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mante du XVIIIe siècle, dont les Mémoires du temps retracent constamment devant nous la vivante image, quelle vaste réserve de vertus morales et chrétiennes dans les couches profondes du peuple, dans la plus grande partie de la bourgeoisie, de la noblesse! Il serait étrange que le clergé, non seulement dans ses curés, mieux gardés contre le mirage de la fortune et de l'ambition, contre l'esprit du siècle, par la modestie même de leur situation, mais aussi dans ses évêques, dont la mission est de donner des exemples et des règles de conduite, fùt ici inférieur aux autres classes de la nation. Un coup d'œil plus attentif jeté sur l'ensemble de l'épiscopat, va nous montrer dans la plupart de ses membres, des vertus et une dignité de vie trop souvent dérobées au regard de l'historien par la réputation scandaleuse des quelques prélats que nous avons fait connaître.

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CHAPITRE TROISIÈME

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Bons évêques

1. Comment on peut constater que l'épiscopat était bon dans son ensemble, sans être en contradiction avec ce qui précède. Grand ton, opulence, ne sont pas synonymes de vice. Nos appréciations basées sur les histoires locales. II. Pas de diocèse complètement deshérité au XVIIIe siècle. Bons évêques à côté des mauvais ou des contestés. Exemples à Cambrai, Montauban, Le Mans, Viviers, Sens, Gap, etc. - Un joli mot de Louis XVI: Le Saint-Esprit en Auvergne, le saint (Bonal) à Clermont, l'esprit (Bonteville) à Saint-Flour. III. Il suffit de jeter les yeux au hasard sur cet épiscopat' pour y trouver des vertus. Exemples. IV. Des provinces entières comptent à la tête de leurs diocèses de bons évêques et parfois des saints. Exemples de la Bretagne, de la Gascogne. V. Diocèses qui ont de bons prélats dans tout le cours du XVIII siècle. Exemples de Paris, Amiens, Nimes etc. VI. Des prélats de vieille roche et véritablement apostoliques: M. de Durfort, M. de Pressy, Pompignan, La Rochefoucauld, M. de Fumel, M. du Tillet, du Lau, Reboul de Lambert, etc. Conclure que cet épiscopat était meilleur qu'on n'a dit. Témoignages de Burke, Sénac de Meilhan, Tocqueville, Taine. On peut pressentir que ces évêques vont être à la hauteur de l'épreuve durant la Révolution.

I

Le lecteur sera tenté de voir une contradiction entre ce chapitre et ceux qui précèdent, s'il est résolu à juger l'ancien épiscopat d'après le type qu'il a aujourd'hui sous les yeux, et à condamner en masse les évêques d'autrefois, parce qu'ils lui ont apparu dans ces pages entourés de l'éclat et de la pompe que comportent la représentation, la grandeur, la naissance et la richesse. Il doit arriver à se convaincre que ces prélats pouvaient être estimables tout en étant de grands seigneurs, que grand ton, grand train, grandes manières, sans constituer, certes, l'idéal de l'évêque, ne sont point néanmoins synonymes de vice

ni de vie coupable. En fait, si les traditions, les habitudes et même les convictions chrétiennes s'étaient conservées jusqu'à la Révolution dans la généralité des diocèses de France, on peut préjuger que ce résultat ne fut point atteint sans le concours de dignes pontifes; car, s'il est difficile d'avoir de bons fidèles sans de bons curés,il ne l'est pas moins d'avoir de bons curés sans de bons évèques.

Aussi bien l'épiscopat de 1789 était-il recommandable dans son ensemble. Nous croyons faire œuvre, non de panégyriste mais d'historien, en le prouvant par de nombreux exemples. Nous n'avons rien à retirer de ce que nous avons dit sur l'absentéisme, sur le faste, l'excessive opulence, la prodigalité de beaucoup de prélats, sur les scandales d'un petit groupe. Mais à côté du mal,la vérité, la justice obligent à voir le bien, à constater quelle sève chrétienne et même apostolique animait encore ce grand corps, qui comptait une foule d'évêques réguliers et mème des saints. Et qui pourrait s'en étonner? Quand on voit des saints à la cour de Louis XV; à une époque où le duc d'Orléans, fils du régent, pratique la pénitence dans l'abbaye de Sainte-Geneviève, où une fille de France se fait carmélite, où le dauphin 1, père de Louis XVI, ainsi que ses sœurs et sa mère, la reine, mènent une vie si pure en face de l'avilissement du roict de la licence qui les entoure, il serait étrange de ne point rencontrer des vertus là où les peuples sont en droit d'en chercher la leçon et l'exemple.

