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II

Le XVI° siècle avait légué de grands abus à l'Eglise de France. Henri IV ne craignait pas de livrer évêchés et abbayes aux seigneurs et aux magistrats de son parti. Crillon seul tenait deux archevêchés, trois évêchés et une abbaye. Le protestant Sully jouissait de quatre abbayes.

Le moyen âge avait vu des évêchés donnés en douaire et constituer la dot des femmes. Le XVIe siècle, la première moitié du XVII nous montrent des enfants pourvus d'évêchés. Les maisons de Lorraine et de Bourbon se faisaient adjuger les plus beaux sièges. On a de la peine à compter, par exemple, les évêchés et les abbayes accumulés simultanément sur la tête du cardinal Jeau V 1

1. En 1501, Jean V de Lorraine, âgé de quatre ans, obtint d'Alexandre VI des bulles de coadjuteur de son grand oncle, Henri de Lorraine-Vaudemont, évêque de Metz, à condition de n'exercer ses pouvoirs qu'à sa vingtième année. L'oncle étant mort en 1505, le neveu prend, en 1508, possession de cet évêché. Il s'en démet en 1529, en faveur de Nicolas de Lorraine, son neveu, enfant de quatre ans, se réservant d'y rentrer en cas d'abdication de son successeur. De fait, Nicolas, qui avait pris possession de son siège à sa vingtième année, abdique, en 1548, pour se marier et devient duc de Mercœur. Alors Jean de Lorraine, son oncle, reprend l'administration de l'église de Metz et la garde jusqu'à sa mort. A l'évêché de Metz, Jean de Lorraine, nommé cardinal par Léon X en 1518, ajoute successivement ou possède simultanément plusieurs évêchés et abbayes. Nous le voyons administrateur de l'évèché de Toul en 1517, de Térouanne en 1518, fait cardinal par Léon X la même année. Il obtient l'archevêché de Narbonne en 1520, les évêchés de Valence et de Die en 1521, qu'il n'a plus en 152'. Il a l'évêché de Verdun de 1523 à 1544. Postulé en 1524 pour le siège de Luçon, il en obtient les bulles, mais n'en prend pas possesion, car il le cède en 1525 à Louis de Bourbon. En 1533, il reçoit l'archevêché de Reims, en 1535 l'évèché d'Albi, en 1537 l'archevêché de Lyon. Il garde ces deux derniers le reste de sa vie avec l'évéché d'Agen, qu'il obtint en 1541, et celui de Nantes qui lui fut accordé en 1542. Les évêchés ne suffisaient pas à ce privilégié. Il lui fallait des abbayes. Jean V eut, dès sa jeunesse, l'abbaye de Gorze qu'il céda à son neveu, de Fécamp en 1523, de Cluny dont il fut premier abbé commendataire en 1529, de St-Jean de Laon en 1533, (il la garda

de Lorraine. Il semble que les plus riches bénéfices du royaume n'aient d'autre destination que d'alimenter son opulence. Son neveu, le fameux cardinal Charles de Lorraine, frère du duc François de Guise, trouve des abbayes dans son berceau, est archevêque de Reims à quatorze ans, cardinal à vingt-trois. En 1610, Louis III de Lorraine, cardinal de Guise, archevêque de Reims, ne peut sacrer Louis XIII parce qu'il n'est que sous-diacre. Quelques années plus tard, en 1629, Henri III de Lorraine-Guise est nommé à quinze ans archevêque de Reims. En 1616, à peine âgé de deux ans, il a hérité de son oncle, le cardinal de Joyeuse, de six abbayes dont le pape a dû confier l'administration à Bérulle, supérieur de l'Oratoire. En 1629, la mort de son frère aîné et de son père, en le faisant duc de Guise, permet à cet étrange évêque, qui n'était pas entré dans les ordres, d'abandonner la carrière ecclésiastique qu'il détestait. Alors commence pour lui une vie d'aventures héroïques et galantes. Beau, chevaleresque, entreprenant, téméraire, véritable portrait, dit Madame de Motteville, des anciens paladins, on le voit guerroyer en tout pays, conquérir et perdre le royaume de Naples, lutter pour et contre Mazarin, faire cent folics, finir par être grand-chambellan et donner un carrousel qui fit sensation.

A la mort de Charles de Lorraine, les chanoines de Metz ne craignirent pas de porter leur vote sur un en

deux ans), de St-Germer en 1536, de St-Médard de Soissons en 1536 (il s'en démit en 1540), de Marmoutiers, en 1539, dont il fut premier abbé commendataire et qu'il garda jusqu'à sa mort avec quelques autres, telles que les abbayes de Saint-Ouen de Rouen et de Saint-Mansuy-les-Toul.

Cf. Fisquet, la France pontificale, diocèse de Reims. Jean V de Lorraine se démit, en 1538, de l'archevêché de Reims en faveur de Charles de Lorraine, son neveu. Malgré ces immenses revenus, qui mettaient en quelque sorte à contribution toute la France ecclésiastique, Jean V avait des dettes, si grandes étaient ses prodigalités. On s'étonne que les papes Léon X, Clément VII et Paul III aient autorisé de tels abus par leurs bulles sans lesquelles une telle accumulation de bénéfices cût été impossible.

fant de six ans, Henri de Bourbon, fils naturel de Henri IV et de la marquise de Verneuil. Henri IV les remercia de ce « service signalé. » Cet Henri de Bourbon, simple clerc tonsuré, évêque de Bossuet, jouira à Paris durant quarante ans des revenus d'une église qu'il ne vit jamais et qu'il administra par ses suffragants. Richelieu pouvait donc dire avec vérité dans sa harangue aux Etats de 1614 « Les bénéfices demeurent promis à des enfants qui, au comble de leur mérite et de leur âge, n'oseraient peut-être penser à parvenir aux honneurs qu'on leur a donnés au berceau. »

