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pour chacun une avance de fonds de près de 6 000 à 7 000 francs, et dont les produits exportés dépassent 4 millions. Tous ces parcs découvrent en moyenne de deux mètres aux grandes basses mers. Les meilleurs sont ceux qui émergent seulement de un mètre, de manière que le « naissain » ne soit pas trop exposé à l'ardeur du soleil d'été; en revanche, il faut qu'ils découvrent assez pendant les marées de syzygies pour qu'on puisse s'y livrer aux travaux de culture et d'entretien et à la chasse de tous les animaux non moins friands de l'huître que l'homme. Tous ces crassats, soigieusement nettoyés de tous les joncs, roseaux et varechs qui les envahissent, sont recouverts d'une herbe fine que l'on désigne sous le joli nom de « moussillon » et qui leur donne l'aspect de prairies. L'huître croît à l'abri de ce feutre végétal et, lorsqu'elle a atteint un certain développement, on l'expédie en Angleterre, à Ostende et surtout à Marennes, où l'excellente petite gravette d'Arcachon change de nom, d'étiquette et de couleur, pour satisfaire au snobisme des consommateurs.

L'étranger et le baigneur ne sont que des produits de passage dans le bassin d'Arcachon. La pêche et l'ostréiculture sont en réalité les deux grandes industries permanentes et occupent presque toute la population du littoral. Plus de 5000 bateaux de différens tonnages y sont affectés à la pêche de la sardine, qu'on appelle le « royan, » ou à la grande pêche, que l'on désignait autrefois sous le nom de « péougue, » qui s'est transformée depuis et emploie aujourd'hui un certain nombre de petits bateaux à vapeur d'une force moyenne de 50 chevaux, opérant au large et transportant le poisson soit à Arcachon, soit à Bordeaux, soit à la Rochelle. Une petite flottille enfin, composée d'élémens de toutes formes, est affectée à la manutention et au transport des huîtres.

Les conditions hydrographiques du golfe d'Arcachon permettent en tout temps et presque à toute heure la circulation de cette flotte si intéressante par le nombre et la variété de ses types. En été, de luxueux yachts de plaisance; en hiver, des chaloupes de Bretagne d'un assez fort tonnage; en toute saison, un nombre considérable de barques et de nacelles de toutes dimensions circulent dans les mille chenaux qui serpentent dans la grande lagune et viennent accoster les petits ports échelonnés sur ses rives. On n'en compte pas moins de quinze à vingt : Arcachon, la Teste, Gujan, Larros, Mestras, le Teich, Biganos, Camprian,

Audenge, Certès, Lanton, Biget, Taussat, Andernos, Arès, tous les mêmes avec leur petite cale, leur darse, leur estacade en charpente et surtout leurs réservoirs à huîtres et à poissons (1). Tous ces ports datent à peine de trois quarts de siècle; mais l'excellente situation hydrographique du grand bassin remonte aux âges les plus reculés; et, sauf les variations de la passe que l'avancement du cap Ferret a rejetée de 15 à 20 kilomètres au Sud, les mouillages à l'intérieur de la baie devaient être, dans les temps anciens, à peu près les mêmes que ceux de nos jours. Les rades de Moulleau et d'Eyrac n'ont pas moins de 8 mètres de profondeur en basses mers; la première a une longueur de plus de 4 kilomètres, la seconde près de moitié, toutes deux une largeur moyenne de 500 mètres. Le seuil d'entrée lui-même est toujours recouvert d'une tranche d'eau de plus de 7 mètres. La communication constante du grand bassin avec la mer est donc toujours assurée. La Leyre contribue sans doute à l'alimentation régulière du bassin; mais le maintien de la passe est du surtout aux courans alternatifs qui s'y produisent avec le flot et le jusant. Les ingénieurs évaluent à près de 340 millions de mètres cubes la masse liquide qui pénètre dans la baie d'Arcachon à chaque marée moyenne. La durée du flot étant de six heures, c'est donc à peu près 15 000 ou 16 000 mètres cubes d'eau à la seconde qui entrent ou sortent régulièrement quatre fois par jour, représentant à peu près le débit du Rhône au moment de ses plus grandes inondations. Voilà la vraie cause qui entretient la coupure de ce petit Zuiderzée français. Elle pourra sans doute se déplacer comme elle l'a fait plusieurs fois, tantôt vers le Nord, tantôt vers le Sud; mais il est probable qu'elle existera toujours. Tous les anciens golfes qui festounaient jadis le littoral des Landes se sont fermés et transformés en lagunes mortes. Celui d'Arcachon est le seul qui soit resté une lagune vive, et rien ne fait prévoir que cette situation doive jamais se modifier.

