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REVIEW 3/19/67 SD no funds

78867

R34 139916

LA FRANCE

ET

LA QUESTION D'EXTREME-ORIENT

LIBRARY

OF THE

UNIVERSITY

OF CALIFORNIA

Depuis des siècles, la Chine vivait isolée, enfermée dans ses traditions et dans la contemplation de sa grandeur passée, fière de son immobilité et dédaigneuse des « barbares d'Occident. » La civilisation moderne, bruyante, expansive, conquérante par nécessité économique, venait se heurter aux portes hermétiquement closes du Céleste Empire; elle envahissait l'Inde, elle entamait l'Indo-Chine, elle pénétrait par le nord jusqu'aux rives du Pacifique, elle transformait en quelques années le Japon; les races européennes peuplaient le monde; l'Amérique et l'Océanie s'animaient d'une vie nouvelle; l'Afrique allait livrer ses secrets; mais la Chine restait vierge de tout contact étranger: il semblait que le peuple le plus anciennement civilisé dût être aussi le dernier à adopter les procédés et les modes de la civilisation nouvelle. Sa vie économique, tout interne, ne lui faisait point une loi de l'exportation et de l'échange avec l'étranger; elle se suffisait à ellemême, à peine effleurée par les caravanes mongoles ou les vaisseaux anglais. Grouillant et pullulant comme une race de fourmis, les Célestes vivaient d'une vie très intense, cultivaient leurs champs, trafiquaient entre eux par leurs fleuves, leurs canaux et les restes de leurs routes; ignorans du monde extérieur, ils ne souhaitaient pas d'être connus de lui; le mystère de leur âme restait, comme leur langage, impénétrable et intraduisible aux Occidentaux. Il fallut des coups de canon pour que les Européens pussent enfin, en certains points, s'accrocher, pour y faire du commerce, aux flancs de l'immense empire, où, jusque-là, quelques

missionnaires chrétiens avaient seuls eu l'audace, souvent mortelle, de s'introduire.

La force des choses devait à la fin rompre ces barrières et faire cesser cet isolement. Les nations européennes, industrielles et commerçantes, que les besoins de leur existence obligent à chercher toujours des marchés nouveaux, devaient fatalement désirer d'ouvrir à leur négoce ce centre incomparable de production et de consommation. Brusquement, avant que les travaux d'approche des Occidentaux fussent achevés, les victoires du Japon, dans la guerre de 1894-1895, posèrent devant le monde la question d'Extrême-Orient et mêlèrent le Céleste Empire à la vie politique et économique universelle. Du coup, les affaires de Chine passèrent au premier plan des préoccupations des gouvernemens.

Pays surpeuplé, riche, producteur et commerçant, la Chine n'est pas et ne peut pas être une terre de colonisation. L'action des grandes puissances ne saurait y ressembler à ce qu'elle a été dans les solitudes de l'Australie ou dans l'Afrique noire. Une exploration comme celle de Stanley, une expédition comme celle du Dahomey ou de Madagascar, ne seraient point ici de mise: tout l'effort des étrangers se résume en une conspiration générale pour obtenir la plus grosse part des bénéfices de la mise en valeur de ce monde nouvellement ouvert à leurs convoitises. Ils n'ont ni l'ambition de conquérir ou de peupler la Chine, ni la noble passion de la civiliser ou, si l'on met à part l'œuvre des missionnaires, de la christianiser; ils cherchent avant tout, par l'introduction des procédés de l'Occident, à stimuler sa production naturelle, à augmenter ses besoins pour augmenter sa puissance de consommation, à mobiliser ses ressources économiques pour les lancer dans le torrent toujours grossissant de la circulation universelle de la richesse.

Ni la passivité des populations, ni la mauvaise volonté des mandarins, ni l'hostilité des lettrés, ni l'amas des vieux préjugés, ■'empêcheront l'œuvre colossale de s'accomplir: comme la coquille qui a laissé glisser la pointe d'une lame entre ses valves entre-bâillées, la Chine aujourd'hui ne saurait plus se refermer. Malgré son incuriosité de tout ce qui n'est pas elle-même, elle est entraînée dans un tourbillon irrésistible, elle est saisie par cette fièvre d'activité créatrice qui est le caractère même des civilisations modernes. Elle n'est point conquise par des armées : les États qui entendent commercer avec elle, même malgré elle, et

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