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triple phénomène : formation d'un sel, production d'eau et dégagement de chaleur. Ce dernier, on s'attendait à le trouver grand dans le cas des acides forts ou des bases énergiques, et petit dans le cas des bases ou des acides faibles. Contrairement à l'opinion commune, il n'en est rien. La quantité de chaleur dégagée est constante quelles que soient la nature et les propriétés des corps réagissans. Le mystère est expliqué par la théorie d'Arrhénius. La mise en présence de l'acide et de la base revient au simple mélange de leurs ions, restant libres après comme avant; et le dégagement de chaleur observé n'est autre chose que celui qui répond au phénomène, constant dans tous les cas, de la formation de l'eau.

Avec la même simplicité, et de la même manière, la théorie des Ions explique la loi de la thermo-neutralité découverte par Hess en 1842, et consistant en ce que la double décomposition entre sels neutres par échange de leurs acides et de leurs bases, se passe sans effet thermique apparent.

Il serait oiseux de pousser plus loin les exemples de la vertu explicative de la théorie des Ions. Nous ne ferions que fournir de nouveaux documens pour établir une vérité qui doit commencer à être évidente pour le lecteur, c'est à savoir que cette doctrine éclaire, explique et rattache entre eux un grand nombre de faits restés jusqu'ici sans lien et sans explication.

VII

Mais cela ne suffit pas encore pour légitimer une hypothèse d'une si grande portée pour la physique et la chimie générales. Il faut qu'elle résiste aux objections qu'on lui oppose.

La principale de ces objections est fondée sur une confusion. Elle consiste à nier que les ions libres, par exemple d'hydrogène et de chlore, puissent subsister isolément dans une solution, parce que les corps correspondans, hydrogène et chlore, à l'état ordinaire, déchargé, ne le peuvent pas. Nous en avons fait justice.

Elle reparaît sous une autre forme. Comment, dit-on, avec la minime énergie traduite par l'absorption de chaleur qui accompagne la dissolution, celle-ci peut-elle séparer des corps si fortement unis et dont la décomposition ordinaire exigerait tant d'énergie? C'est encore que la décomposition électrolytique n'est pas la décomposition ordinaire et qu'elle est, en effet, infiniment plus facile.

Il n'y a donc pas, jusqu'ici, contradiction positive contre le sys

tème. On ne lui oppose pas de faits on lui reproche de ne pas apporter de justification directe.

Il y a, cependant un assez grand nombre d'observations qui tendent à montrer la réalité de l'état de dissociation sous lequel se trouvent les corps lorsqu'ils sont dissous dans une grande quantité de dissolvant.

On peut citer ce qui se passe lorsque l'on mélange l'acide chlorhydrique à l'eau. L'eau pure est un isolant; l'acide chlorhydrique liquéfié en est un autre. Que l'on introduise quelques molécules de celui-ci dans celui-là, et aussitôt le mélange devient conducteur. Les molécules introduites n'ont pas conservé leur caractère précédent; elles sont devenues des véhicules de l'électricité, des ions.

Les expériences directes sont plus convaincantes. Ostwald et Nernst placent une solution étendue dans un système de vases couplés qu'il est facile de séparer brusquement. Ils le soumettent à l'électrisation par influence, attirant ainsi les ions positifs d'un côté et les ions négatifs de l'autre, puisqu'il est admis que les charges électriques ne peuvent pas abandonner les ions. En séparant les vases, on a isolément les ions de chaque espèce. On les décharge alors en employant l'électricité statique contraire et on les manifeste sous leur forme reconnaissable. Cette épreuve, facile à concevoir, mais difficile à exécuter, a donné aux physiciens allemands un résultat concluant. Il ne nous reste pas de place pour développer l'histoire récente des applications de la théorie des ions à la chimie et à la physiologie. Aussi bien est-ce un sujet qui mérite d'être traité à part.

A. DASTRE.

CHRONIQUE DE LA QUINZAINE

30 novembre.

Depuis la rentrée des Chambres et l'ouverture des débats de la Haute Cour, la vie politique a repris son activité. La tribune est redevenue bruyante; les partis se remuent; les hommes s'agitent : le reste du pays demeure, d'ailleurs, calme et indifférent. Une interpellation sur sa politique générale a été adressée au ministère. Elle s'est terminée pour lui par une victoire en apparence considérable, mais qui, en fait, ne prouve rien. Le ministère a déposé un certain nombre de projets de loi et il en annonce d'autres, projets très importans, dont l'inspiration antilibérale et jacobine semble de nature à provoquer l'indignation des uns et l'enthousiasme des autres; et ce sont en effet les sentimens qu'ils exciteraient le jour où ils seraient votés; mais on semble croire que, s'ils doiventl'être, c'est dans un temps qui échappe au calcul des probabilités, et on les accueille avec quelque scepticisme. Dans tout ce qui se passe, on ne voit que des manifestations, auxquelles ceux mêmes qui les font ne tiennent pas beaucoup. A notre avis, on aurait tort pourtant de s'endormir dans une sécurité trompeuse. Le danger augmente tous les jours. Un ministère de plus en plus soumis aux influences socialistes et radicales, inconscient peut-être de l'œuvre qu'il accomplit, livre tout ce qu'il était de son devoir de défendre. On en a eu comme une intuition subite le 19 novembre, un dimanche, un jour de fête où tout Paris avait été invité à l'inauguration d'un monument qui représente le Triomphe de la République. Pour la première fois, des drapeaux rouges et noirs se sont librement emparés d'un des points les plus populeux de la capitale, et les pouvoirs publics ont dû se replier en bon ordre devant le désordre maître du terrain. On a commencé à voir où nous allions, où on nous menait, où nous nous laissions conduire. Cela fait beaucoup de choses pour quinze jours.

