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L'un des prélats qui se montrèrent les plus héroïques, M. La Broue de Vareilles, évèque de Gap, nous a laissé le récit de ses tribulations. On lui défendait de se rendre aux offices avec la garde d'honneur dont avaient coutume de s'entourer les évêques. Si ses gens portaient la cocarde, on le leur reprochait, parce qu'elle était interdite aux aristocrates; s'ils ne la portaient pas, on le leur reprochait encore comme une marque de dédain aristocratique. M. de Vareilles ayant excommunié, le 11 juin 1791, l'intrus Cazeneuve, « une rumeur effroyable, dit-il, se fit entendre aussitôt contre moi; les uns voulaient m'assassiner dans ma maison, les autres me conduire sur la place et m'y faire périr après les traitements les plus humiliants. Il s'agissait de me couper le nez et les oreilles et de me pendre ensuite. Ceux-ci disaient qu'il fallait me garder à vue ou me faire prendre par la maréchaussée et me conduire à Orléans. » On finit pas déférer M. de Vareilles au tribunal ordinaire. Il plaida lui-même sa cause, et fut condamné à une amende de 600 livres envers l'hôpital, qu'il paya le jour même. Eh bien, cet honime, qui, à travers tant de dangers et tant d'alarmes, put maintenir sa résidence dans son diocèse jusqu'au 11 juillet 1792, se demandait plus tard s'il n'eût point été plus méritoire de partir plus tôt en exil, si la modération relative à laquelle le condamnait son séjour en son diocèse n'avait pas nui à la défense. Et alors nous le voyons repasser dans sa mémoire, pour se rassurer, tout le bien qu'a produit sa présence prolongée. Presque tous ses prêtres

me, évêque de Cavaillon, est encore en France en novembre 1792 et devait mourir à Lyon en 1793. Il écrit (Theiner, II, 70): « Depuis trois ans chassé de mon évêché, j'ai toujours tâché de me placer le plus près que j'ai pu de mon diocèse,tantôt à Apt, tantôt à l'Isle et tantôt à Avignon...... Je suis dans ce moment à errer d'un pays à l'autre, à une ou deux journées du Comtat, sous un nom emprunté, et travesti pour l'habillement. Malgré ces précautions,on est, sur le moindre soupçon, obligé de décamper... Il est bien dur de ne savoir où reposer sa tête.»

avaient prévariqué. « Je le dis, la douleur dans l'âme, s'écriait-il, la grande majorité de mon clergé a prêté le serment. » Il eut la consolation d'en ramener plus de cinquante. Il fut le conseil, le soutien des fidèles et des pasteurs, et encore c'est à peine si cette constatation parvient à le convaincre que son opiniâtre persistance a été un bienfait pour son peuple 1.

1. Mémoire de la Broue de Vareilles, évêque de Gap, depuis 1789 jusqu'en juillet 1792, publié par l'abbé Guillaume, 1892, in 8o.

CHAPITRE HUITIÈME

Résultats de la constitution civile du clergé

tion n'est pas désespérée.
Ils disent courir « une noble
transfigurés par le sacrifice,

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I. Le premier résultat de la constitution civile du clergé fut de déchirer, de disperser l'Eglise gallicane, au moment, dit Mgr de Bausset, où elle était tranquille par l'apaisement des dissensions religieuses et honorée par les vertus, les bienfaits de ses évêques et de son clergé. — Stupéfaction des prélats devant cette effroyable tempête. Boisgelin se demande s'il n'est pas le jouet d'un songe. Vif tableau de la désolation de l'Eglise gallicane. Clergé coupé en deux. La guerre dans le temple disputé par deux pasteurs. L'évêque de Nancy montre l'Eglise gallicane prête à tomber en dissolution.-II. Heureusement que la situaGrande part des évêques dans le salut. carrière, celle de l'adversité. » — Ils sont Leur talent grandit avec leur caractère. Vibration de leurs écrits à cette époque. Belles pages ajoutées à la langue française. En fait, dit l'évêque d'Alais, « on a plus rendu au clergé qu'on ne lui avait ôté,»- Part des curés dans ce résultat.— Plus des deux tiers refusèrent le serment au milieu des plus grands périls.Rage contre eux et déception des meneurs. Grégoire dénonce les violences exercées contre les curés. Ils trouvèrent presque partout, ditil, dans les municipalités des « bourreaux en écharpe. » — - A ce prix, la France fut sauvée de la servitude d'une Eglise nationale. III. Echec complet de la constitution civile. Les curés, qu'on voulait favoriser et rapprocher du peuple, sont moins populaires, plus dépendants des évêques, qu'avant 1789. - Moins de synodes encore, plus de concours, perte de l'inamovibilité. Les évêques, que la constitution civile voulait grandir en face du pape, déracinés du sol par la perte des biens et de tout rôle politique et civil, obligés de combattre pour le pape, pour sauver l'unité, sont en train d'échapper au gallicanisme. Mirabeau, qui a défendu avec tant d'éloquence et de passion les décrets, les trouve absurdes, et fait conseiller à Louis XVI la résistance. Le roi, obligé de

les sanctionner malgré lui, décide dès ce jour de faire appel à l'Europe. L'assemblée trop fière pour céder est lancée dans la voie de la persécution. La constitution civile du clergé a ouvert sous ses pas un On attend « quelque chose de tragique. »>

abime.

