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A cette dernière époque, la France avait jeté sa gourme, et l'unité catholique, branlante au moment de la constitution civile du clergé, nous apparaît alors cimentée par dix années de combats, de martyre, et triomphante encore de toute la réaction religieuse qui avait amené la signature du concordat. La situation était autrement grave en 1791.

III

Tous les historiens ont redit qu'elles furent en ces terribles conjonctures la longanimité, les temporisations de Pie VI. Il a accepté jusqu'à nouvel ordre la suspension des annates ; il s'est abstenu de nommer aux bénéfices; il a donné aux évêques le droit d'accorder les dispenses. La suppression des ordres religieux, en février 1790, vient le mettre en demeure de s'expliquer. Le carlinal La Rochefoucauld, les évêques le pressent de tranquilliser les consciences. On prend à Rome son mutisme pour de la faiblesse. Le cardinal de Bernis répondait à Monmorin, qui faisait demander au pape de se taire : « L devoir, la conscience, l'honneur, doivent le forcer à rompre le silence 1. » Il est question d'une encyclique. Le pape se contente de prononcer, dans le consistoire du 29 mars, une allocution très vive, il est vrai, mais qui doit rester secrète. Les évènements se précipitent. Le comtat d'Avignon est occupé. Le 12 juillet, l'assemblée décrète la constitution civile du clergé. Le pape, par des lettres adressées au roi, aux archevêques de Vienne et de Bordeaux, adjure Louis XVI de refuser sa sanction. Pie VI, pressé de son côté de reconnaître la constitution civile du

1. Bernis à Montmorin, 10 mars 1790. (Aff, Etr.)

clergé, gagne du temps, réunit les cardinaux, qui tous, y compris Bernis, ministre de France, sont d'avis que l'approbation est impossible. Difficulté inextricable, situation singulière, où le roi demande au pape de donner son adhésion à des décrets que le pape le conjure de ne point sanctionner.

La temporisation de Pie VI prouve son embarras sans doute, mais aussi sa sagesse. On avait assez accusé Clément VII d'avoir perdu autrefois l'Angleterre par sa préci pitation. La papauté ne voulait point donner prétexte à un pareil reproche. N'était-ce point habileté et prudence chez le souverain pontife, de laisser se dessiner le mouvement de l'opinion en France, de laisser l'épiscopat prendre l'initiative et engager l'avenir par l'Exposition des principes, par le refus du serment? Cette armée déjà formée pour la défense des droits du Saint-Siège, assurait au pape des troupes fidèles, quand il lui plairait d'en prendre le commandement en chef et de les conduire au combat. D'ailleurs, la temporisation, qui est assez dans les traditions romaines, ne pouvait avoir dans la circonstance que des avantages. « Avec quelle amertume, disait M. de Bausset, n'aurait-on pas reproché au souverain pontife une décision prématurée ! La religion, la justice et la prudence, lui prescrivaient un examen réfléchi.... Il avait à craindre d'aigrir par une condamnation prompte et sévère, des esprits exaltés par la passion des nouveautés et par l'ivresse de la puissance. Il pouvait, il devait espérer que le temps, la réflexion et les lumières que de sages et savantes instructions répandaient chaque jour sur ces questions abstraites et difficiles, ramèneraient à des idées plus saines ceux que l'inexpérience, la bonne foi et l'amour du bien avaient pu séduire et égarer. » Il s'agissait de l'Eglise gallicane « exposée à tous les orages de la plus violente tempête; » il s'agissait d'un empire toujours si cher au Saint-Siège, d'un roi di

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gne de son affection par ses vertus et ses malheurs. >> Quelle prudence ne fallait-il point dans de pareilles conjonctures! Quel malheur irréparable pouvait causer la précipitation ! Et pourquoi urger le dénouement? « Comment ce qui subsistait depuis tant de siècles, ne pouvait-il pas subsister encore quelques jours ? ! » On comprenait, jusqu'à un certain point, que l'assemblée nationale s'emparât coup sur coup des biens ecclésiastiques pour faire reculer la « hideuse banqueroute », mais où était le péril pour la France à retarder l'application de la constitution civile du clergé ?

