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être une des gloires de la Sorbonne, professeur depuis trente ans dans cette illustre école, vicaire général de Mgr de Juigné, guide et maître d'une foule d'évêques, jamais il n'eût franchi le seuil de l'épiscopat sans le mouvement d'idées qui, de toutes parts, battait en brèche les préjugés de caste. Entre les deux se place, comme naissance, M. d'Aviau, issu d'une très honorable famille. Vicaire général de M. de Sainte-Aulaire, évêque de Poitiers, il avait montré une vie irréprochable, de la piété, de la science, du talent, du jugement, de la fermeté et de la douceur, l'intelligence des affaires et la connaissance des hommes. Il joignait à ces qualités une modestie qui lui fit refuser l'archevêché de Vienne avec une insistance que M. de Pompignan dut vaincre par des appels réitérés 1.

VI

Nous venons de résumer en quelques traits l'histoire des nominations épiscopales durant deux siècles. Les évêques de France, qui avaient vu de mauvais il la feuille des bénéfices confiée aux Jésuites, pendant plus de cinquante ans, sous Louis XIV, eurent la satisfaction d'avoir un des leurs chargé de cette importante administration durant les règnes de Louis XV et de Louis XVI. Ces ministres ecclésiastiques remplirent pour la plupart leurs délicates fonctions avec conscience et honneur. Mais il suffit que l'un

1. Cf. Lyonnet, Ilistoire de Mgr d'Aviau, 2. vol. in-8°, I, p. 222 et suiv. Citons encore comme promotions faites en 1789, celle de M. Gallois de la Tour, nommé le 21 mai 1789 évêque de Moulins qui venait d'être érigé en évêché ;:- de M. du Lau d'Almans, parent de l'archevêque d'Arles, sacré le 19 avril 1789 évêque de Grenoble. M. de Lavezou, nommé évêque de Lodève en 1790, ne fut pas préconisé.

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d'eux, Jarente, ait trahi ses devoirs, il suffit que la feuille des bénéfices fût le point de mire de tant de compétitions, de tant d'appétits, de tant d'intrigues des grandes familles, pour qu'elle soit attaquée avec violence à la veille de la Révolution. Le souvenir d'un Jarente aux ordres de la Pompadour obsède la pensée de beaucoup d'électeurs en 1789. De là les demandes assez nombreuses de l'élection appliquée aux curés et même aux évêques, tout au moins d'un conseil de conscience chargé d'éclairer les choix du souverain. Mirabeau se chargea bientôt de faire retentir la tribune d'anathèmes contre la feuille. Après la tourmente, un témoin et ami de l'ancien régime, l'abbé Proyart, faisant allusion à certains choix déjà très anciens qui avaient poussé « dans les premières dignités du sanctuaire le rebut des grandes maisons et les bâtards des princes, » va presque jusqu'à se réjouir que désormais, après la table rase de la Révolution, il n'y ait « plus à craindre que l'appât des richesses surcharge l'Eglise d'indignes ministres 2. »

1.

Que le roi veuille bien ne nommer aux bénéfices consistoriaux, que des ecclésiastiques qui lui soient présentés par un conseil de conscience, dans lequel il y aura au moins moitié d'ecclésiastiques. » Cahier du clergé de Metz, Archives parlementaires, III, p. 761. « Qu'il soit nommé un conseil de conscience pour la nomination des bénéfices consistoriaux. Un seul homme chargé de ce département peut être exposé à l'erreur, quoiqu'il ait les vues les plus sages et les plus ecclésiastiques. Assiégé sans cesse par l'intrigue, il lui sera difficile de fixer son choix, même pour les places les plus importantes. » Clergé de Saintes, Arch. parlem. V, 659. La mème demande est formulée par le clergé d'Amiens, de Péronne, de Dôle, de Mantes et Meulan, par les curés du Quercy, par le clergé de la paroisse Saint Paul à Paris, etc.; par la noblessse de la vicomté de Paris, par le tiers état de Dijon, etc. « Le malheur voulut, dit de Pradt (op. cit. I, 441), que la direction du clergé fùt à peu près confondue avec la distribution des biens de l'Eglise; et comme partout la richesse finit par commander, la feuille finit par être le véritable régulateur du clergé de France. »

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2. « Les richesses, dit l'abbé Proyart (Louis XVI et ses vertus, 1805, t. II, p. 484-485), ont fait grand mal à l'Eglise, tantôt en allumant la convoitise des princes et des gouvernements, tantôt en commandant leur vocation au sacerdoce à des sujets sans talents et sans vertus, ou bien

Ces plaintes évoquaient le souvenir d'abus scandaleux, mais lointains. Le favoritisme étrange,qui livra trop souvent des évêchés à des enfants et gorgea surtout de biens ecclésiastiques les maisons de Bourbon et de Lorraine, a cessé à peu près complètement vers le milieu du XVII siècle. Mazarin, bien moins scrupuleux que Richelieu dans le choix des évêques, a trouvé en face de luiVincent de Paul. Louis XIV, par principe de gouvernement et par conscience, a compris, à travers quelques défaillances, toute l'importance des nominations épiscopales. Après le court interrègne du Régent, de qui on ne pouvait point attendre de grands scrupules en cette matière, le cardinal Fleury, Boyer, évêque de Mirepoix, le cardinal La Rochefoucauld, La Roche-Aymon, Marbeuf, Pompignan, nous présentent au ministère de la feuille une succession de bons prélats, dont la dignité de vie et les convictions fermes nous garantissent la vigilante sollicitude dans le recrutement de l'épiscopat. Jarente, il est vrai, s'est glissé entre deux. Le timoré Louis XVI a eu la faiblesse de faire Talleyrand évêque d'Autun. C'est dire quelles tolérances étranges, quels scandales nous présente parfois l'ancien régime. Attendons-nous donc à trouver dans cet épiscopat régulier, vertueux dans son ensemble, quelques mauvais évêques dont nous allons chercher à déterminer le nombre.

