Page images
PDF
EPUB

encore entre monarchie et république, quel chemin déjà parcouru, quel rapide apprentissage de la liberté chez ces prélats que nous avons vus tenir leur place à la Constituante, y parler, s'y conduire en citoyens et, malgré les douloureux sacrifices qu'ils ont dû s'imposer, proclamer généralement, dans toutes les parties de la France, leur adhésion au nouveau régime politique.

Cette ligne de conduite avait été consacrée par l'autorité la plus haute. Le pape Pie VI, dans le bref adressé, le 10 mars 1791, aux prélats de l'assemblée qui avaient souscrit la célèbre exposition rédigée par Boisgelin contre la constitution civile du clergé, a bien soin d'y déclarer qu'il n'avait d'autre but « que de conserver dans leur intégrité les droits de l'Eglise et du Saint-Siège apostolique ; que son intention n'est point d'attaquer les nouvelles lois civiles appartenantes au gouvernement temporel, ni de provoquer l'établissement de l'ancien régime de France, ainsi que l'ont publié quelques calomniateurs, dans le dessein de rendre la religion odieuse. »>

On le voit, en France, à Rome, les dispositions de l'Eglise étaient des plus conciliantes, quand la Constituante, emportée par je ne sais quel esprit de vertige, voulut, en votant la constitution civile du clergé, lui imposer une dernière loi qui allait se briser, cette fois, contre la résistance inébranlable des consciences. L'assemblée était ici d'autant plus coupable qu'elle était avertie. L'archevêque d'Arles, M. Dulau, que nous avons vu avare de condamnations, de manifestes et de coups d'éclat, parce que, disaitil, dans « cette explosion la foi n'a pas été jusqu'à présent attaquée d'une manière directe », ajoutait que son attitude changerait, et qu'il «en serait autrement si l'Assemblée réalisait ses projets donnant atteinte à l'autorité spirituelle 1.

[ocr errors]

1. Lettre du 28 avril 1790, loc. cit.

Dans la séance du 9 juillet 1790, trois jours avant que l'Assemblée consacrât, par un vote irrémédiable, la constitution civile du clergé, l'évêque de Clermont, M. de Bonal, l'avertit solennellement de son imprudence, et de la résolution où était le clergé de rejeter toute disposition contraire à ses droits dans le spirituel. « Nous allons, Messieurs, s'écria-t il avec émotion, renouveler, de concert avec tous les individus de la nation, le serment de lui être fidèles, ainsi qu'à la loi et au roi. Quel est le Français, que dis-je! quel est le chrétien qui puisse hésiter sur un engagement que les principes consacrent. Je me déclare ici prêt à le signer de mon sang, s'il est besoin. Nous allons promettre en même temps, mais dans des circonstances bien différentes de celles où nous nous trouvions le 4 février dernier, de maintenir de tout notre pouvoir la constitution décrétée par l'Assemblée nationale. Ici, Messieurs, en me rappelant tout ce que je dois rendre à César, je ne puis me dissimuler ce que je dois rendre à Dieu. Oui, dans tout ce qui regarde les objets civils, politiques et temporels, je me croirai fondé à jurer de maintenir la constitution: mais une loi supérieure à toutes les lois humaines, me dit de professer hautement que je ne puis comprendre dans mon serment civique les objets qui dépendent essentiellement de la puissance spirituelle, que toute feinte à cet égard serait un crime, que toute apparence qui pourrait la faire présumer serait un scandale de ma part. Je déclare, en conséquence, que j'excepterai très expressément de mon serment tout ce qui concerne les objets purement spirituels, et je vous supplie de considérer que cette exception elle-même doit vous paraître le plus sûr garant de ma fidélité à ce que j'aurai juré. »

L'Assemblée, en entendant ce langage d'un prélat universellement respecté et qui, dans cette circonstance, reçut les applaudissements et l'adhésion des autres évê

ques, ne put se méprendre sur la sincérité et sur le caractère inébranlable de leur résolution. Que ne se leva-t-il pas dans son sein un de ces orateurs puissants sur ses décisions, pour l'arrêter au moment où elle allait consacrer d'un dernier vote une loi à jamais néfaste. L'évêque de Clermont, en s'offrant à signer au besoin de son sang la partie civique des nouvelles institutions, promettait et donnait plus qu'on n'a coutume de demander aux auteurs et aux défenseurs des constitutions. Que voulait-on davantage? Le clergé, bien qu'il eût payé jusqu'alors, à peu près seul avec le roi, tous les frais de la Révolution, se fût vite accoutumé au nouvel ordre de choses. Nous avons dejà entendu ses chefs tenir le langage de citoyens libres. Le temps aurait pansé bien des blessures. L'Etat et l'Eglise pouvaient reprendre leur marche avec des institutions qui, bien qu'imparfaites et en les ébranlant l'un et l'autre, les avaient cependant rajeunis. Mais voilà qu'après avoir atteint le clergé dans son rôle politique par la suppression des ordres, dans ses troupes d'avantgarde par la suppression des corporations religieuses, dans sa bourse par la suppression des dimes et des biens, dans sa religion d'Etat par la proclamation de la liberté des cultes, dans son cœur par toutes les tribulations infligées au bon et pauvre Louis XVI, on veut maintenant le frapper dans sa foi et dans sa conscience en bouleversant la discipline et la constitution ecclésiastique. Ces prêtres, qu'on avait fait citoyens, on veut maintenant en faire des martyrs. Ils le seront, mais tout en abordant avec fierté une des plus belles luttes de l'Eglise de France, comment ne pas déplorer les faits qui la remplissent.

