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l'ordre fut rétabli dans le royaume. Ce sont les deux leçons qui sont faites aux souverains dans le jeu de piquet, savoir que le salut de l'Etat consiste dans l'union des princes de la maison royale, qui ne manque point d'être suivie de la soumission de la noblesse et des peuples, et que la mésintelligence entre les princes produit un effet tout contraire,

Seconde maxime. Cette union du souverain avec les princes de sa maison et avec sa noblesse, double et triple la puissance d'un Etat; quatre hommes en valent quatorze : c'est ce qui est signifié par les quatorzes du jeu de piquet.

Troisième maxime. Les intrigues des dames sont souvent dangereuses dans une cour. L'exemple de la reine Isabeau de Bavière et de l'impératrice Judith, qui la représente dans le jeu de piquet, le montre clairement ; mais il faut les ménager, car tous les désordres qui arrivèrent en ce temps-là furent l'effet de la vengeance de la reine Isabeau, au sujet de ce que Charles VII étant encore Dauphin, fit enlever les joyaux de cette princesse, et quantité d'argent qu'elle avait mis en dépôt en diverses églises de Paris et des environs, ce prince voulant s'en servir pour la guerre contre les Anglais.

Quatrième maxime. Les souverains légitimes, quelque mal qu'ils se trouvent dans leurs affaires, ne doivent jamais s'abandonner au désespoir. Outre qu'ils ont une ressource dans les sentimens de respect et d'attachement naturellement imprimés dans le cœur, de leurs sujets, et qui s'y réveillent tôt ou tard, Dieu

ordinairement les protége jusqu'à faire des miracles en leur faveur. Charles VII en fut un exemple ma nifeste; mais il est de leur sagesse et de leur réputation de bien examiner les promesses qu'on leur fait de ces coups extraordinaires de la Providence. C'est ce qui est signifié par la pucelle d'Orléans, représentée par la déesse Pallas. Cette héroïne, nonobstant les marques sensibles qu'elle donnait de sa mission de la part de Dieu, subit l'examen des docteurs, des gens de la cour, des gens de guerre, du parlement, qui était alors à Poitiers, faisant tout pour la faire couper. Presque tous lui parlaient, persuadés que c'était une visionnaire, et tous revenaient édifiés de sa modestie et de sa piété, convaincus de sa sagesse et de son bon sens, et qu'elle était conduite de l'esprit de Dieu. La promesse de la levée du siége d'Orléans et du sacre du roi à Reims dans peu de temps, article qui paraissait à tout le monde hors de toute vraisemblance; sa sage conduite à l'armée, son courage, son habileté à la guerre, son bonheur dans les expéditions, jusqu'à sa prise par les ennemis, vérifièrent ses promesses, et les plus incrédules se rendirent. Je finis par une observation où se trouve toute la vraisemblance possible. Comme la reine Marie d'Anjou ne voulut point que son nom parût dans la dame de trèfle, qui la représentait, elle permit qu'on y mît seulement sa qualité de reine, en anagramme; de même Charles VII ne voulut point être nommé dans le jeu de piquet, mais il s'y fit représenter par le roi David, dont le sort avait été fort semblable au sien. David

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avait été persécuté par son beau-père Saül, qui le voulait faire périr; il avait été contraint de sortir de Jérusalem, de fuir en divers lieux pour éviter les embûches que ce prince lui tendait; il n'avait avec lui qu'une troupe d'amis, avec lesquels il ne laissa pas de faire vivement la guerre aux ennemis du peuple de Dieu. De même, Charles VII, poursuivi par les ordres de son propre père, qui, dans le triste état où l'affaiblissement de son esprit l'avait mis, suivait en tout les impressions que lui donnaient la reine Isabeau, le duc de Bourgogne et le roi d'Angleterre, fut obligé de quitter la cour, de chercher un asile dans les provinces, après avoir été cité à la table de marbre, condamné par arrêt au bannissement, et dé-, claré incapable de succéder à la couronne. Il se met à la tête de plusieurs seigneurs et gentilshommes, meilleurs Français que les autres, et d'un assez grand nombre de soldats, à l'aide desquels il prit plusieurs places sur les ennemis de l'Etat, gagna la bataille de Baugé contre les Anglais, par la conduite du comte de Boukingham, Ecossais, qu'il créa connétable de France.

David, après la mort de son beau-père Saül, fut élevé sur le trône de Juda; et après s'être réconcilié avec Abner, qui gouvernait le reste des autres tribus en faveur et sous le nom d'Isboseth, fils de Saül, il fut déclaré roi de tout Israël. Charles VII, après avoir reconquis une partie de son royaume, se réconcilia avec Philippe, duc de Bourgogne; et depuis cette réconciliation, les Anglais furent presque toujours battus, et chassés enfin du royaume, excepté de Calais,

par la conquête de la Guyenne et de la Normandie.. David eut le chagrin, au milieu de ses prospérités, de voir son fils Absalon se révolter contre lui. Charles VII ressembla encore à David par cet endroit; car Louis, son fils, qui fut depuis Louis XI, prit les armes contre lui, et à la fin fut la véritable cause de la mort de son père. Il me semble que ce parallèle de la vie et de la fortune de ces deux rois m'autorise assez pour dire que Charles VII, qui naturellement devait être représenté dans le jeu de piquet, a voulu s'y faire. connaître sous la figure de David.

Les quatre quadrilles représentaient encore les quatre partis qui déchiraient le royaume du temps de Charles VII: le parti de ce prince, celui du roi d'Angleterre, celui du duc de Bourgogne, celui de la reine Isabeau. Les quadrilles se trouvent mêlés ensemble dans le jeu, pour marquer l'union et la désunion des différens partis; car la reine Isabeau agit d'abord de concert avec Charles VII, étant dauphin, et ensuite elle se déclara contre lui. Les Anglais et les Bourguignons furent long-temps unis contre le roi, et ceux-ci ensuite unis avec lui. Il en fut de même du duc de Bretagne.

En ces sortes de matières, on n'exige pas des démonstrations, mais seulement des convenances qui rendent très-vraisemblable le système que l'on propose; et je crois en avoir apporté tant, et de si justes dans celui-ci, qu'il paraîtra à peu près certain, et c'est de quoi je me contente.

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LES cartes sont parmi nous la funeste occupation des uns, le délassement de presque tous les autres. Ce jeu faisant ainsi une partie considérable de nos mœurs, j'ai cru devoir en rechercher l'origine, et tâcher d'en deviner le dessein.

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M. l'abbé le Gendre (Moeurs des Français) assure que les Lydiens ont inventé les cartes et les dés. Cette opinion, vraie si l'on veut (2) pour ce qui re

(1) Sur l'imprimé à Lyon, J. Deville, 1757, petit in-8° de 163 pages. L'ouvrage est dédié au marquis de Paulmy, secrétaire d'Etat. ́(Edit. C. L.)

(2) Je m'exprime ainsi, parce que le récit d'Hérodote, sur lequel M. l'abbé le Gendre a sûrement formé son opinion, me paraît suspect, même pour ce qui regarde les jeux différens des cartes. Voici le passage de cet historien * :

«< Sous le règne d'Atys, fils de Manès, toute la Lydie fut « affligée d'une grande famine, à laquelle les Lydiens n'opposèrent d'abord qué leur constance et leur assiduité au

* Edition de Londres, l. 2, p. 40.

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