit, mais je ne vous savais pas si avancée dans le féminisme.

Elle secoua légèrement les épaules, et dit:

- Je ne suis pas féministe, je ne suis pas avancée. Je n'ai rien prêché et ne prêcherai jamais rien. Il y a une obligation sociale, une coutume, une loi ou un sacrement, comme il vous plaira d'appeler cela, dont j'ai éprouvé l'injustice, dont j'ai souffert, et qui ne me pliera pas. C'est tout ce que j'ai voulu dire. Il n'y a rien de plus...

Elle trahit son désir d'être crue en ajoutant, avec insistance: Rien, ni personne, je vous le jure...

Oh! dit Clarencé, vous n'avez pas de serment à me faire. Je ne vous en demande aucun. Vous avez droit à tous vos secrets, puisque vous gardez toute votre liberté.

Il se leva, et, debout, poursuivit en hachant ses phrases:

[ocr errors]

:

Oui, je sais que vous êtes une force, un caractère, une volonté... Vous le dites et vous le prouvez... Et vous raisonnez à merveille vos argumens sont sans réplique... Je le sens bien : aussi ne me reste-t-il qu'à prendre congé de vous... Naturellement, je ne vous reverrai pas je vous aime trop pour rester votre ami... Moi aussi, j'ai ma franchise eh bien! pour moi, l'amitié serait une hypocrisie, comme pour vous le mariage... Je n'en veux pas... Je ne veux pas être auprès de vous quand sonnera l'heure où vous vous démentirez... Car cette heure sonnera, ma chère amie... Vos résolutions sont sincères, j'en suis convaincu... Mais, un jour, elles s'effondreront... Ce que vous ne voulez pas faire aujourd'hui pour moi, parce que vous ne m'aimez pas, vous le ferez plus tard pour celui que vous aimerez... Vous lui sacrifierez joyeusement votre indépendance, qui ne vous paraîtra qu'un fardeau... Et votre casuistique ne vous servira plus qu'à vous démontrer à vous-même l'inanité de vos scrupules.

Elle dit, avec un demi-sourire :

Vous justifiez votre réputation, mon ami. Vous montrez que vous connaissez les femmes!...

Clarencé ne remarqua pas que la tendre indulgence du regard corrigeait la malice de l'épigramme :

Maintenant, dit-il, vous vous moquez de moi. C'est justice: l'amour importune, quand il n'est pas partagé. J'aurai le courage de ne plus vous revoir.

Il s'inclina, la main tendue :

Adieu! dit-il.

La jeune femme le retint du geste :

Attendez!...

Quelques secondes tombèrent lentement, ces graves secondes où la décision se prépare dans les chambres obscures de nos âmes. Elle évitait de regarder Clarencé, à demi détournée, le menton dans la main, le coude appuyé au bras du fauteuil, adorablement jolie dans cette pose attentive.

«... Elle va changer, songeait-il, puisqu'elle réfléchit... >>

Le cœur blessé, il prêtait à ce mot « réfléchir » un sens douteux de calcul, et déjà s'entr'ouvrait à ce mépris que nous avons pour les êtres bons quand ils nous cèdent ou faibles quand nous les faisons chanceler. Claudine, cependant, releva sur lui ses beaux yeux où brillait une larme, en prononçant avec une lenteur solennelle :

- Je suis décidée à ne pas me remarier, mon ami... Cela ne veut point dire que je ne vous aime pas... Je vous aime et je serai à vous... Vous voyez que je sais aussi être généreuse...

... Clarencé eut quelque peine à se pardonner d'avoir un instant méconnu Claudine. Quant à elle, ayant plus d'amour que d'amour-propre, plus de tendresse que de susceptibilité, elle ne lui garda point rancune des mauvaises pensées qu'il avait eues. Et il se forma entre eux un lien que resserrèrent dix années d'intimité sans l'ombre d'un malentendu. Ils traversèrent sans accident la phase où l'expansion, la joie, la violence de la première passion entraîne les amans au dédain périlleux de l'opinion qui les guette et les juge. Puis, peu à peu, leur sentiment s'adoucit sans faiblir: aussi unis que par une chaîne légale, ils avaient l'un pour l'autre le respect que donne une absolue confiance. Me Bréant prit sur Clarencé cet ascendant que les nobles femmes exercent sur les hommes les plus éminens par le seul fait qu'elles sont aimées et dignes de l'être. Il lui dut la sève de ses œuvres, l'équilibre de sa vie, tout le bonheur et toute la sérénité que pouvait espérer son inquiète nature en sorte que la reconnaissance ennoblit son amour. Jamais ils ne furent un instant fatigués l'un de l'autre ; et,

quoique pas un jour ne s'écoulât sans qu'ils se vissent, ils ne se lassaient pas plus de se connaître que de s'aimer...

