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bien d'autres à Marengo ; j'étois battu jusqu'à six heures du soir; le lendemain j'étois le maître de l'Italie. A Essling, j'étois le maître de l'Autriche. Cet archiduc avoit cru m'arrê ter; il a publié je ne sais quoi, mon armée avoit déjà fait une lieue et demie en avant; je ne lui avois pas fait l'honneur de faire des dispositions, et on sait ce que c'est quand j'cn suis là. Je ne puis pas empêcher que le Danube grossisse de seize pieds dans une nuit. Ah! sans cela, la monarchie autrichienne étoit finie; mais il étoit écrit au ciel que je devois épouser une Autrichienne. De même en Russie, je ne puis empêcher qu'il gêle on vient me dire tous les matins que j'ai perdu dix mille chevaux dans la nuit; eh bien! bon voyage! nos chevaux normands sont moins durs que les . russes; ils ne résistent pas passés ncuf degrés de glace; de même des hommes: allez voir les Bavarois, il n'en reste pas un. Peut-être dira-t-on que je suis resté trop long-temps à Moskou. Cela peut-être : mais il faisoit si beau; la saison a devancé l'époque ordinaire; j'y attendois la paix. Le 5 octobre, j'ai envoyé Lauriston pour en parler. J'ai pensé à aller à Pétersbourg: j'avois le temps, dans les provinces du midi de la Russie, à passer l'hiver à Smolensk. On tiendra à Wilna. J'y ai laissé le roi de Naples. Ah! ah! c'est une grande scène

politique. Qui n'hasarde rien, n'a rien. Da sublime au ridicule il n'y a qu'un pas. Les Russes se sont montrés. L'empereur Alexandre est aimé. Ils ont des nuées de Cosaques. C'est quelque chose que cette nation! Les paysans de la couronne aiment leur gouvernement. La noblesse est montée à cheval. On m'a proposé d'affranchir les esclaves; je ne l'ai pas voulu, ils auroient tout massacré : c'eût été horrible. Je faisois une guerre réglée à l'empereur Alexandre; mais aussi, qui auroit cru qu'on frappåt jamais un coup comme celui de la brûlure de Moskou ? Maintenant ils nous l'attribuent; mais ce sont bien eux. Cela eût fait honneur à Rome. Beaucoup de français m'ont suivi; ah! ce sont de bons sujets; ils me retrouveront. » Alors Napoléon se jeta dans toute sorte de divagations, sur la levée de ce corps de Cosaques en Pologne, qui, à l'entendre, devoit arrêter cette armée russe, devant laquelle trois cent mille français venoient de fondre. Les ministres eurent beau insister sur l'état de leur pays, il n'en démordit pas. Jusque-là, j'avois cru devoir lui laisser le champ libre, dit M. de Pradt; je ne me permis pas de me mêler de la conversation que lorsqu'il s'agit de l'apitoyer sur la détresse du duché. Il accorda, à titre de prêt, une somme de deux à trois millions de billon de Piémont,

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qui étoient depuis trois mois à Varsovie; et deux à trois millions en billets, provenant des contributions de Courlande. Ce fut moi qui dressai l'ordre pour le ministre du trésor. Il annonça l'arrivée prochaine du corps diplomatique. « Ce sont des espions, dit-il; je n'en voulois pas à mon quatier-général. On les fait venir ; tout cela n'est que des espions, uniquement occupés d'envoyer des bulletins à leurs cours. » La conversation se prolongea ainsi pendant près de trois heures. Le feu s'étoit éteint le froid nous avoit tous gagné. Napoléon, se réchauffant à force de parler, ne s'étoit aperçu de rien; il avoit répondu, sur la proposition de traverser la Silésie : « Ah! ah! la Prusse». Enfin, après avoir répété de nouveau deux ou trois fois : du sublime au ridicule il n'y a qu'un pas; après avoir demandé s'il étoit reconnu, et dit que cela lui étoitégal; avoir renouvelé aux ministres l'assurance de sa protection, et les avoir engagés à prendre il demanda à partir. Je lui renouvelai l'assurance que, dans le cours de l'ambassade, rien, de ce qui concernoit son service, n'avoit été oublié. Les ministres et moi lui adressèrent les paroles les plus respectueusement affectueuses pour la conservation de sa santé, pour le succès de son voyage. « Je ne me suis jamais mieux porté ; quand j'aurois le

courage,

diable, je ne m'en porterois que mieux. >> Telles furent ses dernières paroles. Aussitôt il monta dans l'humble traîneau qui portoit César et sa fortune, et disparut. Un choc violent manqua le renverser en franchissant le seuil de la porte. Le 16 décembre, arriva le duc de Bassano (Maret), avec le général Lauriston ; ils étoient persuadés qu'on tiendroit dans Wilna. Alors, je lui déclarai ma résolution de quitter les affaires et l'ambassade; il calma de son mieux le - premier mouvement. Il avoit dans sa poche mes lettres de rappel, que Napoléon lui adressa lors de son arrivée à Kowno, à vingt lieues de Varsovie, à cinq heures du matin ; il écrivit au duc une lettre de quatre pages, au bas de laquelle sc lisoient ces mots : « J'ai vu, à Varsovie, l'abbé de Pradt : il m'a dit toutes sortes de choses; il me paroît qu'il n'a rien de ce qu'il faut dans sa place : je ne lui ai rien témoigné; vous n'avez qu'à le rappeler. » Le reşte de la lettre concernoit cette levée de Cosaques, à laquelle il attachoit le salut bien tardif de la Pologne. (Extrait de l'ouvrage de M. de Pradt.

12 DÉCEMBRE. Proclamation de l'empereur de Russie, datée de Wilna, «< contre ceux qui ont embrassé le parti de Buonaparte, violateur du droit des gens; qui ont mieux aimé être ses adhérens infâmes, que de rester fidèles, ete.»

12 DEC, Note relative à la force de l'armée française, à l'ouverture de la campagne de 1812. Après que les Français eurent évacué Moscou, le comte Rostopchin, gouverneur militaire de Moscou, fit imprimer un rapport détaillé de l'état-major - général français, trouvé, avec beaucoup d'autres papiers, dans la demeure de Berthier. D'après cette pièce officielle, l'armée que Napoléon avoit menée en Russie s'élevoit à cinq cent soixante-quinze mille hommes, avec onze cent quatre-vingt-quatre pièces de

canon.

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Note officielle, indiquant le nombre de cadavres d'hommes et de chevaux qui ont été brûlés en Russie, après la retraite des Français.

Dans les gouvernemens de Minst, de Moscou, de Smolensk, de Wilna, et dans le gouvernement de Kalonga, jusqu'au 20 février, deux cent quarante-trois mille six cent douze hommes, et cent vingt-trois mille cent trentedeux chevaux. Les gouverneurs avoient déjà fait brûler un grand nombre de cadavres, avant d'avoir reçu de la cour l'ordre d'en faire le dénombrement; ainsi, on peut évaluer à peu près à cent cinquante mille les cadavres brûlés, non compris ceux qui sont morts dans les hôpitaux, et la perte de toute l'artillerie, etc. etc.

14. Dresde.

Napoléon Buonaparte arrive à

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