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CHAPITRE VI

CONSIDÉRATIONS ÉCONOMIQUES SUR LES CHEMINS DE FER

1

SITUATION DES CHEMINS DE FER FRANÇAIS1.

En France, comme en Angleterre, les chemins de fer prirent naissance dans les pays de houillères et de hauts-fourneaux, là où le besoin des transports se faisait le plus vivement sentir.

En 1821, MM. les ingénieurs Beaunier et de Gallois étudièrent un chemin de fer réunissant les houillères de Saint-Étienne à Lyon. Une ordonnance royale de 1823 leur concéda cette ligne.

1826. Concession par ordonnance royale de la ligne de Saint-Étienne à Lyon.
d'Andrezieux à Roanne.

182

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La traction s'opéra d'abord au moyen de chevaux ; ce n'est qu'en 1832 que la locomotive apparut sur la ligne de Saint-Étienne à Lyon.

Une loi de 1833 concéda à titre perpétuel la ligne d'Alais à Beaucaire. La même année et les années suivantes furent accordés les crédits qui permirent d'étudier les grandes lignes rayonnant de Paris vers les frontières.

De 1853 à 1838, on ne trouve que quelques concessions de petites lignes : Paris à Saint-Germain, Montpellier à Cette, Paris à Versailles (rive droite et rive gauche), Mulhouse à Thann, Bordeaux à la Teste.

La situation politique, à l'intérieur et à l'extérieur, en 1839 et 1840, pesa lourdement sur les lignes déjà crées ou en voie de construction, et plusieurs périclitèrent.

En 1840, les Chambres furent forcées d'autoriser la construction par l'État des lignes de Montpellier à Nimes, et Lille à Valenciennes.

En 1841, la France n'avait que 566 kilomètres de chemins de fer, dont 319 ouverts à la circulation, et se trouvait dans un état très-prononcé d'infériorité par rapport aux pays voisins. On sentit la nécessité de recourir à des moyens énergiques et de venir en aide à l'industrie privée en laissant à la charge de l'Etat la partie vraiment aléatoire de la construction.

L'Angleterre avait complétement abandonné la construction de ses lignes à

1 Cette situation a été établie d'après les documents statistiques que publie chaque année le Ministère des travaux publics et surtout d'après la notice historique et statistique des voies de communication de la France, publiée en 1873, par M. l'ingénieur Lucas, à l'occasion de l'exposition de Vienne.

CONSIDERATIONS ÉCONOMIQUES SUR LES CHEMINS DE FER. 195 l'industrie privée; la Belgique, au contraire, avait créé et exploitait ses chemins de fer aux frais de l'État.

En France, on adopta un système mixte : l'État, avec ses ingénieurs, construisit l'infrastructure de la voie, c'est-à-dire qu'il acheta les terrains et exécuta les terrassements et les ouvrages d'art; les compagnies exploitantes n'avaient plus qu'à installer la voie et le matériel.

La loi de 1842, rédigée dans ce sens, déterminait comme il suit les grandes artères du réseau français :

Paris à la frontière belge, par Lille et Valenciennes,

Paris à Rouen et au Havre.

Paris à Strasbourg.

Paris à la Méditerranée, vers Cette et Marseille par Lyon.

Paris en Espagne, par Tours, Bordeaux et Bayonne.

Tours à Nantes.

Orléans au centre de la France par Bourges.

Le Rhin à la Méditerranée par Marseille et Lyon,

L'Océan à la Méditerranée, de Bordeaux à Marseille, par Toulouse.

En 1843, on ouvrait les lignes de Paris à Rouen et de Paris à Orléans, qui donnaient d'excellents résultats, ce qui encouragea la spéculation. Les adjudications se faisaient avec publicité et concurrence, et le rabais portait soit sur la durée de la concession, soit sur la redevance à payer à l'État.

Mais les inconvénients de l'adjudication ne tardèrent pas à se manifester; certaines Compagnies firent des rabais excessifs qui entrainèrent leur ruine.

Aussi concéda-t-on directement plusieurs lignes (Bordeaux à Cette, Paris à Cherbourg, Paris à Rennes) à des Compagnies puissantes, présentant toutes les garanties désirables.

Au 31 décembre 1847, il y avait 4,035 kilomètres concédés, et 1,824 seulement livrés à l'exploitation et partagés entre vingt-deux Compagnies.

Les événements de 1848 desorganisèrent presque toutes les Compagnies, et l'on dut mettre sous le séquestre plusieurs lignes, entre autres celle d'Orléans. On proposa alors le rachat de toutes les lignes par l'État; mais cette mesure ne fut appliquée qu'au chemin de Paris à Lyon.

Jusqu'en 1850 le réseau demeura stationnaire.

En 1851, le concours de l'État commence à apparaître sous diverses formes : subvention en argent, garanties d'intérêt jusqu'à concurrence d'une certaine somme, subvention en travaux.

A la fin de 1851, il y avait 3,911 kilomètres concédés et 3,547 exploités, dont 385 au compte de l'État; le tout était réparti entre vingt-sept Compagnies.

En 1852 se manifestèrent les graves inconvénients résultant du morcellement des lignes : ce morcellement entraînait des transbordements et des surcroits de dépenses considérables; il n'y avait aucune unité dans les tarifs et les délais de transport.

Ce fut donc un grand service rendu à la France que la fusion qui s'opéra de 1852 à 1855. Il en résulta les six grandes Compagnies qui existent encore aujourd'hui et qui se partagent presque la France entière:

1o Compagnie du Nord; 2° d'Orléans; 3o de Paris à Lyon et à la Méditerranée, qui absorba les lignes de Lyon à Genève, du Bourbonnais et du Grand-Central; 4o de l'Est; 5o de l'Ouest; 6o du Midi.