Le procès qui se déroule devant le Sénat, changé en Haute Cour, est loin d'être terminé: on sera très heureux s'il l'est avant la fin de l'année. De tous les témoignages entendus jusqu'ici, rien de saillant ne s'est dégagé. Les choses, on peut le dire, restent en l'état, c'està-dire que les impressions de la première heure, telles que nous les avons ressenties et exprimées, sont confirmées par les faits. Après le réquisitoire de M. le procureur général, on avait été frappé de la faiblesse de l'accusation: cette impression s'est encore accentuée à mesure que les interrogatoires se poursuivaient. Nous persistons à estimer qu'une police bien faite aurait suffi pour préserver la République des périls auxquels on la prétend exposée, et que, si on avait voulu à tout prix quelques sanctions pénales aux imprudences commises, la juridiction la plus ordinaire était en rapport exact avec la gravité des crimes et l'importance des criminels. Il est difficile de s'expliquer par quelle aberration d'esprit les uns et les autres ont été traduits devant la Haute Cour. Et, d'abord, celle-ci est-elle compétente? Elle l'est incontestablement en matière d'attentat; mais, s'il y a eu un attentat dans l'affaire, c'est celui qui a été commis par M. Déroulède entre la place de la Nation et la caserne de Reuilly, et le jury de la Seine l'en a déclaré indemne. Il ne restait donc plus que le complot, et, aussi sûrement que la Haute Cour est compétente pour juger un attentat, elle ne l'est pas pour juger un complot. La démonstration en a été faite par Me Devin avec une force de logique et une clarté d'évidence qui ne laissaient rien à désirer. Il a rappelé la différence établie en 1832 entre le complot et l'attentat à partir de ce moment, il a fallu établir des juridictions différentes pour l'un et pour l'autre cas. L'attentat, qui n'est pas une hypothèse de l'accusation à prouver, mais un fait matériel à constater, est resté justiciable de la Haute Cour, assemblée politique; mais le complot, qui est moins aisément saisissable, plus sujet à contestation et à appréciation, qui met en cause non seulement les actes de l'accusé, mais, dans une certaine mesure, ses intentions, le complot a été déféré à une juridiction non politique, à la juridiction de droit commun. Si, dans la Constitution de 1848 et dans celle de 1852, le complot, comme l'attentat, a été déféré à la Haute Cour, c'est que celle-ci cessait d'être un corps politique pour devenir un jury national. En 1875, lorsqu'on a restitué à une assemblée politique une juridiction exceptionnelle, on l'a limitée à l'attentat. C'est ce que le respectable M. Wallon, qui a pris une si grande part à la confection des lois constitutionnelles, a déclaré formellement, mais inutilement. Le Sénat, pardon : la Haute Cour- a passé outre; elle

s'est déclarée compétente, malgré le texte formel et l'esprit évident de la loi dont elle tient ses pouvoirs. Le lendemain de cette décision, les journaux radicaux et socialistes ont poussé des cris de joie et de triomphe. Ils ont annoncé que la cause était entendue, ou plutôt qu'on n'avait plus besoin de l'entendre, l'arrêt qui venait d'être rendu sur la question de compétence préjugeant l'arrêt final sur la question de culpabilité. Il était impossible de dire plus crûment qu'on regardait la Haute Cour comme une assemblée politique, et que c'est à ce titre qu'elle devait se prononcer. Alors, à quoi bon cette comédie judiciaire? On annonçait déjà la condamnation comme «< certaine,» sans attendre les débats, avant les interrogatoires, avant l'audition des témoins, avant la défense, et, par une contradiction singulièrement suggestive, les hommes qui se faisaient les prophètes de cette justice expéditive étaient les mêmes qui, dans un procès récent, parlaient si haut des droits imprescriptibles de l'homme et du citoyen, et flétrissaient avec une véhémence indignée les arrêts qu'on pouvait croire et que, eux du moins, croyaient rendus par avance, en vertu de causes secrètes et de préoccupations étrangères au pur souci de la justice et de la vérité!

Après cela, on a interrogé les accusés. Tous les journaux ayant reproduit ces interrogatoires, nous n'y insisterons pas. Parmi les prévenus, trois ou quatre ont tranché sur la banalité générale. M. Déroulède a refait son éternel discours sur la république plébiscitaire : c'est son idée fixe, son idée unique, et, comme l'expression même n'en varie pas, il se dégage de sa thèse, malgré l'impétuosité avec laquelle il la soutient, une espèce de monotonie. M. Godefroy, le président de la jeunesse royaliste, est un jeune avocat qui a montré de la présence d'esprit et du talent. S'il n'a fait que ce qu'on lui a reproché, en vérité c'est peu. Il en est de même de M. le comte de Sabran-Pontevès. Ce prévenu a eu un grand succès personnel. Il a de l'originalité, de la verve, de la séduction, et toute l'aisance d'un homme du monde au milieu de cette procédure abstruse et aride. C'est en outre un diseur fort habile, et il a déridé la Haute Cour par la manière humoristique dont il a raconté son arrestation et ses suites. S'il est vrai, comme il l'a affirmé sans provoquer de protestation, qu'il ait été tenu au secret pendant soixante-douze jours avant d'être interrogé, il faut reconnaître que les droits les plus sacrés de l'homme et du citoyen ont été lésés une fois de plus. Mais enfin, qu'a-t-il fait? A l'entendre, rien du tout; à entendre l'accusation, pas beaucoup plus. Quant à M. Guérin, le héros de la rue de Chabrol, il a longuement raconté sa vie difficile et acci

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