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veau; mais il avoit besoin d'un militaire pour l'exécution de sa conspiration. Il pensoit qu'un prince étranger pouvoit seul rétablir le calme en France. Son ambassade à Berlin, avant sa nomination au directoire, lui avoit fait jeter ses vues sur l'un des princes de la maison de Brunswick. Sieyes n'aimoit pas Buonaparte lorsqu'il fut question au directoire de le rappeler d'Egypte, pour rétablir l'ordre en France, ce directeur dit le remède seroit pire que le mal; propos qui fut rendu à Buonaparte par Barras. Le surlendemain de son arrivée à Paris, le directoire indique une audience particulière, à dix heures du matin, pour recevoir avec pompe Buonaparte. Des ordres sont donnés au commandant des grenadiers de la garde de lui rendre tous les honneurs. Buonaparte, par mépris, arrive seul à huit heures les directeurs n'étoient pas encore réunis. Buonaparte passe trois quarts-d'heure dans la salle des gardes: il prend la main de plusieurs grenadiers; leur parle des dernières campagnes d'Italie, et leur présente du tabac : enfin il entre à neuf heures dans la salle d'audience. Il avoit affecté de ne pas mettre son habit de général. Il étoit vêtu d'une simple redingote brune avec un chapeau rond. Nous entrons dans ces détails parce que nous étions témoins lors de son arrivée au Luxembourg.

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Buonaparte fait le lendemain sa visite individuelie aux membres du directoire, à l'exception de l'abbé Sieyes, ayant souvent dit qu'il ne pouvoit sentir ce prêtre hypocrite, lui trouvant une physionome jesuitique. Barras lui observa qu'il ne devoit voir en lui que l'un des chefs du gouvernement; qu'il seroit inconvenant de ne pas lui rendre une visite. Buonaparte promit, mais il ne fut chez lui que deux jours après, et n'y resta que dix minutes. L'abbé Sieyes lui rendit sa visite, qui dura deux heures. Le général adroit l'écouta sans rien dire, et remarqua qu'il pourroit tirer un bon parti de ses vastes projets, en dissimulant son arrière-pensée. Une seconde conférence décida qu'on marcheroit d'accord. Buonaparte fit entrevoir l'intention de rétablir les Bourbons sur le trône; Sieyes insistoit pour un prince de la cour de Berlin; mais avant de rien décider, ils ne s'occupèrent que du mode d'opérer cette révolution. L'abbé Sieyes mit dans sa confidence son collègue Roger-Ducos, Fouché, Cambacérès, ministre de la justice, l'ex-ministre des relations extérieures Taleyrand-Périgord, plusieurs. membres du conseil des anciens, un petit nombre des cinq-cents, dont Lucien Buonaparte.

La conspiration s'entame. On se sert du directeur Barras comme d'un instrument passif. Des réunions nocturnes eurent lieu pour y

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discuter les projets de constitution de Sieyes, qui, pour réussir, avoit fait la part à chacun des conspirateurs; la composition d'un sénat les flattoient, principalement pour les émolumens de 25,000 francs; Buonaparte dit qu'il falloit 30,000 fr. pour qu'un sénateur puisse représenter dignement. Cette somme a été portée à 36,000 fr. à l'époque de sa nomination au consulat à vie ; et les vingt-neuf sénatoreries à raison de 75,000 fr. chacune, lorsque Buonaparte voulut se faire nommer empereur.

L'abbé Sieyes observa en particulier à Buonaparte; que la dignité de sénateur devoit être la récompense du mérite militaire et civil; qu'il falloit un sénat absorbant, c'est-à-dire nul, et y placer des généraux dangereux et des hommes qui pourroient obtenir trop d'influence; mais qu'il importoit qu'il y eût une majorité d'hommes nuls; enfin, le plan arrêté, l'on s'occupe du mode d'exécution. Lucien Buonaparte est nommé président du conseil des cinq-cents; les rôles distribués, les répétitions de la tragédie se font le 9 décembre (18 brum.). Trente membres du conseil des anciens s'assemblent à une heure dans leur salle, heure où ils n'avoient pas coutume de commencer leur travaux : ils n'appellent que ceux de leurs collègues dont ils connoissent parfaitement les opinions. Les députés Cornet et Régnier prononcent des dis

cours où ils peignent les maux de la patrie; parlent de complots. Le nom de Buonaparte est prononcé comme le seul capable de prévenir les plus grands malheurs qui seroient sans remède un jour plus tard. Ils ne développent aucuns motifs; un décret est rendu pour transférer le corps législatif à S.-Cloud; ils nomment commandant des troupes de Paris le général Buonaparte, qui aussitôt entre dans la salle accompagné de plusieurs généraux qui avoient servi sous lui: tels que Lannes, Murat, Berthier, Serrurier, Andréossi, etc. Buonaparte prononce un discours, où il dit : Qu'on ne cherche pas dans le passé des exemples qui pourroient retarder votre marche; rien dans l'histoire ne ressemble à la fin du dix-huitième siècle, et rien dans la fin du dix-huitième siècle ne ressemble au moment actuel. Le général Lefebvre est nommé général sous le commandement de Buonaparte.

Deux membres du directoire, Sieyes et Roger-Ducos, s'étoient échappés dès le grand matin du Luxembourg, et s'étoient réunis à la commission du conseil des anciens chargée de diriger les mesures. Buonaparte fit demander officieusement à Barras sa démission de directeur, en lui faisant observer les périls auxquels l'exposeroit sa résistance; Barras demande deux heures pour se décider. Botot, secrétaire de

formant la garde des deux conseils, qu'il avoit réunis dans le jardin des Tuileries, avec la garde du directoire, qui étoit venue se ranger sous ses ordres.

Lucien Buonaparte, président du conseil des cinq-cents, fait donner lecture au conseil du décret rendu par les anciens, en vertu duquel les deux conseils sont transférés à SaintCloud, et le général Buonaparte est chargé de son exécution. Le 19 brumaire (10 novembre), un appareil militaire fut déployé autour du château de Saint-Cloud : les cinq-cents s'assemblent dans la salle de l'orangerie du château, et les anciens dans le château.Tous les membres des cinq-cents prêtent le serment de fidélité à la constitution de l'an. 3 Buonaparte quitte le conseil des anciens, lorsqu'il est certain de la fidélité de la totalité des membres de cette assemblée; il se concerte avec son état-major; le conseil de cinq-cents fait demander Buonaparte pour rendre compte de sa conduite. On l'annonce; il se présente en héros, et en sort en capucin. Un transport de fureur éclate dans l'assemblée; tous les membres se lèvent et se présentent autour de lui. Il balbutie quelques mots, devient pâle. Plusieurs se présentent avec des poignards. Arèna son cousin, veut lui en porter un coup, les cris à bas le tyran, hors la loi le dictateur; le général Lefebvre entr

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