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III

Une réforine nécessaire s'opéra ici dans le cours du XVII° siècle. Déjà au seizième, le concile de Trente, considérant que « tout l'éclat de la famille du Seigneur sera chancelant, si ce qui est requis dans le reste du corps ne se rencontre pas dans le chef, qu'on ne peut jamais assez prendre de précautions à cet égard », avait multiplié les prescriptions, ordonnant les prières publiques et une information minutieuse sur le sujet même, qui devait être « d'un âge mûr, de bonnes mœurs, savant dans les bonnes lettres et entré dans les ordres sacrés au moins six mois auparavant 1. » Le XVII° siècle fit de louables efforts pour s'inspirer, dans le choix des évêques, de ces dispositions trop souvent oubliées.

Richelieu prit fréquemment la résolution 2 de nommer de bons prélats, y réussit ordinairement, demanda P. de Condren de lui désigner des clercs vraiment di

au

1. Concile de Trente, de reform., sess. VII, ch. I; sess. XXII, ch. II; sess. XXIV, ch. I.

2. Les Mémoires de M. du Ferrier (p. 155, 169, 170) rapportent cette conversation de Richelieu avec M. Meyster: « Croyez-vous, lui disait le cardinal, que je puisse me sauver dans l'état où je suis? Monseigneur, reprit M. Meyster, nous en avons parlé diverses fois avec le P. de Condren. Et qu'en avez-vous pensé? — Nous sommes demeurés d'accord que vous aviez en main un moyen pour assurer votre salut, qui est le pouvoir de soutenir les droits de l'Eglise et de faire nommer d'excellents hommes aux évêchés. Je vous assure, dit le cardinal, que je suis tellement dans ces sentiments que je ne songe qu'à choisir les plus capables et les plus dignes, sans m'arrêter à la sollicitation ni au service des parents. J'en connais l'importance et je suis convaincu qu'on encourt la damnation, aussi bien en nommant à un bénéfice à la considération des amis ou des services rendus par les proches qu'en les vendant à deniers comptants. » Cf. Faillon, Vie de M. Olier, 4° édit. t. I, p. 377-379, 418. Malheureusement cette conversation avait lieu en 1642, la dernière année de sa vie. Plusieurs choix et évêques de son temps laissaient bien à désirer. Cf. Montchal, Mémoires; d'Avenel, op. cit.

gnes, mais parfois se laissa entraîner par politique ou par faveur à des promotions déplorables. Il supprima les mots qu'on avait coutume de mettre dans les brevets de nomination Et pour reconnaître les bons et agréables services. Il rêvait vers la fin de sa vie d'établir un séminaire d'évèques, qui devait trouver à peu près sa réalisation dans celui de Saint-Sulpice.

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On peut dire que l'homme du dix-septième siècle qui, le premier, se montra vraiment résolu, sans aucune défaillance, à ne nommer que de bons évêques, fut Vincent de Paul, durant les dix années qu'il passa au conseil de conscience. Il paya cher ses scrupules et la confiance que lui témoignait la reine-mère. L'histoire cite le trait de cette grande dame qui avait surpris à Anne d'Autriche la promesse de l'évêché de Poitiers pour un fils indigne, qu'on ramassait souvent le soir ivre-mort au coin des rues. Vincent de Paul accourt et éclaire la religion de la reine. Il est chargé par elle d'aller apprendre à l'altière solliciteuse que la nomination est rapportée. Celle-ci, prise d'une violente colère, saisit un tabouret, le lui lance à la tête et lui fait au front une large blessure d'où le sang jaillit avec abondance. Le frère qui accompagne Vincent veut intervenir. Celui-ci l'arrête et fait cette simple observation où la sainteté laisse percer une petite pointe d'humeur gasconne: «N'est-ce pas admirable de voir jusqu'où va la tendresse d'une mère pour son fils!» Ce n'est pas la seule aventure qui ait marqué le décennat de Vincent de Paul. Tantôt c'est un gentilhomme mécontent qui lui dit : « Vous êtes un vieux sou », tantôt un autre qui le frappe, tantôt une noble dame qui se plaint en ces termes d'être éconduite : « On voit bien que vous ne savez pas encore de qu'elle façon il faut agir avec les femmes de ma qualité.