L'un des prélats de l'Assemblée nationale, M. d'Esponchez, évêque de Perpignan, faisant, dans un écrit de mars 1792, un retour sur les évènements qui venaient de s'accomplir, rappelait les enthousiasmes de la première. heure, puis décrivait la voie suivie par la Constituante

dans l'accomplissement de son œuvre, voie que le clergé ne trouva point toujours semée de fleurs. Il ajoutait avec mélancolie du fond de son exil: « Après deux ans de troubles et d'orages, après deux ans de combats et de peines, nous avions conçu la douce espérance, N. T. C. F., nous nous étions flattés qu'à l'ombre de cette liberté qui nous était promise, il nous serait permis du moins de nous retrouver enfin au milieu de vous, pauvre de biens, mais riche de votre foi, et d'y porter, comme les apôtres au sortir du conseil des Juifs, la joie de nos humiliations et la gloire de nos disgrâces. La divine Providence n'a pas daigné nous accorder une aussi grande consolation.> Nous avons été « forcés de fuir loin de cette terre qui dévore ses habitants 1.» Hélas! cette terre qui dévorait ses habitants parut aussi engloutir pour longtemps cette confiance, cette émulation, ces élans généreux, qui avaient fait battre le cœur du clergé avec celui de la nation. La constitution civile, qu'on voulut lui imposer à tout prix, inaugura ces persécutions, ces violences qui devaient donner à la Révolution je ne sais quelle allure satanique, détourner d'elle ses victimes ensanglantées,créer enfin,au grand détriment de l'une et de l'autre, un trop long divorce entre la religion et la liberté.

1. Lettre pastorale du 12 mars 1792. Cf. abbé Torreilles, op. cit. p.315-316.

LIVRE DEUXIÈME

LES ÉVÊQUES ET LA

CONSTITUTION CIVILE DU CLERGÉ

CHAPITRE PREMIER

La constitution civile du clergé

[ocr errors]

Leur entourage.

Le prétex

[ocr errors]

I. Les évêques ont marché jusqu'ici avec la Révolution: ils vont être arrêtés par leur conscience. La Révolution, qui a jusqu'alors attaqué l'Eglise par le dehors, menace maintenant son existence spirituelle. — L'Etat, qui a sécularisé l'Eglise, veut encore la réformer et la mettre sous sa main. - La Constituante transformée en concile. te, c'est de détruire les abus dans l'Eglise comme dans l'Etat. II. Quels sont ces abus ? — D'abord, charges inutiles à supprimer, Chapitres de cathédrale compris dans la proscription. On veut des évêques-curés. Les grands vicaires, luxe de l'ancien régime, remplacés par les vicaires épiscopaux. Seconde réforme remanier la circonscription trop inégale des paroisses et des diocèses. Autant de diocèses que de départements. III. Etablir un nouveau mode de nomination aux charges ecclésiastiques. Anathème de Mirabeau contre le concordat et l'ancien système de collation. — Les élections introduites dans l'Eglise pour corriger ces abus, et mettre en harmonie sa constitution avec la constitution démocratique de la nouvelle France. Bataille sur ce point. Critique du système par les orateurs de la droite. -Réplique de Mirabeau qui outrage les évêques nommés par le ministre de la feuille. - Le concordat très mollement défenIV. Vice suprême de la nouvelle organisation: les élus manquent de juridiction. La Luzerne rappelle aux meneurs que les pouvoirs spirituels viennent d'en haut, non de la multitude. Ceux-ci inventent le système de la juridiction universelle et confondent la juridiction avec l'ordre. L'évèque universel. V. Conséquences de cette législation.Suppression du pape, auquel les nouveaux évêques ne peuvent demander aucune juridiction. La Constituante parat ignorer le pape dans tout le cours de sa carrière. Les évêques, qu'on voulait faire profiter de l'affaiblissement du pape, atteints gravement. Ils reçoivent un

du.

[ocr errors]

[ocr errors]
[ocr errors][merged small]

conseil, des synodes obligatoires et délibérants. Prêtres dispensés de leur demander les pouvoirs. Les curés qu'on semble vouloir favoriser,

« PreviousContinue »