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L'on a été édifié de cet acte de modestie glorieux pour M. de Chabot, si distingué par sa naissance 1. »

De tous côtés les évêques quittent noblement les richesses qui les quittent. « Le coup mortel a donc été porté au clergé de France, écrit de Rome le cardinal de Bernis. Je souhaite bien sincèrement que ce dépouillement ne porte aucune atteinte à la religion, à l'éducation, aux mœurs, au soulagement des pauvres... A l'égard de ma fortune, je ne la regretterais pas si elle était sacrifiée au bien de l'Etat 2. » C'est tout; point de récriminations, point de gémissements. L'épiscopat élève son âme à la hauteur de son infortune. Il expie, là où besoin est, par son sacrifice, le faste de son ancienne opulence.

Les évêques de l'assemblée nationale eurent occasion d'exposer au pape, dans une lettre collective, les principes qui avaient dicté leur conduite pendant et après la discussion mémorable qui aboutit à la confiscation des biens ecclésiastiques.

Après avoir dit les raisons qui leur avaient fait défen

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1. Nouvelles ecclesiastiques, 1790, p. 176 et suiv. Tous les prélats n'étaient pas aussi disposés à abandonner les errements du passé. L'évêque de Gap, M. de Vareilles, raconte que la nouvelle municipalité de Gap voulait s'opposer « à ce que je me fisse suivre par mes gens quand j'allais aux offices ou quand j'officiais. Je résistai et l'ancien usage persiste; mais ça n'a pas été sans batailler, et il a fallu pour me maintenir dans cette espèce de droit, qui est commun à tous les évêques, mépriser toutes les menaces... Au moment où je sortis de chez moi avec mon accompagnement (pour aller à vêpres), les cris et les hurlements recommencèrent, comme si on avait vu une bête féroce; mais en même temps on me faisait un passage de plus de trois toises et personne n'approcha. »> Cl. Mémoire de la Broue de Vareilles, eveque de Gap, publié par l'abbé Guillaume, 1892. - Voy. dans l'histoire de Mgr de Villeneuve, évêque de Montpellier, par l'abbé Saurel. une querelle de même genre de ce prélat avec les magistrats de Montpellier.

2. Dépêche à Montmorin, 17 novembre, 1789. Le Cardinal Bernis, p. 466. L'évêque de Noyon, M. de Grimaldi, est moins résigné. Nommé par le pape assistant au trône pontifical, il écrit au cardinal secrétaire d'Etat qu'il emploiera à acquitter la taxe « les premiers deniers de la restitution que j'espère bien que me fera cette bande de brigands. » Lettre du 14 juin 1791. Cf. Theiner, Documents inedits relatifs aux affaires religieuses de France, 1790-1800, 1857, 2 in-8°, t. I, p. 329.

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dre avec la plus grande énergie ces propriétés, patrimoine séculaire de l'Eglise et des pauvres, 1 ils ajoutent : « Quand l'arrêt a été porté, qui nous dépouille de tous nos biens, notre silence a bien fait voir à quel point nous étions inaccessibles par nous-mêmes à tous les intérêts temporels dont la jouissance avait attiré sur nous la haine et l'envie. Nous n'avons pas troublé d'un seul mot, d'une seule plainte, le cours des opérations fondées sur l'hypothèque des biens qu'on nous a ravis. »

