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gnifiques en leurs présens, et à s'en envoyer ce jour-là de différentes sortes, et plus considérables; mais ils s'envoyaient particulièrement des monnaies et médailles d'argent, trouvant qu'ils avaient été bien simples, dans les siècles précédens, de croire que le miel fût plus doux que l'argent, comme Ovide le fait agréablement dire à Janus.

Avec les présens, ils se souhaitaient mutuellement toute sorte de bonheur et de prospérité pour le reste de l'année, et se donnaient des témoignages réciproques d'amitié et comme ils prenaient autant d'empire dans la religion que dans l'Etat, ils ne manquèrent pas d'établir des lois qui la concernaient, et firent de ce jour-là un jour de fête, qu'ils dédièrent et consacrèrent particulièrement au dieu Janus, qu'on représentait à deux visages, l'un devant et l'autre derrière, comme regardant l'année passée et la prochaine. On lui faisait dans ce jour des sacrifices, et le peuple allait en foule au mont Tarpée, où Janus avait quelqu'autel, tous habillés de robes neuves (1); d'où nous pouvons remarquer que ce n'est pas une mode non

(1) Ovide, Fast., 1. 1. Il était d'usage aussi que les enfans offrissent des étrennes à leurs maîtres, durant la célébration des quinquatries, ou petites fêtes de Minerve:

Pallada nunc pueri, teneræque ornata puellæ,

Qui bene placarit Pallada, doctus erit.

(Fast., 1. 3.)

Les quinquatries n'étaient au fond que les panathénénées grecques, naturalisées chez les Romains. (Edit. C. L.)

velle d'affecter de s'habiller de neuf les premiers jours de l'année. Néanmoins, quoique ce fut une fête, et même une fête solennelle, puisqu'elle était encore dédiée à Junon, qui avait tous les premiers jours de mois sous sa protection, et qu'on célébrait aussi ce jour-là la dédicace des temples de Jupiter et d'Esculape, qui étaient dans l'île du Tibre; nonobstant, dis-je, toutes ces considérations, le peuple ne demeurait pas sans rien faire; mais au contraire chacun commençait à travailler à quelque chose de sa profession, afin de n'être pas paresseux le reste de l'année; ce qui est encore demeuré parmi nous, puisqu'il y en a beaucoup qui se lèvent plus matin ce jour-là, pour en être plus diligens le reste de l'année : mais on ne voit pas qu'il y ait quelque vertu particulière dans les observations de toutes ces cérémonies.

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Enfin, l'usage des étrennes devint peu à peu fréquent sous les empereurs, que tout le peuple allait souhaiter la bonne année à l'empereur, et chacun lui portait son présent d'argent, selon son pouvoir, cela étant estimé comme une marque d'honneur et de vénération qu'on portait aux supérieurs; au lieu que maintenant le monde est renversé, et ce sont plutôt les grands qui donnent les étrennes aux petits, les pères à leurs enfans, et les maîtres à leurs serviteurs. Auguste en recevait en si grande quantité, qu'il avait accoutumé d'en acheter et dédier des idoles d'or et d'argent, comme étant généreux, et ne voulant pas appliquer à son profit particulier les libéralités de ses sujets.

Tibère, son successeur, qui était d'une humeur plus sombre, et qui n'aimait pas les grandes compagnies, s'absentait exprès les premiers jours de l'année, pour éviter l'incommodité des visites du peuple, qui serait accouru en foule pour lui souhaiter la bonne année, et désapprouvait qu'Auguste eût reçu des présens, parce que cela était incommode, et qu'il fallait faire de la dépense pour témoigner au peuple sa reconnaissance par d'autres libéralités (1). Cés cérémonies occupaient même si fort le peuple, les six ou sept premiers jours de l'année, qu'il fut obligé de faire un édit par lequel il défendait les étrennes, passé le premier jour.

Caligula, qui posséda l'empire immédiatement après Tibère, et qui se faisait autant remarquer par son avarice que par ses autres mauvaises qualités, fit savoir au peuple, par un édit, qu'il recevrait les étrennes le jour des calendes de janvier, qui avaient été refusées par son prédécesseur (2); et pour cet effet il se tint tout le jour dans le vestibule de son palais, où il recevait à pleines mains tout l'argent et les présens qui lui étaient offerts par le peuple.

