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à ce sujet, l'Exposition des principes sur la constitution civile du clergé, rédigée par Boisgelin et signée par trente prélats députés à la Constituante; qu'on parcoure les mandements lancés par les évêques de la province (ils nous ont été conservés par centaines 1): partout nous voyons invoquer les Pères, les conciles, la tradition constante et l'organisation de l'Eglise, c'est-à-dire des raisons doctrinales, pour repousser les décrets de la Constituante. Cicé lui-même, archevêque de Bordeaux, qui avait eu la faiblesse, comme garde des sceaux, de concourir à la sanction et à la promulgation de la constitution civile du clergé, ne tarde pas à le regretter et parle ici comme ses collègues 2. «< Croyez, dit-il aux administrateurs du département de la Gironde, qu'il faut que je sois bien convaincu de la vérité de mes principes et de leur nécessité pour le maintien de la religion, pour en faire la règle de ma conduite. Mais, Messieurs, vous savez combien est impérieuse la voix de la conscience et du devoir. >>

Avec quelle énergie les évèques formulent ici leurs convictions et leurs résolutions! Je proteste ne suivre que ma conscience et les règles de la foi », s'écrie l'évêque de Soissons, et alors M. de Bourdeilles donne à l'expression de sa pensée un ton, un accent, qui ne trompent pas 3. La Broue de Vareilles, évêque de Gap, signe

1. L'exposition de Boisgelin est du 30 octobre 1790.- La Collection ecclésiastique de l'abbé Barruel, 14 vol. in-8°, 1791 et suiv., renferme cent cinquante publications épiscopales relatives à la constitution civile du clergé, et elle n'est pas complète.

2. « Je ne puis, dit Cicé, prêter le serment exigé sans reconnaître que le pouvoir civil s'étend sur des objets spirituels, sur le gouvernement de l'Eglise et sa discipline générale, et a droit d'y statuer sans l'intervention de l'autorité ecclésiastique, Or, c'est ce que les principes dans lesquels j'ai été élevé, et que j'ai toujours professés, ne me permettent pas de reconnaître. » Recueil des mandements des archevêques de Bordeaux, 1848, t. I, p, 561.

3. « Etabli par J.-C. juge de la doctrine, envoyé vers vous pour publier, au péril même de ma vie, toute vérité nécessaire à votre instruction, écrit M. de Bourdeilles, j'ai délivré mon âme, j'ai rempli un ministè

rait sa lettre pastorale de son sang, « de ce même sang que je serais prêt, dit-il, à verser pour la défense des vérités que je professe et pour le salut de mon peuple. » L'archevêque de Vienne, M. d'Aviau, écrit à M. De Boisgelin « Ces principes ont été ceux de toute ma vie. Je les conserverai, Dieu aidant, jusqu'au moment de ma mort; tout mon sang est prêt à couler pour les défendre. Un prélat à qui il fut donné de verser, en effet, son sang pour sa foi, l'archevêque d'Arles, fit cette dé claration solennelle: « Tant qu'on n'a attaqué que les dehors de la place, nous avons fait toutes les concessions que nous pouvions accorder, mais maintenant que l'on attaque le dedans, et qu'on veut faire entrer le schisme et l'hérésie dans l'intérieur de l'Eglise, il ne nous reste plus qu'à mourir sur la brèche. »>

Telle était chez les prélats la conviction de n'avoir agi que par devoir, dans les intérêts de la foi, et avec une très grande modération, que l'évèque de Troyes, M. de Barral, croyait pouvoir s'écrier, au nom de tout l'épiscopat, avec une tranquille et chrétienne assurance: « Etant hommes, nous sommes coupables devant Dieu, mais nous sommes innocents devant vous 1. »

re indispensable. Vingt-cinq ans se sont écoulés depuis que, par la permission de la Providence, j'ai été placé sur le siège de cette ville, berceau de la monarchie française. La doctrine que vous avez entendue est en tout point conforme à la profession de foi que j'ai jurée au jour de ma consécration, que j'ai renouvelée au moment où, contractant une alliance spirituelle avec l'Eglise de ce diocèse, je me suis lié a vous pour la vie et pour la mort. Vous surtout, citoyens de Soissons, vous, mes enfants, car, la plupart je vous ai engendrés et confirmés dans la foi, vous en avez été témoins au jour de mon installation solennelle. Depuis cette époque où Dieu m'a donné à un peuple bon et sensible, chaque heure a resserré davantage les liens de notre affection mutuelle. Retiré des portes de la mort, n'aurais-je été rendu à vos vœux que pour déshonorer le reste d'une vie languissante et souiller votre église par une regrettable faiblesse. >>

Gautier, op. cit.

1. Collection ecclésiastique, X, 312, 591; XII, 30. 260-264. Fleury, Le département de l'Aisne pendant la Révolution, t. I, p. 148. Lyonnet, op. cit. I, p. 316.