Bien autrement grave était l'ingérence de Mazarin qui, moins attentif aux intérêts de la religion qu'à ceux de

sa politique, contrariait les choix de Vincent de Paul, ne réunissait pas le conseil 1, ou faisait passer ses candidats. Aussi le saint écrivait-il un jour : « Je crains que ce damnable trafic des évêchés n'attire la malédiction de Dieu sur le royaume ». Au bout de dix ans, Mazarin réussit à le faire écarter du conseil de conscience. Il eut alors plus de liberté pour faire triompher ses créatures, au risque d'exciter les plaintes désolées de M. Olier et plus tard de Fénelon2. On lui doit la nomination de Cos

1. Vincent de Paul en fit partie de 1643 à 1653. Ce conseil de conscience, créé par Anne d'Autriche, comprenait, outre la reine, Mazarin, Vincent de Paul, le chancelier Séguier, M. Charton, chanoine pénitencier de Notre-Dame, les évêques de Beauvais et de Lisieux. - Aux Etats de 1614, le clergé avait demandé la création d'un « conseil supérieur destiné à éclairer le roi et à le guider dans l'exercice de la plus périlleuse de ses prérogatives. » Cf. le grand ouvrage de Mr G. Picot, Histoire des Etats généraux, 1872, 4 vol. in-8°, III, 45't.

2. M. Olier écrivait, en 1651, à Anne d'Autriche pendant un exil de Mazarina Vous aviez pris des mesures excellentes pour la collation des bénéfices et surtout pour la nomination aux évèchés, afin de les donner aux plus dignes de votre royaume; vous y êtes obligée en conscience. Dieu a vu, Madame, que cela ne se faisait plus, parce que vous en laissiez disposer à cette personne (Mazarin) qui n'en avait ni le zèle, ni la force nécessaire pour résister anx demandes et aux importunités: abus qui a causé au royaume de Dieu un dommage dont vous ne connaîtrez la grandeur qu'au jour du jugement. C'est une simonie que de récompenser dans les enfants les services que leurs pères ont rendus au royaume... Comme votre âme demeurait chargée de cette collation indigne des abbayes et des évèchés, Dieu vous a ôté........ la personne qui les dispensait en votre nom, afin que vous ouvriez de nouveau les yeux sur une obligation si capitale.... Je ne vous parle que des omissions considérables relatives au clergé. L'affliction et la douleur que nous en éprouvons nous font languir tous les jours jusqu'à mourir. » Faillon, op. cit., t. II, p. 520-525. Fénelon, vantant, en 1706, dans une lettre à Clément XI, l'admirable fermeté de Vincent de Paul au conseil de conscience, ajoutait: « Si les autres conseillers de la reine eussent adhéré plus constamment à cet homme, on eût écarté de la charge épiscopale certains hommes qui ensuite ont excité de grands troubles. » Œuvres de Fénelon, t. XXV. Corresp. t. III, p. 104. Cependant, au témoignage de Mme de Motteville, Anne d'Autriche, regrettant d'avoir trop facilement cédé aux vues de Mazarin, continua à consulter en secret ་་ le P. Vincent, tant qu'il a vécu, ou d'autres qu'elle a cru gens de bien..... Dieu a fait à cette princesse la grâce de voir la plupart de ceux qui, pendant sa régence, ont été élevés à cette dignité, satisfaire à leur devoir et faire leurs fonctions avec une sainteté exemplaire. » Mémoires de Mme de Motteville, coll. Michaud, 20 série, t. X, p. 66.

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nac1, évêque de Valence,de Harlay, archevêque de Rouen, plus tard de Paris, et d'autres qui ne pouvaient guère honorer l'Eglise par leur vie. Vincent de Paul avait du moins réussi à faire poser en règle qu'on ne donnerait plus les évêchés à des enfants, qu'il faudrait avoir au minimum un an de prêtrise pour être évêque, être âgé de dix-huit ans pour pouvoir tenir une abbaye, de seize ans pour un prieuré et un canonicat de cathédrale, de quatorze pour une collégiale. Cette décision montre l'étendue de certains abus.