La lenteur du pape s'expliquait donc par les raisons les plus graves. Mais il faudra bien finir par prendre une décision. Pie VI voudrait pacifier. « Jamais pape, dit Bernis, n'a été plus porté à la conciliation que celui-ci. » Mais cette bonne volonté a des limites. Les cardinaux déclarent unanimement que le souverain pontife ne saurait adhérer aux lois nouvelles. Bernis lui-même écrit de Rome : « Il est impossible au chef de la religion catholique de donner une approbation quelconque à des décrets destructifs des règles canoniques, et opposés à la discipline universelle, ainsi qu'aux maximes de l'Eglise gallicane 2. » La discipline de l'Eglise universelle compliquait, en effet, singulièrement la situation. Comment, par exemple, renoncer pour notre pays à l'institution des évêques, attribuée dé sormais aux métropolitains, sans affaiblir, en France, les liens de l'unité avec Rome, sans créer par là même une exception, et donner aux autres pays catholiques la tentation et l'exemple d'une pareille émancipation.

Pendant que le pape réfléchit, les évènements se succèdent. Il eût fallu du jour au lendemain improviser un nouveau concordat, prendre les décisions les plus graves.

1. Mgr de Bausset, loc. cit. p. 61, 62.

2. Bernis, dépêches du 17 et 24 novembre 1790. (Aff, Etr.)

Ce n'est pas dans les habitudes de Rome. Par deux fois Louis XVI consulte le pape sur les décrets, et par deux fois, sans attendre la réponse, il donne la sanction qu'il vait promis de suspendre. Pie VI se trouve en présence des fa accomplis. Déjà l'immortelle séance du 4 janvier 1791, des scenes pareilles qui se renouvellent en province, ont mis aux prises l'assemblée nationale avec la généralité de l'épiscopat et la grande majorité du clergé secondaire. C'est dans ces conditions qu'intervient enfin le bref du 10 mars 1791, bientôt confirmé par celui du 13 avril, lesquels portent condamnation de la constitution civile. C'en était fait des tentatives de conciliation. Le conflit éclatait dans toute son acuité.

CHAPITRE CINQUIÈME

Le serment

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I. La constitution civile était déplorable. -- Le décret du 27 novembre, qui va obliger le clergé à prêter serment sous peine de démission, va achever de tout perdre. L'opposition grandissante pousse l'assemblée à précipiter les coups. Elle ne doute pas qu'un clergé dépouillé, placé sous sa main par le salaire, ne se soumette. On la supplie d'attendre la réponse du pape. - Quoi! une assemblée souveraine serait arrêtée devant un veto ultramontain. II. Les évêques se plaignent amèrement qu'on place le clergé entre le déshonneur et la misère, qu'on scrute jusqu'aux opinions et aux consciences, - Et vous nous appelięz à vous au nom du Dieu de paix ! Les prélats se réclament de la liberté des cultes. Puisqu'on invoque le salaire pour violenter le clergé, « que la loi, dit M. de Boisgelin, nous laisse la liberté et qu'elle retire ses salaires. >> Les meneurs restent sourds à ces cris. Ils précipitent la sanction royale du décret et provoquent la séance mémorable du 4 janvier 1791, pour la prestation du serment par les ecclésiastiques de l'asIII. Beau spectacle. Immortelles paroles des évêques d'Agen et de Poitiers. Volte-face des évènements. - C'est la première victoire du clergé. Immense retentissement de cette séance au dehors. Son influence sur l'attitude du clergé dans toute la France. IV. Le serment dans les diocèses. Les quatre prélats constitutionnels. Comment l'évêque de Rodez faillit prêter le serment. - Une affirmation de Grégoire au sujet d'autres prélats. Belle attitude de la généralité de l'épiscopat. Quelques paroles sublimes.

semblée.

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I

Nous touchons au drame. La résistance à la constitution civile du clergé se dessinait dans plusieurs provinces. L'Exposition des principes, rédigée par les prélats de la Constituante, ne pouvait que l'encourager et l'étendre, tant étaient fortes et lumineuses les conclusions de ce grave document. Cette publication irrita d'autant plus les meneurs qu'ils étaient plus embarrassés pour y répondre. Ils voulurent arrêter le mouvement de réaction par le

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