1. « Nous n'avons pas manqué, disent-ils, aux devoirs de nos charges. Nous n'étions que les dépositaires passagers de ces biens, dont la piété de nos pères avait doté les églises de France. De quel droit pouvionsnous, possesseurs d'un jour, abandonner un dépôt confié par des lois qui semblaient immortelles? Nous ne pouvions pas priver les générations à venir de ces fondations saintes qu'elles devaient hériter, ainsi que nous, des vertus de nos pères, et nous avons su défendre avec force et courage ce patrimoine sacré que les voix unanimes de la nation entière, pendant tant de siècles, avaient remis dans nos mains. Nous avons défendu la propriété des églises, et tel fut l'ascendant de notre défense, qu'on n'osa pas déclarer, comme on l'avait mis en délibération, que la proprié té des biens ecclésiastiques appartenait à la nation. Nous avons réclamé contre leur aliénation, et nous osons dire encore que nous avons fait sentir combien il eût été plus utile à l'Etat de chercher des ressources dans les offres du clergé, que d'aliéner tous ses biens; et si notre perte n'avait pas été jurée, les églises de France seraient encore le centre des charités dont s'alimentait la misère, et la ressource la plus assurée pour l'Etat. » Lettre des évêques députés à l'assemblée nationale, en réponse au bref du pape,en date du 10 mars 1791, 64 pages in-8°, p. 30-32. Cette lettre, peu connue, mais très remarquable, est datée du 3 mai 1791, et signée par les trente prélats députés, encore présents à l'assemblée nationale. Elle avait été rédigée par M. de Boisgelin. La résignation de l'épiscopat ne pouvait aller cependant jusqu'à approuver la spoliation de l'Eglise. Plus tard l'assemblée nationale, dans son « Instruction >> aux Français, ayant cru pouvoir donner comme preuve de son attachement à la religion le fait d'avoir « placé au premier rang des dépenses de l'Etat celle de ses ministres et de son culte, » M. de la Luzerne répondit: « Est-ce sérieusement, est-ce par dérision que l'on présente comme un bienfait de l'assemblée envers la religion ses décrets sur la dépense du culte? Croit-on que la nation ait déjà oublié la spoliation aussi violente qu'injuste de tous les biens des églises, l'anéantissement de la propriété la plus antique, la plus constante, la plus révérée, reconnue dans tous les temps et par les rois et par la nation? Voilà l'ouvrage de l'assemblée, voilà ce qu'elle a fait pour la religion catholique. Elle a conservé à la secte de Luther ses possessions, elle a enlevé à l'Eglise de JésusChrist les siennes, dans les lieux mêmes où elles étaient également garanties par les traités. » Euvres de La Luzerne, VI, 400.

Une telle sérénité fait le plus grand honneur aux évêques qui tenaient ce noble langage. Après avoir défendu, comme c'était leur devoir, le patrimoine de l'Eglise, ils crurent de leur dignité, une fois la spoliation consommée, de ne point récriminer sur le fait accompli. Les prélats de l'assemblée, ayant appris qu'un laïque allait publier un ouvrage pour défendre la propriété ecclésiastique, remboursèrent les frais d'impression et firent retirer le livre pour ne point aggraver les difficultés ni attiser les haines 1.

Certains spectateurs du combat jugeaient les évènements avec moins de calme. Burke, dans ses Réflexions sur la Révolution française, se montra sévère pour la confiscation que venait d'opérer la Constituante. « Quel autre, dit-il, si ce n'est un tyran (nom qui exprime tout ce qui peut corrompre et dégrader le genre humain), pourrait s'imaginer de s'emparer de la propriété des hommes ; et cela, par centaines, par milliers, par classe entière, sans accusation préalable, sans les entendre, sans les juger? Ne faut-il pas avoir perdu jusqu'aux traces de l'humanité pour précipiter dars l'humiliation des hommes élevés par leur rang et par le ministère sacré de leurs fonctions, parmi lesquels le grand âge de plusieurs implorait seul tout à la fois la vénération et la compassion, de les pré