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I

C'en est fait. Les évêques de France chassés de leur diocèse, sont sur les chemins de l'exil. L'Eglise gallicane, dont l'existence a été mêlée si étroitement à travers les siècles à celle de la patrie, est menacée de dissolution.

« Et, s'écrie un de ses plus nobles représentants, M. de Bausset, évêque d'Alais, quel temps a-t-on choisi pour exercer de si terribles rigueurs contre l'Eglise de France? Le temps où elle réunissait certainement le plus de titres à l'estime et à l'intérêt de tous les hommes éclairés ou sensibles. L'Eglise gallicane jouissait d'une paix profonde depuis trente ans. On n'y observait plus aucun germe de ces malheureuses divisions, qui avaient troublé les dernières années du règne de Louis XIV et presque toute la durée de celui de Louis XV. L'épiscopat était composé d'hommes au moins recommandables par leur modération, et l'esprit de douceur qui caractérisait leur gouvernement; on n'entendait plus parler de ces abus d'autorité dont on s'était plaint à une époque plus éloignée. Il y avait bien peu d'évêques qui ne regardassent comme un devoir honorable d'illustrer leur administration par quelque établissement utile à la religion et à la société ; il n'en était aucun qui ne fût, pendant sa vie ou à sa mort, le bienfaiteur de l'hôpital de sa ville épiscopale 1... L'administration économique du clergé et la répartition de ses charges étaient remarquables par des principes de régularité, de justice et d'humanité, qui ont été rappelés avec approbation à l'assemblée nationale elle-même par celui

1. « Qu'on interroge, en effet, les registres de ces asiles de la douleur et de la souffrance, et l'on reconnaîtra qu'ils doivent presque tous leur existence et leur opulence à la piété généreuse d'une longue suite d'évêques. Ah! plaignons le sort qui menace ces utiles établissements; c'est se faire volontairement illusion que de croire que la bienfaisance nationale suppléera à tant de bienfaiteurs particuliers. Jamais les tribunaux n'avaient été moins importunés de ces déplorables discussions qui existaient autrefois entre les évêques et les chapitres, entre les supérieurs et les inférieurs........ Sans doute le clergé n'était pas exempt d'abus, et quelle est l'institution humaine à qui on ne puisse en reprocher? Mais il suffisait de rappeler les lois de l'Eglise et de l'Etat pour y apporter un remède convenable. Ce vœu était celui du clergé luimême; il était consigné dans ses cahiers; il était appuyé du vœu uniforme des deux autres ordres ; il était juste dans son objet, il était facile dans son exécution. » Lettre pastorale de M. l'évêque d'Alais, 1791, p.67-70.

de ses membres (Anson) qui lui en a présenté le rapport. Le clergé de France offrait en général ces formes de décence, ces sentiments nobles et élevés, cet amour de l'ordre et du bien public, qui lui ont mérité l'éloge si flatteur qu'en a fait un célèbre étranger (Burke), dans un ouvrage où certainement on ne peut pas l'accuser d'avoir prodigué les louanges... Des législateurs vraiment éclairés n'auraient-ils pas dû apprécier l'avantage politique, qui résultait, pour un empire comme la France, de posséder un corps ecclésiastique attaché à ses devoirs sans petitesse, religieux sans fanatisme, décent dans ses mœurs sans hypocrisie, également instruit des maximes. de la religion et de celles du royaume, toujours empressé d'accourir au secours de l'Etat dans les circonstances difficiles, venant encore d'en donner une preuve récente par une offre généreuse, qui aurait préservé la nation de tous les malheurs qui l'accablent et de tous ceux qui la menacent. La simple humanité pouvait-elle permettre qu'on fût inventer avec raffinement un nouveau genre de persécution, pour le condamner à l'opprobre après l'avoir condamné à l'indigence? Etait-ce dans le moment même où l'on venait d'envahir toutes ses possessions, que l'on pouvait avec quelque pudeur exiger de lui le sacrifice de ses principes? >>

Cet éloge de l'ancien clergé de France, éloge qui, dans la bouche d'un Bausset, doit être tenu pour sincère et véridique, était une oraison funèbre. L'armée ecclésiastique, frappée en pleine paix, en pleine force, est décimée, dispersée. L'évêque de Lisieux, M. de La Ferronays, compare le calme dont on jouissait naguère à l'effroyable convulsion qui agite maintenant le pays! L'évêque de SaintPapoul, M. de Maillé-La-Tour-Landry, dit qu'on a l'orage « se former, monter lentement, répandre des ténèbres effrayantes, jeter quelques lueurs encore plus sinistres, puis éclater avec violence, disperser les pasteurs,

vu

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