A la fin de 1857, il y avait en France 16,071 kilomètres de chemins de fer

concédés, dont 1,011 seulement appartenaient à des Compagnies secondaires. La garantie d'intérêt, consentie par l'État en faveur des Compagnies, donnait à celles-ci un grand appui moral, sans trop charger les finances publiques, et les capitaux accueillaient avec faveur les obligations de chemins de fer.

C'est grâce à cet appui que la crise de 1859 put être conjurée, et que l'on put aussi imposer aux Compagnies la construction et l'exploitation de lignes dont le produit ne devait pas de longtemps rémunérer le capital de construction.

Le réseau de chaque grande ligne est divisé en deux parties: l'ancien et le nouveau réseau; l'ancien réseau ne reçoit aucune garantie de l'État; seules, les dépenses exécutées sur le nouveau réseau ont un intérêt garanti de 4 pour 100 qui, avec l'amortissement, s'élève à 4,655 pour 100. Lorsque les recettes de l'ancien réseau arrivent à dépasser un certain rendement kilométrique, l'excédant est reversé sur le nouveau réseau et vient en déduction de la part de l'État. Quand les recettes du nouveau réseau lui-même arriveront à dépasser la somme nécessaire au payement de l'intérêt, le surplus servira à rembourser avec les intérêts à 4 pour 100 toutes les avances faites précédemment par l'État.

En 1863, il y avait 19,044 kilomètres de chemins concédés, dont 11,147 dans le nouveau réseau.

Au 31 décembre 1870, la situation des chemins français concédés par l'État est résuinée dans le tableau suivant :

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Les conditions d'établissement et les dépenses sont résumées au tableau suivant,

en ce qui concerne les six grandes Compagnies :

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Les tarifs légaux étaient, en 1869 :

De 0,112, 0,084 et 0,0616 en 1re, 2e et 3° classe.

De 16, 14, 10, 8 à 4 centimes par tonne de marchandises, suivant la classe. Le parcours moyen d'une tonne de marchandises a été de 142 kilomètres, et le parcours moyen d'un voyageur 37 kilomètres.

Le total des personnes employées en 1869 par les six grandes Compagnies a été de 135,384.

Au 1er janvier 1870, le total des dépenses faites ou à faire sur les lignes concédées par l'État s'élevait à un peu plus de 10 milliards de francs, sur lesquels 8 milliards déjà avaient été dépensés.

La loi du 12 juillet 1865 a autorisé la construction par les départements, par les communes ou par des concessionnaires des chemins de fer d'intérêt local, auxquels sont accordées certaines facilités de construction,

Ces chemins de fer sont aujourd'hui en grande faveur et semblent appelés à sillonner le territoire; tous les jours de nouvelles concessions sont accordées; au 1er janvier 1871, il y en avait 1,770 kilomètres de concédés, dont 268 kilomètres seulement livrés à l'exploitation.

La situation des chemins de fer français au mois d'août 1874 se trouve résumée dans le discours prononcé par M. l'ingénieur Caillaux, ministre des travaux publics, à la séance de l'Assemblée nationale du 5 août 1874 :

« Le développement total de nos chemins de fer d'intérêt général définitivement concédés se trouve porté à 23,730 kilomètres, sur lesquels 18,877 sont livrés à l'exploitation. Les nouvelles lignes dont nous vous proposons d'approuver la concession porteront la longueur totale à 24,785 kilomètres, c'est-à-dire à plus des deux tiers de la longueur totale de nos routes nationales. Les lignes concédées en outre, sous le titre de chemins de fer d'intérêt local, ont une longueur de 4,177 kilomètres, sur lesquels 1,266 sont dès maintenant livrés à l'exploitation.

« On peut donc dire, en réunissant ces chiffres, que notre réseau de chemins de fer concédés est aujourd'hui d'environ 30,000 kilomètres, sur lesquels plus de 20,000 sont en exploitation et 10,000 environ sont en construction ou à construire. >>

Avantages économiques des chemins de fer. On n'évaluait autrefois qu'à 20 centimes par tonne et par kilomètre le prix du transport des marchandises sur les voies de terre.

Ce prix est aujourd'hui d'au moins 25 et généralement de 30 centimes sur les routes ordinaires; il est beaucoup plus considérable sur les chemins vicinaux, et les subventions qu'on est en droit de réclamer à l'industrie pour dégradations exceptionnelles l'élèvent encore en bien des cas.

La tonne kilométrique transportée par chemin de fer ne coûtant que 6 centimes, le prix des transports est donc 4 à 5 fois plus faible qu'autrefois, et on réalise en outre une énorme économie de temps pour les transports à grande distance. Cette économie de temps peut, du reste, se traduire en chiffres, ainsi que l'a fait M. l'ingénieur Goschler:

« On ne peut guère évaluer à moins de 0,50 par heure le temps d'un voyageur; or un voyageur à pied fait 4 kilomètres à l'heure, et perd, par conséquent, 0f, 125 par kilomètre; en diligence, le voyageur fait 10 kilomètres à l'heure, et le péage par kilomètre est au moins 0,15, en ajoutant 5 centimes pour le temps perdu, c'est un total de 0,20 par kilomètre; en chemin de fer, le voyageur fait 30 kilomètres à l'heure et le péage moyen est de 0,08 par kilomètre; il en résulte, avec le temps perdu, un prix total de 0,096 par kilomètre. » On peut donc établir, comme il suit, le prix du transport d'un voyageur :

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Les différences seraient bien plus accusées si on tenait compte des frais accessoires de toutes natures qu'entraînent les diverses manières de voyager.

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