Les maisons princières ne sont pas les seules à abuser de leur puissance pour piller l'Eglise; toutes les races nobles veulent avoir leur part et se l'adjugent aussi grande que leur crédit. Des évêchés deviennent en quelque sorte héréditaires pendant un demi-siècle, pendant un siècle, dans les mêmes familles. Nous avons vu les Gondi se transmettre celui de Paris, les Bonzi celui de Béziers, les Sourdis celui de Mallezais, les Richelieu celui de Luçon. Comme il faut, à chaque génération nouvelle, fournir un titulaire pour tenir cet espèce de patrimoine sacré 1, on s'expose à pousser à l'épiscopat des hommes sans vocation et à faire monter un Retz sur le siège de Paris. Richelieu est nommé évêque de Luçon sans être encore sous-diacre, sans avoir fait d'études théologiques. Il commence par prendre l'évêché, le reste viendra après.

Il ne faut point oublier ici, en présence de tels faits, la distinction théologique entre l'ordre et la juridiction. On pouvait être évèque, c'est-à-dire posséder la juridiction épiscopale d'un diocèse, sans avoir reçu la plénitude du sacerdoce que donne le sacre, sans même être entré

1. L'évêché de Troyes est donné au petit Viguier, âgé de dix ans, dont la maman administre le temporel du diocèse. D'Avenel, Richelieu et la monarchie absolue, t. III, p. 322.

dans les ordres majeurs. De là le titre d'évêque que nous voyons à cette époque conféré parfois à de simples clercs, presque à des enfants. Les papes avaient beau stipuler dans les bulles qu'ils ne pourraient exercer le gouvernement que plus tard, lorsque ces prélats improvisés auraient l'âge et les qualités voulues, ce n'en était pas moins un abus étrange que de faire porter les nominations épiscopales sur des imberbes, qui pouvaient abandonner la carrière sous prétexte qu'ils n'étaient pas engagés dans les ordres. 1

On devine que les sujets promus dans des vues humaines aux premières dignités, sans vocation, sans vertus, affligèrent plus d'une fois l'Eglise par leur conduite. Il ne fallait pas leur demander, ni parfois à leurs confrères, ce qu'on appelle la tenue ecclésiastique. Camus, évèque de Belley, adressa un jour en chaire cette remontrance aux prélats ses collègues : « Avons-nous pudeur de paraître par notre tonsure, cette couronne cléricale que l'on porte si peu et qui rappelle la couronne d'épines, les sacrés esclaves du Rédempteur ? Quoi! nous sommes si rigoureux là dessus en nos petits clercs, choristes ou novices, et si relâchés en notre regard ! Pour les habits, c'est de même.... Je vous parle à vous, messieurs les prélats, que dis-je mais à moi-même qui prêche. Que faisons-nous avec ces habits laïques, où sont nos soutanes, nos camails violets... ? Le port de la croix d'or, combien est-il, je n'ose dire négligé, mais délaissé par plusieurs, de peur d'être, ce semble, reconnus parmi les gens de dévotion. >> 2

1. M. de Bourbon-Verneuil, après avoir été titulaire de l'évêché de Metz pendant quarante ans (1612-1652), s'en démet pour épouser la nièce du duc de Sully. M. de Savoie-Nemours, archevêque de Reims (16511657), épouse mademoiselle de Longueville, renonçant à l'état ecclésiastique et échangeant la crosse contre l'épée.

2. Camus, Homélie des désordres des trois ordres, 1615, in-8°,

P. 24.

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Il fallait chercher quelques uns de ces prélats non parmi les gens de dévotion, mais parmi les gens de guerre. Les luttes du protestantisme avaient réveillé chez plusieurs l'humeur belliqueuse de leurs prédécesseurs du moyen âge. La ligue les trouva plus d'une fois dans les rangs des combattants. Comment exiger, en particulier, des princes de Lorraine, engagés souvent malgré eux dans l'Église, de contenir l'ardeur guerrière de leur race. Louis III de Lorraine, cardinal de Guise, archevêque de Reims, a un procès avec Charles de Gonzague, duc de Nevers. Fatigué des lenteurs de la procédure, il propose à ce dernier de vider la querelle l'épée à la main. Les deux adversaires étaient déjà sur le terrain quand ils furent arrêtés. Cet étrange archevêque de Reims qui n'était que sous-diacre, se dédommagea en allant faire avec ses troupes le siège de St-Jean d'Angely, où il fit éclater sa bouillante bravoure. On n'est pas peu étonné de voir Richelieu mettre des cardinaux, des archevêques, un La Vallette, un Sourdis, à la tête de ses armées de terre et de mer, demander aux évêques de Montpellier, Nimes, Albi et autres, de conduire à la guerre contre les Espagnols les contingents de leur diocèse 1. Richelieu les appelait les prélats de l'Eglise militante.

1. Richelieu répondait aux représentations du pape « que les cardinaux devaient contribuer au bien public selon les talents que Dieu leur avait donnés, et qu'il était impossible qu'ils ne fussent pas engagés dans les charges militaires aussi bien que dans les autres. » Richelieu était obligé de tempérer la fougue du cardinal La Valette; il lui disait « qu'avec sa dignité, il pouvait bien faire le capitaine, mais non le carabin. » L'abbé de Beauvau plantait des pieux dans le camp de La Rochelle. Au siège de Dôle, en Franche-Comté, les religieux de la ville parurent sur les remparts armés de marteaux pointus dont ils assommaient tout ce qu'ils rencontraient sous leur main. Un capucin, le Père Eustache, l'un des meilleurs canonniers de son temps, dirigeait l'artillerie des Comtois. D'Avenel, op. cit., III, p. 329.

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