Lutte suprême de l'Eglise gallicane pour le pape

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I. Le pape était l'enjeu de la lutte. Les meneurs présentent le pape comme un simple évêque et somment l'épiscopat de reprendre son indépendance. Tout à l'Eglise primitive. Erreur de vouloir ramener à l'enfance une constitution d'homme fait, une Eglise centralisée.-II. Combat des évêques pour l'unité. Dans la lutte, leur cœur s'enflamme pour Rome qui n'a jamais été à pareille fête. - Ils combattent pour le pape, en quelque sorte sans le pape. Ils s'étonnent et s'impatientent de son silence. - III. Cependant l'épiscopat reste gallican et fidèle à la déclaration de 1682. Il dit les libertés gallicanes compatibles avec son attachement profond à l'unité. - Fleury souvent cité. - Bossuet ressuscite pour mener le combat. Constants emprunts à ses formules, à sa langue souveraine. Il a la gloire, après cent ans, d'être pour la seconde fois le rempart de l'unité.-La Sorbonne s'associera à ses efforts.— Mais l'épiscopat a beau rester dans la tradition française, cette lutte suprême pour le pape, les mesures prises par l'assemblée contre les évêques, vont porter au gallicanisme une profonde blessure.

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Nous venons de montrer que l'épiscopat, dans la question de la constitution civile du clergé, obéit à des convictions religieuses,non à des raisons politiques. Au fond, la grande préoccupation de l'Eglise gallicane dans cette affaire ne fut pas le roi, mais le pape. Ce qui était en jeu, c'était sa communion avec Rome, c'était de savoir si elle resterait catholique. Dès lors, les droits du pape dominaient tous les autres problèmes soulevés par les décrets. Dans ce débat, partisans et adversaires du souverain pontife font assaut d'érudition. On discute les Pères, les conciles, les décrétales. L'antiquité ecclésiastique, l'histoire nationale sont mises à contribution. C'est à qui apportera plus d'autorités pour établir sa thèse.

Les promoteurs de la constitution civile ne cachent point leur hostilité contre Rome. « Qu'est ce que le pape? s'écrie Camus un évêque ministre de Jésus-Christ comme les autres..., dont les fonctions sont circonscrites dans le diocèse de Rome. » Il est, en outre, le « centre de l'unité. >> Il tient de saint Pierre une « mission spéciale de surveillance et d'exhortation, mais il y a loin de là à une juridiction proprement dite. » Si vous objectez que le souverain pontife est en possession d'exercer sa juridiction sur toute l'Eglise, Camus répond qu'il n'en a pas été toujours ainsi,qu'on sait l'origine de la révolution qui s'est opérée sur ce point dans la discipline, que les fausses décrétales ont été le grand levier de l'autorité absolue usurpée par les papes. L'abbé Grégoire vient à la rescousse de l'avocat janséniste.«< Que demanderait au pape,dit-il,le nouvel évêque? Le territoire? Il le tient de la nation. Le pouvoir? Il le tient de son ordination, il n'est pas le délégué du pape. L'institution canonique ? » Mais dans l'ancien droit, elle n'était qu'une déclaration constatant la validité des titres du postulant 1. D'Espréménil, fatigué un jour d'entendre Lanjuinais parler à la tribune de l'évêque de Rome, l'interrompit pour lui dire : « L'évêque de Rome est pour des catholiques le souverain pontife.» Au fond, la Constituante, la démocratie, venaient soulever encore une fois,à la fin du XVIIIe siècle, l'éternelle querelle des investitures.

Les défenseurs de la constitution civile cherchaient à mettre en contradiction les évêques de 1791 avec leurs prédécesseurs du XVII° siècle et de tous les siècles. Ils montraient l'épiscopat français prenant parti pour Philippe le Bel contre Boniface VIII, se faisant aux conciles de Bâle et de Constance, le grand promoteur des restrictions de la

1. Grégoire, Legitimité du serment civique. 31 mai et 27 novembre 1790.

Camus, discours des

puissance papale, tenant toujours haut et ferme le drapeau des libertés gallicanes. L'assemblée de 1682 était rappelée avec complaisance. En 1682, disait Durand de Maillane, les évêques « rabaissaient le pape pour s'élever euxmêmes, et maintenant ils appellent le pape à leur secours pour ne pas descendre. » Alors « il s'agissait de nos évèques et du roi contre le pape », aujourd'hui « il s'agit du pape et d'eux contre la nation. » Ils inondent les provinces de cent mille exemplaires du bref pontifical du 13 avril1. Au lieu de combattre ainsi pour une puissance étrangère,ne devraient-ils point profiter de la circonstance qui s'offre à eux de secouer le joug de Rome, et de reprendre en face du pape la situation qu'avaient les apôtres en face de saint Pierre. «Il est temps, disait Camus, que l'Eglise de France, toujours jalouse de ses libertés, mais pas toujours assez forte pour les maintenir, soit délivrée de cette servitude. »

Certes, nous ne prétendons pas que le fonctionnement de l'Eglise catholique au XVIII° siècle rappelât en tout point l'Eglise des premiers siècles. Il y avait eu dans la discipline ecclésiastique la même évolution que saint Vincent de Lérins signalait dans le dogme. Mais les réformateurs oubliaient qu'il fallait tenir compte de cette évolution même ; que briser, en un moment, un organisme formé par les âges, c'est s'exposer à tuer le corps qu'il anime; qu'on ne peut ramener à l'enfance une constitution d'homme fait; que vouloir refondre l'Eglise du XVIII siècle sur le modèle de l'Eglise primitive, était aussi absurde que de faire reculer la France de la Révoluet de Louis XIV à la France mérovingienne ou féodale; qu'une large décentralisation toujours possible et nécessaire au moment où une puissance nouvelle et faible multiplie ses foyers d'action et d'initiative pour conquérir le

1. Durand de Maillane, Histoire apologétique du comité ecclésiastique, p. 7, 49, 155, 229, 230, 300, 332.

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