CHARLES LENTHÉRIC.

(1) Clavel. Bassin d'Arcachon, Ports maritimes de la France, op. cit.

REVUE DRAMATIQUE

ODEON France... d'abord, drame en quatre actes, en vers, par M. le vicomte H. de Bornier. COMÉDIE-FRANÇAISE La Conscience de l'enfant, pièce en quatre actes, par M. Gaston Devore. VAUDEVILLE Le Faubourg, comédie

:

en quatre actes, par M. Abel Hermant.

GYMNASE: Petit chagrin, comédie

en trois actes, par MM. Maurice Vaucaire et Pierre Veber; les Pieds nickelės, un acte, par M. Tristan Bernard.

Je sens le même feu, je sens la même audace
Qui fit plaindre le Cid, qui fit combattre Horace;
Et je me trouve encor la main qui crayonna
L'âme du grand Pompée et l'esprit de Cinna.

Ces vers du poète déjà touché par l'âge, mais qui trouve toujours en lui mêmes sentimens, même enthousiasme, même vaillance, il n'est aucun des spectateurs de France... d'abord qui ne les eût l'autre soir présens à l'esprit, et à qui ils ne se soient comme imposés. L'auteur de ce drame est bien celui qui nous a donné jadis la Fille de Roland et si le souffle n'y a sans doute plus autant de puissance, si la faculté d'invention n'y dispose plus d'autant de ressources, l'œuvre nouvelle procède bien de la même veine que son aînée. Elle est de beaucoup la meilleure de toutes celles qu'a fait représenter M. de Bornier depuis l'époque de son grand succès. Jamais encore il n'avait retrouvé une aussi heureuse inspiration. C'est que jamais il ne s'était aussi complètement conformé à l'inspiration qui est la sienne. Écrivain de théâtre, M. de Bornier a le tour d'imagination épique. Or, l'épopée vit de l'expression de quelques sentimens très simples, très profonds, de ceux même qui jaillissent de l'âme d'une nation à l'heure où elle prend fortement conscience d'elle-même. Et M. de Bornier a beau continuer d'écrire dans les dernières années ou dans les derniers jours de notre siècle finissant, il reste un contemporain de la génération ro

mantique. C'est l'honneur des romantiques que, depuis Chateaubriand jusqu'aux Augustin Thierry et aux Michelet, ils ont passionnément aimé la France. Ils l'ont aimée comme une personne, pour ses souffrances autant que pour ses gloires. Ils l'ont célébrée pour le charme de ses paysages et la bienveillance de son ciel, comme pour la douceur de ses mœurs. Ils ont voulu pénétrer dans l'intimité de sa vie à travers les siècles, ranimer son plus lointain passé, en découvrir l'image dans les institutions de sa politique comme dans les monumens de l'art. Cela même leur a permis de retrouver derrière le décor mouvant des révolutions la continuité de notre tradition française, de venger le moyen âge calomnié par l'ignorance et les dédains absurdes des philosophes du XVIIIe siècle, de rouvrir nos yeux à la beauté des chefs-d'œuvre méconnus, et enfin de créer un genre nouveau, en faisant de l'histoire de France ce que de patiens compilateurs, avec tout l'effort de leur érudition, n'en avaient pas su faire une chose vivante. C'est aussi en ce sens que M. de Bornier est romantique.

