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DESCRIPTION DE LA FÊTE-DIEU D'AIX,

D'APRÈS LE CÉRÉMONIAL

QUI S'OBSERVAIT AVANT LA RÉVOLUTION.

(Extrait d'une relation du temps.) ·

Le roi René institua cette fête dans le temps où les frères de la Passion représentaient les mystères sur

et à l'issue de vêpres, on donne une seconde fois au public le spectacle des jeux sacrés. Cette deuxième représentation se fait avec tous les assortimens et les gesticulations requises, qu'on supprime la matinée pour la décence de la cérémonie sacrée. La représentation de ces jeux était autrefois reçue avec applaudissement, d'autant qu'on n'employait à cela que les personnes de la ville les plus propres, qu'on prenait de tous les états.

« Comme ces jeux étaient passés, on faisait paraître un jeu profane des momons, pour divertir le peuple d'une manière plus gaie. Momus, le dieu de la critique, paraissait sur un théâtre porté sur les épaules de plusieurs hommes. Ce Momus était couvert d'un habit emplumé collé sur le corps, accompagné de tous les animaux que les anciens lui ont donné pour symboles. Il avait au-devant de lui des momons qui chantaient et dansaient grotesquement, et qui dans la suite, faute de censeurs publics, s'émancipèrent d'exercer ces danses plus indécemment qu'il ne fallait, et que l'honneur qui est dû au public fit condamner sur le champ. On faisait de temps en temps des pauses, pour donner lieu aux momons de ridiculiser les spectateurs contre lesquels il y avait à gloser. Parmi ces momons, on y entremêlait des

le théâtre de Paris. Ce prince ne voulut pas que sa pieuse farce fùt bornée dans l'enceinte d'une place

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troubadours, qu'on appelait autrement farceurs, personnages accoutumés à pareilles représentations théâtrales, qui, en langage rithmé, s'attachaient à dire aux gens leurs vérités les plus cachées ; d'où est venu le proverbe dire son vers à quelqu'un. Ce qui étant ainsi établi, là il ne faisait pas bon pour ceux qui savaient avoir commis des choses répréhensibles, quoiqu'en secret, ou qui avaient le malheur qu'on pût leur faire quelque reproche sur des faits même bien cou verts; car il n'est rien de si caché que le temps ne révèle, et que le public, qui est l'argus à une infinité d'yeux, ne découvre à travers même les voiles les plus épais. Cela se pratiquait pour retenir le monde dans son devoir; car ces critiques publics et autorisés n'épargnaient personne, d'autant mieux qu'ils affectaient de plaisanter, conformément à l'axiome qui dit qu'en riant rien n'empêche de dire le orai. C'est le jeu improprement dit du duc d'Urbin et dés farceurs, qui, ayant dégénéré en un spectacle entièrement condamnable, fut aussi supprimé avant le milieu du dix-septième siècle. Le roi René avait institué cette représentation à l'exemple d'un duc d'Urbin, qui la faisait pratiquer dans sa ville capitale, en certains jours de l'année, à l'imitation des anciens. Cela donc donna lieu d'appeler cette représentation le jeu du duc d'Urbin. Cette appellation fit peu à peu croire au vulgaire que le motif de la représentation était de ridiculiser ce prince étranger. Dans la suite, cette croyance, toute fausse qu'elle était, s'étendit, et passa jusqu'aux personnes au-dessus du vulgaire; de manière qu'elle fait maintenant l'erreur de tout le public. De là sont venus les vains contes qu'on fait sur le sujet du prétendu ridicule donné au duc d'Urbin; les uns voulant que cela ait été imaginé pour une vengeance, ensuite du refus peu honnête que ce prince ita

ou d'une salle; il lui donna toute la ville pour lieu de la scène, et cinq jours de suite pour amuser le public; car ces jeux commencent le dimanche de la Trinité, d'où vient qu'on dit : Lou jour de la Trinita leis diables s'assajoun, c'est-à-dire le jour de la Trinité les diables s'essaient, afin que tout soit en état de paraître le jour de la Fête-Dieu. Voici la marche de cette procession.

