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Cette lettre, peu flatteuse ni décente, affecta Ferdinand, et lui donna des inquiétudes. Savary chercha à convaincre le roi de l'intérêt que lui portoit l'empereur, ainsi qu'à la nation espagnole. Il parla en sabreur, et dit : « Je veux qu'on me coupe la tête, si un quart-d'heure après l'arrivée de Votre Majesté à Baïonne, l'empereur ne vous a pas reconnu comme roi d'Espagne et des Indes. Pour ne pas être inconséquent avec lui-même il commencera probablement par vous saluer du titre d'altesse; mais, quelques minutes après, il vous donnera celui de majesté, et, dans trois jours, tout sera terminé; alors votre majesté pourra retourner sur-le-champ en Espagne ». Le roi hésita néanmoins son âme généreuse, incapable de soupçonner une aussi lâche trahison, résolut de se rendre à Baïonne. Il fut reçu par le prince de Neufchâtel et par le maréchal Du roc; escorté par un détachement de la garde d'honneur de Baïonne, jusqu'à l'hôtel qui lui avoit été préparé. Informé que l'empereur venoit pour lui faire visite, Ferdinand descendit à la porte de la rue pour le recevoir : ils s'embrassèrent; l'empereur ne resta qu'un moment ́ avec le roi. Peu de temps après, le maréchal Duroc vint pour l'inviter à dîner avec l'empereur. Le roi, rentré dans sa résidence, le général Savary vint le soir trouver le roi, pour

lui annoncer que l'empereur avoit irrévocablement résolu de renverser la dynastie des Bourbons en Espagne, et d'y substituer la sienne; et qu'en conséquence, l'empereur exigeoit, tant en son nom qu'en celui de toute sa famille, qu'il renonçat à la couronne d'Espagne et des Indes, en faveur de la dynastie de Buonaparte. Le lendemain, entrevue entre don Pedro Cevallos et M. de Champagny : le premier se plaignit des outrages faits à son souverain; M. de Champaguy insista sur la nécessité de la renonciation demandée, et prétendit que l'abdication signée par Charles IV, le 19 mars, n'avoit pas été volontaire. Tous les détours de la diplomatie insidieuse de M. de Champagny, ne purent ébranler la fermeté du roi, non plus que le zèle de ses ministres. Napoléon prit le parti de faire venir à Baïonne le roi Charles IV, et la reine, pour qu'ils devinssent les instrumens de l'oppression et de la disgrâce de leur fils. Napoléon ordonna à Murat d'employer toutes sortes d'artifices pour accélérer leur départ pour Baïonne.

Le roi et la reine demandèrent au prince Murat que le prince de la Paix, leur favori, les précédât dans leur voyage; Murat fit diverses tentatives auprès de la junte du gouvernement pour, obtenir sa liberté; la junte n'avoit pas le droit de la lui accorder, ayant reçu à ce sujet, de Vittoria, des ordres contraires. Mu

rat déclara vouloir obtenir par la force ce qu'on ne vouloit pas lui accorder de bonne grâce: la juute ordonna la mise en liberté de don Manuel Godoi (prince de la Paix), qui fut conduit sur-le-champ à Baïonne, avec une forte

escorte.

Charles IV et la reine arrivent à Baïonne. 27 AVRIL. Instruction remise à son Excellence don Pédro Labrador, datée de Baïonne.

« Votre excellence a été informée des propositions qui ont été faites au roi, de son arrivée dans cette ville, et de ce qui s'est passé dans la conférence où elles furent discutées entre le ministre M. de Champagny et moi. Les autres propositions, qui ont été récemment faites, different sous quelques rapports, mais ne sont pas plus admissibles; elles sont dans la teneur suivante : 1° Que l'empereur Napoléon a irrévocablement résolu que la dynastie des Bourbons ne règnera plus en Espagne; 2o que le roi cédera ses droits à la couronne, tant en son nom qu'en celui de ses fils, ou autres héritiers ; 3° que le royaume d'Espagne appartiendra désormais à l'un des frères de Napoléon ; 4° que si sa majesté demande et accepte la nièce de l'empereur en mariage, la couronne d'Etrurie lui sera transmise et à ses descendans, conformément aux statuts de la loi salique; que l'infant don Carlos fera une pareille renon

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ciation de ses droits, et qu'il aura droit à la succession de la couronne d'Étrurie, à défaut d'héritiers directs du roi ; et que, si sa majesté se refusoit à ses propositions, elle les fera exécuter de gré ou de force, etc. »

28 AVRIL. Dépêche officielle de don Pédro Cevallos à M. de Champagny, datée de Baïonne.

« D'après les dispositions amicales de l'empereur Napoléon envers le roi mon maître ; soit par les assurances du grand duc de Berg (Murat) et celles que le général Savary avoit données à sa majesté, de l'arrivée prochaine de l'empereur dans cette capitale, et d'après lesquelles le roi se décida à aller jusqu'à Burgos, à sa rencontre, pour donner un témoignage public de son affection pour sa personne. Je vous déclare qu'il est désormais devenu impossible de répondre plus long-temps de la tranquillité de tout un peuple, surtout depuis qu'on a appris à Madrid que le roi étoit arrivé depuis six jours à Baïonne, et qu'on est dans l'incertitude sur son retour en Espagne, etc. >>

Ier MAI. Lettre du roi Ferdinand, à son père, Charles IV, datée de Baïonne.

« Votre majesté est convenue que je n'avois pas eu la moindre part aux évènemens d'Aranjuez. Votre majesté me dit aussi que son abdication avoit été spontanée, et que, si quelqu'un vouloit me persuader qu'il en eût été autrement, je n'y ajoutasse aucune foi; et

par

que c'étoit l'acte le plus agréable de votre vie, etc. J'ai demandé à votre majesté si elle étoit disposée à reprendre son sceptre, et votre majesté m'a répondu qu'elle ne vouloit ni remonter sur le trône, ni retourner en Espagne. Néanmoins, votre majesté désire que je renonce en sa faveur à la couronne qui m'a été transmise les lois fondamentales du royaume, et par la libre abdication qu'elle en a faite, etc. Pour répondre au vœu de votre majesté, je consens à résigner ma couronne en sa faveur aux conditions que votre majesté retournera à Madrid, où je l'accompagnerai, pour la servir comme le fils le plus soumis, etc., et que votre majesté ne se fera pas accompagner par des individus qui se sont justement attiré la haine de la nation ».

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Il ne restoit plus à Madrid d'autres personnes de la famille royale que la reine d'Etrurie, l'infant don Francisco, son fils, et l'infant don Antonio, frère de Charles IV, qui y présidoit la junte suprême. Le prince Murat avoit reçu l'ordre de les faire conduire à Baïonne, après le départ du roi et de la reine. La population entière de Madrid s'étant opposée à ce départ, cette insurrection légitime fut appaisée par la mitraille. Murat fit braquer des canons et tirer sur la multitude :

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