1. Le pillage des biens du clergé avait soulevé contre lui bien des passions. « Lui ôter la dime, dit l'abbé de Pradt, était armer la nation contre lui. Prendre ses biens était le compromettre avec ceux qui en recevaient quelque parcelle... On avait mis les prètres dans le cas d'être égorgés à chaque instant. » Cependant les évêques avaient accepté généreusement tous les sacrifices. Quand il s'agit de s'imposer pour le quart de ses revenus, on vit, par exemple, M. de Sabran, évêque de Laon, se taxer à 32000 liv.; M. de Durfort, archevêque de Besançon, à 20000, liv. chiffres qui dépassaient de beaucoup la proportion des sacrifices demandés. Le sacrifice de l'argenterie des églises était bien douloureux. « Allez done, N. T. C. F.. écrivit M. de Durfort, verser dans le sein de la patrie les secours qu'elle vous demande... Mais déplorez des malheurs qui s'étendent jusque sur le sanctuaire. » Sauzay, I, 136.

cipiter ainsi de la plus haute élévation connue dans l'Etat, élévation dans laquelle ils étaient maintenus par leur propriété foncière, à un état d'indigence, d'abaissement et de mépris. » Jamais, ajoutait Burke, les « Communes de la Grande-Bretagne ne se seraient portées à une telle confiscation des biens de l'Eglise et des pauvres. »

Ainsi parlaient les vivants. Ah! si les morts avaient pu élever la voix, si les millions de donateurs de tous les siècles qui, confiants dans la perennité de l'Eglise et dans « ces lois qui semblaient immortelles », croyaient pouvoir dormir à jamais leur sommeil à l'abri des temples, des monastères, bercés en quelque sorte par les chants sacrés et les cérémonies saintes, si ces bienfaiteurs, réveillés en sursaut par la hache des démolisseurs, avaient pu secouer la poussière du tombeau, de quel accent ils eussent renouvelé les excommunications, les anathèmes inscrits dans leurs testaments, contre ces profanateurs, venant ainsi anéantir leurs fondations avec les biens d'Eglise, et arrêter sur les lèvres du prêtre la prière séculaire qui montait vers Dieu pour le salut de leur âme 1.

1. Tous les orateurs, en particulier M. de Boisgelin, dans son discours du 31 octobre (p. 19-20), plaidèrent vivement les droits des fondateurs.

CHAPITRE QUATRIÈME

Les évêques fonctionnaires salariés

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I. Une douloureuse conséquence de la suppression des biens, c'est que les évêques passent au rang des salariés. C'est alors que pour la première fois on traite de fonctionnaires les membres du clergé, au moment où ils cessent de l'être. La mission du prêtre étant toute spirituelle, il n'est pas fonctionnaire de l'Etat dont il n'a reçu aucune délégation.-Mais les constituants, n'ayant plus la foi aux pouvoirs surnaturels des prêtres, les jugent en philosophes et ne voient en eux que des «officiers de morale » au service de l'Etat. —Raisons invoquées pour en faire des salariés. Répugnance hautaine des évêques pour le salaire. On y voit une cause d'avilissement. Sentiment de Burke, du pape. II. Efforts des curés pour obtenir une dotation territoriale. - Tableau enchanteur du curé propriétaire et agriculteur tracé par l'abbé de Montesquiou et l'abbé Grégoire. - PreOn leur refuse toute propriété. mière discussion du budget des cultés. Ancienne opulence reprochée aux évêques. Leur traitement. Les curés mécontents des 1200 fr. qui leur sont alloués. Leur situation est pire encore après cent ans.La Révolution dont ils ont accéléré la marche les a trahis.- III. Le refus du serment à la constitution civile sera un premier prétexte pour ne pas les payer. D'ailleurs la Constituante, qui a gaspillé toutes les ressources, n'a pas de quoi acquitter sa dette au clergé. Evêques qui recurent ou refusèrent le traitement. Curés payés ou non, selon les départements. Les engagements furent peu tenus. Mais le traitement du clergé reste inscrit par la Constituante comme dette nationale.

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Ce qui était le plus douloureux à l'Eglise de France dans sa ruine totale, c'est que ses ministres perdaient avec leurs biens leur indépendance matérielle, et passaient au rang des salariés. Un mot prononcé par Mirabeau, le 10 août 1789, dans la discussion des dimes, le mot de salarié, avait fait dresser les cheveux sur leur tête. «J'en

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