en nous montrant dans les premières dignités du sanctuaire le rebut des grandes maisons et les batards des princes; comme si la religion fondée et propagée par la sainteté pouvait emprunter sa force d'un grand nom, lorsque l'inconduite, compagne de ce nom plus illustre, ne fera que réfléchir un scandale plus éclatant. Mais, grâce à notre Révolution, nous n'aurons plus à craindre que l'appât des richesses surcharge l'Eglise d'indignes ministres ; notre crainte, au contraire dans ces jours d'affaiblissement de la foi, c'est que la perspective de la misère n'écarte de plus en plus du sanctuaire ses ministres nécessaires. »

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CHAPITRE DEUXIÈME

Mauvais Évêques.

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I. Les évêques divisés en trois groupes par Talleyrand. En tête des mauvais évêques plaçons les quatre futurs prélats constitutionnels. Talleyrand. Son impatience d'être évêque. Comment Louis XVI se laissa forcer la main. - Le Sulpicien chargé de préparer Talleyrand à l'épiscopat. Comment Rome confirmait de tels choix. Portraits de Loménie de Brienne, de Jarente, évêque d'Orléans, de Lafont de Savine, évèque de Viviers. — A ces prélats plus on moins scandaleux, il faut joindre Dillon, archevêque de Narbonne, le cardinal de Rohan, évêque de Strasbourg, Grimaldi, évêque du Mans et de Noyon. - II. Noms de quelques autres évêques dont la vie privée a été l'objet d'accusations peu établies. Que penser des attaques dirigées contre Breteuil, évêque de Montauban, contre Maillé-La-Tour-Landry, évêque de Gap et de SaintPapoul? Calomnic contre le cardinal de Montmorency, évêque de Metz. Ne pas prendre tous les propos du temps comme articles de foi. Accepter comme vrai le chiffre donné par un contemporain, l'abbé Proyart: dix évèques irréguliers sur cent trente. l'existence un peu mondaine de plusieurs prélats fut une lomnie. Leurs fètes, Egards de société qu'ont ces gentilshommes. -Quête de charité par Belsunce dans un bal à Marseille. La séparation des deux sociétés mɔins tranchée que de nos jours. — Réunions permises, exigées le plus souvent par leur entourage. Des évêques plus sévères. Anecdote sur Beaumont, La tenue ecclésiastique et le sentiClément XIV à cheval. - Mal

III. Comment occasion de ca

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ment des convenances chez ces prélats. gré quelques exceptions, cet épiscopat va nous apparaitre bon dans son ensemble.

I

Talleyrand, dans ses Mémoires, nous montre l'ancien épiscopat « composé d'hommes dont quelques-uns étaient très pieux, d'autres spécialement administrateurs, d'autres enfin mondains, et mettant, comme M. l'archevêque de Narbonne, une certaine gloire à quitter les formes de leur état pour vivre en gentilshommes. »

Quels étaient ces mondains qui affectaient ainsi des allures profanes et dont quelques-uns affligeaient l'Eglise par leur conduite? Les quatre évêques qui devaient prêter serment à la constitution civile du clergé se présentent ici tout d'abord et, à leur tête, le plus illustre d'entre eux, Talleyrand.

Talleyrand a tenu à nous apprendre dans ses Mémoires qu'il avait une maîtresse durant son séminaire de SaintSulpice. On comprend qu'avec de telles dispositions, il ait eu quelque peine à forcer les portes de l'épiscopat. Poussé vers l'Eglise sans vocation, il a reçu du ciel une intelligence aussi grande que sa naissance. Nommé agent général du clergé par la province de Bourges, il s'est acquitté de sa mission pendant cinq ans, de 1780 à 1785, avec un succès et un éclat extraordinaire. C'était de règle que les agents généraux devinssent évêques. Au terme de son mandat, l'assemblée du clergé de France, qui connaissait sa conduite, le signale néanmoins, avec son collègue, « aux bontés du roi. » C'est étrange, mais ainsi le voulait la tradition et la formule du compte-rendu. Comme l'avait prévu, comme l'espérait la vénérable assemblée, Louis XVI ne tient aucun compte de cette recommandation. Le ministre de la feuille, Marbeuf, est aussi décidé que le roi à fermer à Talleyrand l'entrée de l'épiscopat. Celui-ci se morfond dans une attente impatiente. Etonné qu'un homme de son mérite et de sa naissance ne soit pas encore évêque à trente-quatre ans, il confie à ses amis, dans des lettres qui nous ont été conservées 1, ses espérances et ses déceptions.

1. A Monsieur de Choiseul-Gouffier, à Constantinople, 4 avril 1787. « Mon Archevêque de Bourges est plus mal depuis quelques jours; on dit qu'il s'en va tout à fait. Les remèdes les plus actifs le sont moins que le mal. Cette époque sera vraisemblablement celle qui décidera de mon sort. Pour le moment, il me parait bien difficile qu'on ne me donne pas l'archevêché de Bourges. La malveillance de l'évêque d'Autun (M. de Mar

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