(1) Tibère défendit, en outre, de donner des étrennes après la fête des calendes, et restreignit ainsi dans les bornes les plus étroites, une pratique qui lui déplaisait. Prohibuit strenarum usum ne ultrà calendas Januarias exerceretur. (Sueton., in Vit. Tib.) (Edit. C. L.)

(2) Edixit et strenas, ineunte anno, se recepturum: stetitque in vestibulo ædium, Kal. Januarii, ad captandas stipes, quas plenis ante eum manibus ac sinu omnis generis turba ferebat. (Sueton., in Vit. Calig.)

(Edit. C. L.)

Claude, qui lui succéda, abolit ce que son prédé cesseur avait voulu rétablir, et défendit, par arrêt, qu'on n'eût point à lui venir présenter des étrennes, comme on avait fait sous Auguste et Caligula.

Depuis ce temps, cette coutume demeura encore parmi le peuple, comme Hérodian le remarque sousl'empereur Commode; et Trebellius Pollio en fait. encore mention dans la Vie de Claudius Gothicus, qui parvint aussi à la dignité impériale.

On pourrait rechercher là-dessus pour quelle raison ils avaient accoutumé de se faire les uns les autres des vœux mutuels le premier jour de l'année, plutôt qu'en un autre temps, et c'est la demande que fait Ovide à. Janus, qu'il fait répondre avec un gravité digne de lui : « C'est, dit-il, que toutes choses sont contenues dans les commencemens; et c'est à cause de cela, ajoute-t-il, que l'on tire les augures du premier oiseau qu'on aperçoit. »

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En effet, les Romains pensaient qu'il y avait quelchose de divin dans les commencemens; la tête était estimée une chose divine, parce qu'elle est pour ainsi dire le commencement du corps; ils commençaient leurs guerres par les augures, par les sacrifices et par les vœux publics; et le commencement de chaque mois était dédié à Junon, et se célébrait comme un jour de fête. Aussi la raison qu'ils avaient de sacrifier à Janus ce jour-là, et de se le rendre propice, c'est qu'étant le portier des dieux, ils espéraient d'avoir, par ce moyen, l'entrée libre chez tous les autres le reste de l'année, s'ils s'acquéraient au commence

ment Janus pour ami; et comme il présidait au commencement de l'année, ils espéraient sa faveur pour eux et pour leurs amis, s'ils attiraient ce Dieu dans leurs intérêts. On lui sacrifiait de la farine et du vin; ce qui a donné sans doute occasion de se réjouir et faire la débauche ce jour-là, comme plusieurs ont accoutumé (1).

Voilà donc tout le fondement que nous avons de notre coutume; et ce fondement étant aussi léger-que de la paille et du chaume, nous ne saurions être solidement fondés de conserver une superstition païenne à laquelle nous ne pouvons trouver aucun appui par l'autorité de l'Ecriture sainte ou des saints Pères (2).

(1) Les réflexions suivantes ont été retranchées dans l'in-4o, et remplacées par des détails de faits qui formeront notre supplément. (Edit. C. L.)

(2) La vérité est qu'après avoir lutté sans succès, et déployé une sévérité inutile contre les chrétiens fauteurs de cette espèce d'idolâtrie, les évêques ont été parfois contraints de céder au torrent, et que la force de l'habitude, qu'ils ne pouvaient dompter, les mit dans la nécessité de faire la part au désordre, en tolérant le moindre mal pour éviter le plus grand. C'est ainsi que, renonçant à l'espoir de faire cesser les mascarades de la Nativité et du premier jour de l'an, qui n'étaient que la continuation des saturnales, l'Eglise voulut au moins donner à ces réjouissances un objet plus décent; elle en toléra les formes, à condition qu'on les appliquerait aux objets du nouveau culte, et que tout se passerait dans des vues chrétiennes. De là ces nouveaux abus, ces folles pratiques, ces rites bizarres, ces divertissemens licencieux qui souillèrent nos temples dans le moyen âge,

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