Louis XIV s'attacha à donner à l'Eglise de France cet air de bonne tenue, cette correction, qu'il avait su introduire dans toutes les branches de l'administration publique. Il ne pouvait y avoir place pour un Retz sous son règne, ni pour les évêques des commandements dans les armées. D'un autre côté, les séminaires, en particulier Saint-Sulpice, contribuaient à marquer les gens d'église d'un cachet ecclésiastique. Le costume et jusqu'à la figure indiquaient ce changement.

Les statuts du XVIe siècle avaient fréquemment prohibé le port de la barbe. Les évêques, qui faisaient ces défenses, ne s'y conformaient pas toujours pour eux-mêmes. Le chapitre de leur cathédrale voulut plus d'une fois les contraindre à observer la régle. En 1564, le roi de France dut permettre par lettre de cachet à l'évêque d'Amiens,

1. L'abbé de Choisy raconte, et son récit est un peu arrangé pour l'effet, que Daniel de Cosnac, nommé par Mazarin à l'évêché de Valence, sur les instances du prince et de la princessc de Conti, courut aussitôt chez M. de Paris, « Le roi, lui dit-il, m'a fait évêque, mais il s'agit de me faire prêtre. Quand il vous plaira, répondit M. de Paris. - Ce n'est pas là tout, répliqua M. de Valence; c'est que je vous supplie de me faire diacre. Volontiers, lui dit M. de Paris. Vous n'en serez pas quitte pour ces deux grâces, monseigneur, interrompit M. de Valence; car, outre la prêtrise et le diaconat, je vous demande encore le sousdiaconat, Au nom de Dieu, reprit brusquemment M. de Paris, dépêchez-vous de m'assurer que vous êtes tonsuré, de peur que vous ne remontiez la disette des sacrements jusqu'à la nécessité du baptême. »

le cardinal de Créquy, de garder la barbe que les chanoines voulaient lui supprimer. La même difficulté s'était présentée à Troyes au sujet du nouvel évêque, Antoine Caraccioli, qui dans la suite devait se faire à peu près huguenot. Il arriva avec barbe au menton, dague et rapière au côté, cape, toque et manteau de cour. Le chapitre, trouvant cette tenue peu épiscopale, fit au prélat de vertes remontrances. Henri II écrivit aux chanoines de ne pas contraindre Caraccioli à faire tomber sa barbe, parce qu'elle lui était utile pour quelques affaires dont il voulait le charger auprès des cours étrangères. Le chapitre était ardent dans cette lutte contre les prélats barbus parce que, prohibant la barbe aux chanoines et à tout le bas-chœur, il lui était difficile d'interdire aux petits ce qui était pratiqué par les grands. Mais il se buttait ici à de hautes résistances. Ainsi les cardinaux de Lorraine et de Guise portaient barbe pleine tout en la proscrivant dans leurs statuts.

Les portraits des archevêques de Paris nous montrent encore dans les premières années du dix-septième siècle, un Gondi avec toute sa barbe, une figure martiale et comme prêt à partir en guerre. Mais bientôt la barbe tombe, laissant, il est vrai, après elle la moustache en croc et la mouche. Camus, évêque de Belley, a beau condamner ces appendices, « parce qu'il y a toujours, dit-il, dans le poil de la lèvre supérieure quelque amusoir d'impertinence, » nous les trouvons dans les portraits de Richelieu, de M. Olier, de Bossuet; mais ils ont déjà disparu chez Fénelon pour ne plus se montrer sur une figure épiscopale du XVIIIe siècle.

La toilette de l'âme avait plus d'importance que celle du visage. Louis XIV, qui avait la foi, tenait par conscience a n'appeler à l'épiscopat que des prêtres irréprochables. Saint-Simon nous parle fréquemment de ces « abbés que le roi s'était promis de ne jamais faire évêques. » Un jour

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