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rieur au leur, qu'avaient eu ceux qu'elles se soumettaient. C'est pourquoi ces invasions, qui causèrent la perte presque totale des sciences et des arts, causa aussi celle des jeux de hasard; et puisqu'il est certain que ce fut là la cause qui fit oublier en Europe les jeux d'échecs et de trictrac, qui nous sont ensuite revenus de l'Asie, cela a pu de même faire perdre le souvenir que les cartes eussent été connues à Rome.

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Les Asiatiques, qui les premiers connurent les cartes, les distinguaient, ainsi que nous faisons encore, en simples ou blanches, et en figurées; sur cellesci paraissaient les portraits de leurs dieux et de leurs héros, et sur les blanches, ne paraissaient que les caractères hiéroglyphiques, qui servaient autrefois d'écriture. Ce sont ces mêmes caractères qui se remarquent encore sur nos cartes blanches d'à présent les Chinois ont, en hiéroglyphes propres à exprimer leurs pensées, des figures de cœurs, de piques, de de piques, de carreaux, et des fleurs à peu près semblables aux trèfles. L'altération que le temps aurait pu apporter dans ces fi

gures est peu de chose. Les Romains conservèrent ces cartes blanches dans leurs mêmes figures, et aux figurées ils en joignirent d'autres chargées de portraits de quelques-uns de leurs principaux dieux, empereurs et impératrices, faisant paraître ceux-ci sur des chars. de triomphe, d'où sont venus les termes de triomphe, d'impériale et de vole, usités en jouant aux cartes pour la dénomination de deux anciens jeux, et pour exprimer la victoire complète que l'on peut remporter avec ces cartes, en imitation de ces victoires totales qui sou

mettaient une nation entière aux Romains, et faisaient mériter le triomphe au général qui les remportait.

Il ne faut pas douter que les Sarrasins et les Grecs du Bas-Empire n'aient connu les jeux des cartes, mais ils s'y exerçaient moins qu'à ceux des échecs et des dés. Nous devons aux Maures qui conquirent l'Espagne, le jeu de l'ombre; ils fixèrent les couleurs qui se voyaient sur les cartes, qui sont deux rouges et deux noires, en imitation des couleurs dont ils se distinguaient en combattant, partagés par quadrilles dans les tournois galans qu'ils donnaient en faveur des dames; et les Français qui voyagèrent en Orient et en Espagne depuis le douzième siècle, en rapportèrent la connaissance de ces cartes et des jeux qui se jouaient avec. Mais comme, jusqu'au temps de Charles VI, ils furent assez occupés, tant à ces guerres étrangères qu'à celles qui s'élevèrent intestinement dans l'Etat, outre que les jeux d'exercice de corps, tels que les tournois, carrousels et ballets militaires et galans les amusaient assez, quand quelques intervalles de paix leur donnaient le loisir de songer à se divertir; et comme ce n'est qu'à mesure que le goût pour ces exercices s'est perdu, que celui pour de hasard s'est augmenté, il faut donc descendre jusqu'au règne de Charles VI, et même après, pour voir l'usage des cartes bien établi. Ce fut alors qu'on leur donna la forme, et qu'on les mit dans l'arrangement où elles sont. Pour cela on commença à multiplier les caractères ou marques qui se voient sur les cartes blanches, ce qui fut jugé nécessaire, afin de leur

les jeux

donner des valeurs différentes, et, par-là, les rendre propres à plus de sortes de jeux. A l'égard des cartes figurées, on en ôta les portraits des dieux du paganisme qui y pouvaient être restés; et néanmoins, pour conserver par le moyen des figures qu'on résolut d'y mettre, le souvenir que ces cartes avaient été en usage chez toutes les nations les plus célèbres, on y figura les portraits des plus grands rois et capitaines, et des plus illustres reines ou femmes qui eussent paru dans chacune de ces nations; c'est pour cela qu'on y voit le David, la Rachel, l'Esther et la Judith des Hébreux; la Pallas et l'Hector des Troyens; l'Alexandre des Grecs; le César des Romains; le Charlemagne des Français et Allemands; l'Argine des Anglais; l'Ogier des Danois; et pour Poton et la Hire, ce sont deux braves capitaines français qui vivaient au temps où l'arrangement dont je parle fut donné aux cartes (1).