L'exposé qui va suivre s'appuie spécialement sur les histoires locales. Quelque lecteur sera peut-être tenté de suspecter l'impartialité de ces documents. Nous croyons

1. Voir sur ce prince l'ouvrage de M. Emmanuel de Broglie ; — sur le fils du Régent, les deux articles parus au Correspondant (25 janvier et 10 février 1889), Un saint à la cour de Louis XV, par Choppin de Jan

vry.

cependant qu'on peut y trouver les éléments d'une information sérieuse. L'ancien régime n'est pas tellement éloigné de nous qu'il soit facile de décerner arbitrairement l'éloge ou le blâme aux hommes de cette époque. Plusieurs ont survécu à la Révolution et joué un rôle dans les premières années de notre siècle. .cs notices publiées sur les évêques de 1789 ont été contrôlées par ceux qui les avaient connus ou qui s'étaient formé un jugement d'après le récit des contemporains. Croit-on qu'il soit aisé de faire passer pour un saint ou simplement pour régulier un prélat répréhensible, alors que la vie du chef d'un diocèse est exposée à tous les regards, que sa mort est relativement récente, et que les souvenirs se conservent avec une tendance à s'amplifier dans les villes. de province. Ce n'est pas seulement un Rohan, un Brienne, un Talleyrand, dont les scandales sont en quelque sorte historiques, que la postérité condamne au nom de la morale; nous avons vu les annales et les traditions locales transmettre jusqu'à nous les écarts de prélats ignorés du grand public, tels que Grimaldi au Mans et Jarente. à Orléans. Quand les annales d'un diocèse sont unanimes à louer, pourquoi s'obstinerait-on à blâmer, surtout quand on a contrôlé ces assertions par tous les moyens possibles, et lorsqu'il n'existe pas d'autre source d'information ni de renseignements contraires. Aussi, croyonsnous que les appréciations que nous allons donner dans ce chapitre, en les basant sur de sérieux témoignages, sont acquises à l'histoire.

II

Ce qui frappe tout d'abord, quand on étudie les diocèses du XVIIIe siècle avec la préoccupation de connaître la

valeur morale des évêques placés à leur tête, c'est qu'on n'en rencontre pas de complètement deshérités. Lorsque nous avons à signaler, sur la fin de l'ancien régime, quelque prélat peu édifiant ou moins régulier, Dieu, pour faire contrepoids, permet d'ordinaire que, sur le même siège, il soit précédé ou suivi de quelque excellent évèque. Entre M. de Choiscul et Rohan Guéméné, prélats mondains et hommes de cour, se place, à Cambrai, l'épiscopat de Rosset de Fleury. Ce dernier avait mérité, par sa piété, son amour de la résidence, d'être appelé le ́ petit saint de Tours. Il refusait de quitter le siège de saint Martin pour Cambrai. « Il faut bien que vous acceptiez, lui dit Louis XVI, Fénelon n'y est pas encore remplacé. »

Le Tonnelier de Breteuil, que nous avons vu si attaqué, avait trouvé toutes vivantes, en montant sur le siège de Montauban, les traditions de son prédécesseur immédiat, Michel de Verthamon de Chavagnac. Ce digne prélat, tout entier au gouvernement de son diocèse, s'absenta à peine quelques jours durant un épiscopat de trente-trois ans. Les visites pastorales, les prédications, les retraites, sa sollicitude pour son clergé et chacune des paroisses, remplissent sa longue carrière. Dur pour lui-même, d'une piété tendre, d'une table frugale, d'une vertu sans ombre, il mourut laissant les pauvres dans la consternation et tout le diocèse dans la douleur. Après avoir assisté les malheureux durant sa vie, il ne voulut pas les quitter à la mort : il demanda à être enterré près des bâtiments de l'hospice 1.

A Montauban, un saint évêque précède un évêque contesté. Au Mans, il le suit. A M. de Grimaldi succède M. de Gonssans, prélat aux mœurs irréprochables, au cœur

1. Abbé Daux, listoire de l'Eglise de Montauban, 2 vol. in-8°, t. II, p. 72-87.

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