A la manière de tous les écrivains dramatiques qui prennent leur art au sérieux, M. de Bornier a écrit sa pièce pour dire quelque chose et parce qu'il avait quelque chose à dire. Il a voulu faire entendre au théâtre « des paroles d'apaisement, de pitié, de concorde, de patriotisme », afin qu'on en pût tirer une leçon. Il n'en avait pas fallu davantage pour que tout le monde en conclût qu'une pièce aussi « séditieuse >> courait risque de ne pas avoir l'assentiment des pouvoirs publics. Naturellement l'esprit de l'auteur devait se reporter à l'une des époques où la France a été le plus divisée, le plus menacée dans son unité intérieure, le plus déchirée dans son cœur et dans sa chair. Encore fallait-il qu'à l'époque choisie l'idéal de nos vertus chrétiennes et chevaleresques eût toute sa prise sur les âmes, qu'il pût s'incarner dans des figures héroïques, et qu'on aperçût dans le lointain les perspectives d'un règne glorieux et utile. Toutes ces raisons ont amené M. de Bornier à placer son drame au temps de la minorité de saint Louis. «< A peine eut-on couronné le jeune roi, le 1er décembre 1226, qu'il s'éleva une terrible guerre civile. Les Princes et les Grands du royaume se liguèrent et prirent pour fondement de leur ligue que la régence du royaume eût été donnée à une femme étrangère. Blanche ne s'étonna point dans une conjoncture si délicate et si périlleuse, et, se servant de tous les moyens que la prudence lui suggérait, elle vint à bout de ce formidable parti, autant de fois qu'il renouvela ses complots. On prétend que sa beauté ne lui fut pas inutile dans ces sortes d'occasions et qu'elle en tira de très bons services sans rien faire contre

son honneur. » Ainsi s'exprime Pierre Bayle à l'article « Blanche de Castille »; après quoi, et suivant sa méthode habituelle, il s'empresse de se faire l'écho de toutes les imputations que la chronique scandaleuse du temps a dirigées contre la vertu de la Reine. Ces quelques lignes du Dictionnaire enferment assez exactement la substance historique du drame de M. de Bornier. Les grands feudataires du royaume se sont révoltés. Ils ont à leur tête le comte Hugonnel, beau-frère de Blanche de Castille, et le comte de Champagne, Thibaut. Ceux-ci, sous la garantie d'un sauf-conduit, viennent signifier à la Reine l'ultimatum des féodaux. Ils veulent qu'elle épouse l'un d'eux, Hugonnel ou Thibaut. A cet ordre, que Hugonnel lui intime en termes violens et grossiers, la Reine, soucieuse de sa dignité, n'a voulu rien répondre. Mais elle s'expliquera avec Thibaut, le soldat-poète dont elle sait qu'elle est aimée en secret, et qui lui adresse, sous des noms supposés, d'ardentes chansonnelles ainsi qu'à la « dame de ses pensées. » Chez celuici la haine n'est qu'une perversion de l'amour, et il a l'âme assez haut placée pour qu'on puisse avec succès y faire appel au sentiment chevaleresque et y éveiller un enthousiasme mystique.

Mon fils sous un régent ne serait qu'un esclave.

Je ne veux pas. Fidèle au feu roi mon époux,
Je n'épouserai donc ni Hugonnel, ni vous.

Mais, si elle brise ainsi le rêve que Thibaut avait pu concevoir, ce n'est que pour l'inviter à faire avec elle un rêve plus digne de tous les deux. Au lieu de cet amour où leurs désirs de créatures humaines se seraient satisfaits, elle lui montre plus loin, plus haut, un autre amour où ils peuvent communier. Et elle trouve des mots d'une pénétrante douceur pour l'amener à cet amour du pays de France auquel elle se souvient d'être arrivée elle-même par une lente initiation :

Écoutez! Quand je vins en la terre de France

Je ressentis d'abord la secrète souffrance
D'un bonheur incertain et d'un vague péril :
Pour nous, la royauté commence par l'exil.
Bientôt, comme l'on va par le pays des rêves,
La France m'apparut avec ses vastes grèves,
Ses antiques forêts, ses fleuves et ses monts,

Je ne sais quoi de doux qui fait que nous l'aimons,
Je ne sais quoi de grand que l'on admire en elle,
Tout ce qui fait sa grâce ou sa force éternelle,
Et son peuple dont l'âme est si prompte à s'ouvrir,
Qui sait lutter, qui sait vaincre et qui sait souffrir.
J'aimai ce peuple ainsi : j'ai d'une âme fervente
Juré d'être à la fois sa reine et sa servante.

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