Un roi, vêtu d'une longue robe blanche, et la couronne en tête, paraît le premier, entouré d'une douzaine de diables, qui le harcèlent avec de longues fourches. Ce prince saute tantôt d'un côté, tantôt d'un autre, se servant comme il peut de son sceptre pour écarter les fourches; et après s'être bien débattu, il finit son jeu par un grand saut. Parmi ces diables on distingue la diablesse, reconnaissable à son habillement et à sa coiffure. Je ne sais pourquoi le peuple veut que ce prince soit Hérode; je ne vois rien qui l'annonce. On verra plus bas ce que je pense de ce personnage. On appelle ce jeu le grand jeu des diables, lou grand juec deis diables.

Vient ensuite le petit jeu, lou pichoun juec deis diables, autrement dit l'armetto, ou la petite âme.

lien fit d'épouser la fille du roi, après en être convenu; les autres croyant que ce soit pour tirer raison du desservice que ce duc rendit au roi, en faisant échouer son expédition de Naples. C'est dans ce sens qu'a donné l'auteur de la Plainte à Gassendi. » (Voy. l'Esprit du Cérém. de la fête d'Aix.) (Edit. C. L.)

Cette armetto est représentée par un enfant en corset blanc, les bras et les jambes nues, portant une croix de bois d'environ cinq pieds de haut. Quand on fait le jeu, il appuie la croix à terre, en la tenant de la main gauche; un ange habillé de blanc, ayant des ailes, l'auréole en tête et un coussin sur le dos, la tient aussi de son côté; ils sont placés de manière qu'ils se trouvent vis-à-vis l'un de l'autre. Ils ont auprès d'eux quatre diables, dont trois poursuivent la petite âme, et le quatrième est acharné contre l'ange, à qui il donne de grands coups de massue sur le coussin. Aux deux premiers coups, l'ange et l'armetto sautent comme pour fuir, sans abandonner pourtant la croix; au troisième le jeu est fini. L'ange saute de joie d'avoir sauvé la petite âme.

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Les diables, dans ces deux jeux, ont un corset et de très longues culottes noires, sur lesquelles sont peintes des flammes rouges; leur têtière est aussi noire et rouge, hérissée de cornes; le tout ensemble rend assez bien la forme des diables, tels qu'on les représente. Le grand diable a une têtière un peu plus hideuse, et quelques cornes de plus : ils sont armés d'une fourche, et portent deux cordons de quinze à vingt sonnettes chacun, qui se croisent sur la poitrine. On peut s'imaginer le tintamarre qu'ils font quand ils dansent.

Tous ces diables vont entendre la messe à SaintSauveur, le jour de la Fête - Dieu. Ils entrent dans l'église, la têtière à la main; et après la messe, jettent de l'eau bénite dessus, en faisant le signe de

ils

la croix, pour empêcher que quelque vrai diable ne se mêle à la troupe, et qu'à la fin il ne s'en trouve un de plus, comme cela est arrivé, disent-ils, il y a long-temps.

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La troisième scène représente l'adoration du veau d'or. Moïse y paraît, accompagné du grand-prêtre, ou plutôt d'un prophète, et montre aux Juifs les Tables de la loi. L'un d'eux porte le véau d'or au bout d'un bâton; les autres tournent autour de lui; et en passant devant Moïse et devant le grand-prêtre, ils font avec la main un signe de mépris, en criant: Ou ho ou! ou ho ou! Après avoir fait trois ou quatre fois le tour du veau d'or, l'un des Juifs jette, aussi haut qu'il peut, un chat enveloppé dans de la toile, et assez ordinairement il ne le laisse pas tomber par terre. Le peuple, frappé des cris de ce pauvre animal, appelle cette scène le jeu du chat, lou juec d'aou cat, quoiqu'il fût plus naturel de l'appeler le jeu du veau d'or. L'incident du chat me paraît avoir été ajouté après coup.

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...Je crois qu'après cette scène venait celle des prophètes qui avaient prédit le Messie, et qu'on les a supprimés pour en laisser subsister un seul, qu'on a réuni à Moïse...

La reine de Saba vient immédiatement après. Elle va voir Salomon, et se fait accompagner d'un danseur lestement habillé, qui a beaucoup de petits grelots aux jarretières, et tient, de la main droite, une épée, au bout de laquelle est un petit château de carton. La reine a trois suivantes ou dames d'atours, qui portent

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