... Ce jour-là, Clarencé avait déjeuné chez son amie, avant de se rendre à sa répétition. Ils s'étaient quittés sur ces mots :

Vous m'apporterez des nouvelles?...

- Pas aujourd'hui. Je suis nerveux après ces longues séances. Je n'aime pas vous montrer ma maussaderie.

Donc, elle ne l'attendait pas, et serait heureuse de la surprise, comme toujours, quand il arrivait à l'improviste. Elle saurait le rassurer indulgente, sensée, bonne raisonneuse, elle aurait bientôt réduit les scrupules qu'il allait confesser, tout en plaignant avec lui l'ami qu'elle connaissait, et dont elle raillait parfois l'imagination << décidément par trop romanesque. » Oui, vraiment, Clarencé arrivait chez elle comme un malade imaginaire chez le bon médecin dont les seules paroles chassent l'hypocondrie; d'avance, il escomptait l'effet de la consultation; il était déjà moins sombre en s'arrêtant devant la petite maison.

-Vous?... Quelle bonne surprise!...

Puis, le voyant si ému, si défait :

Qu'y a-t-il done? La pièce ne marche pas?
Oh! la pièce!...

Et Clarencé se mit à raconter l'événement qui venait de le bouleverser ce qu'il avait appris, ce qu'il avait vu, ce qu'il pensait.

Claudine était toujours délicieuse, en écoutant. Sa figure naturellement attentive prenait alors l'expression qui lui convenait le mieux avec la beauté sereine de ses traits réguliers, de sa bouche d'un dessin si pur, de son front pensif sous la masse des cheveux sombres, noués à la grecque, et dont une touffe, dès l'enfance, était d'un blanc d'argent, avec la tranquillité réfléchie de son regard limpide, dans l'immobilité d'une pose à la fois rigide et gracieuse, elle rappelait cette adorable Polymnie où l'âme antique a condensé tout ce qu'elle avait de rêverie et de mystère. Et puis, elle comprenait si bien, avec une intelligence si prompte, dont les reflets passaient dans ses yeux clairs, avec une sympathie si pénétrante, que toute sa physionomie exprimait! Causer avec elle, dans l'abandon des heures, c'était toujours, pour Clarencé, ce plaisir exquis de confier sa pensée à un écho fidèle, qui vous la renvoie apaisée, rassérénée, embellie, avec des sons de cristal. Aussi s'apaisait-il en avançant dans son récit, sûr

qu'une fois de plus les belles lèvres allaient s'ouvrir pour la parole de délivrance qu'il ne trouvait jamais en lui-même.

Avec son instinct d'amoureuse, Claudine ne vit d'abord qu'une grande douleur d'amour qui frappait des êtres aimés, et toute sa pitié courut à Laurier, à Céline :

-Ah! les pauvres enfans!... Mourir ainsi, seule, sans l'adieu dernier... Quelle horrible fin des beaux rêves, des belles tendresses!... Et lui!... Survivre à une telle chose!... avec l'àme que je lui connais!... Vous serez très bon pour lui, mon ami... Il ne faut pas qu'il soit seul on a tant besoin de sympathie quand on souffre, et tout ce qui l'entoure ne pourra qu'augmenter sa peine... Vous le verrez beaucoup, vous le consolerez...

Sans doute, je ferai ce que je pourrai... tout ce que je pourrai... Mais que puis-je ?...

Il ajouta, la voix plus basse :

-

Avec des paroles, hélas! il est plus facile de faire du mal que du bien... Je l'ai compris, quand j'ai vu l'Amour et la Mort à côté de cette pauvre enfant... Je me suis senti presque responsable,... responsable de ce malheur...

[ocr errors]

་་

Vous?...

-... De celui-là, et de bien d'autres peut-être... que je ne connais pas... Laurier ne songeait pas à me rien reprocher, le pauvre ami!... Mais comme il a touché juste, en me rangeant parmi les « ouvriers de l'illusion des sens et du cœur!... » Le fait vient de me l'apprendre les idées que nous lançons dans le monde, sans autre dessein que d'émouvoir les oisifs, ne sont pas de stériles poussières: ce sont des graines, qui germent selon le terrain où le vent les jette. Il en est dont jaillit la plante vénéneuse : les mains insoucieuses qui les ont lancées ne sont point innocentes.

Claudine avait repris sa pose attentive, mais ne souriait plus. Le regard voilé, elle cherchait une réponse à ces propos dont elle pressentait le danger sans savoir les réfuter. Elle dit enfin, une hésitation dans la voix :

-Ce sont là de vains scrupules. L'oeuvre des poètes existe, indépendamment des accidens réels qui lui ressemblent.

Oui, répliqua Clarencé, le poison existe indépendamment de ceux qu'il empoisonne!

La paradoxale violence de la comparaison excita Claudine, qui riposta vivement:

Encore ce mot de poison, pour flétrir le plus noble apport

« PreviousContinue »