NOTICE SUPPLÉMENTAIRE

SUR LES JEUX DE HASARD ET AUTRES ANALOGUES (2).

L'AUTEUR de la Dissertation précédente s'est bien moins attaché à suivre le développement et les variations des jeux dans les siècles modernes, qu'à en ex

(1) Voy. les pièces suivantes sur l'histoire des cartes. (Edit.) (2) Par l'Edit. J. C.

pliquer les causes et l'origine, qu'il a trouvées chez les anciens. Nous tâcherons de suppléer à ce qui n'entrait pas dans son plan, par une courte Notice sur les jeux qui ont été le plus en usage en France, et sur les plus anciens de ceux qui sont arrivés jusqu'à nous. Nous nous abstiendrons toutefois de revenir sur les jeux d'exercice, dont nous avons déjà eu occasion de parler dans la Notice sur les divertissemens qui précède l'opuscule de Beneton.

Les jeux des échecs, des dames et des dés, et le jeu très simple de croix ou pile, sont incontestablement les plus anciens de tous. Ce dernier était appelé chez les Romains nummi sorte ludere. Nous aurons peu de chose à ajouter aux recherches de Beneton sur ce sujet.

Aucun détail n'est parvenu jusqu'à nous sur la manière dont les anciens jouaient aux échecs et aux dames. Quant à leurs dés, nous savons qu'ils avaient une fort grande ressemblance avec ceux dont nous faisons usage aujourd'hui. La Bibliothèque du roi possède, entre autres antiquités de ce genre, plusieurs dés romains. On en voit qui avaient un plus grand nombre de faces que les nôtres.

La France est peut-être le pays où le jeu des échecs a été porté à la plus grande perfection. Le roi Louis XIII aimait ce jeu, et y réussissait ; afin de lui procurer le moyen d'y jouer en voiture, on fit faire un échiquier bourré, sur lequel les pièces, garnies d'aiguilles en -dessous, s'adaptaient de façon que le mouvement ne pouvait pas les faire tomber. Le célè

bre Philidor est encore aujourd'hui l'oracle des joueurs de tous les pays de l'Europe, et il trouvait à l'ancien café de Chartres des rivaux dignes de lui. La Hollande a produit dans van Embden un joueur de dames qui se vantait de n'avoir jamais perdu une partie, depuis qu'il était arrivé à son point de perfection.

Nous n'avons pu rien découvrir de positif sur l'origine de notre jeu de trictrac. Il est certain que les anciens en connaissaient un qui s'y rapportait en quelque façon; mais tout annonce que c'est en France qu'il a reçu sa forme actuelle. Dans une ordonnance de 1319, il est question du jeu des tables, que l'on croit généralement avoir été celui du trictrác, bien que le président Hénault traduise ce mot par celui de dames. Les règles en ont été publiées il y a plus de deux siècles : il existe même sur ce sujet deux poëmes, un latin et un français. Il portait, à cette époque, le nom de tique-taque, dénomination qu'il avait reçue du bruit que font les dés en tombant sur la table."

Plusieurs jeux sont dérivés du trictrac; tels sont le revertier, la toute-table et le tournecase. Les Anglais en ont un qu'ils appellent backgammon,

Quelques auteurs prétendent que le jeu de billard est peu ancien (1). On voit cependant que, dans la même ordonnance de 1319, que nous venons de citer, et dans une autre de 1369, il est question du jeu des billes, qui pourrait bien être le même. Du billard on a fait le jeu du trou-madame, et celui des gobilles ou

(1) Voy. Mélanges tirés d'une grande bibliothèque, t. 5, p. 382.

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