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Ces raisons étaient puissantes: elles avaient entraîné la Section de législation qui non-seulement retrancha l'article, mais y substitua une disposition absolument contraire, en

ces termes :

« Si le mari est décédé sans avoir fait le désaveu, ses héritiers ne seront point admis à contester la légitimité de l'enfant. » Mais on fit observer qu'une succession était une propriété; qu'on ne pouvait refuser aux héritiers du mari la faculté de faire valoir leurs droits et de détruire les obstacles qui en gênent l'exercice en contestant l'état des enfants;

>> Que le silence du mari ne prouve rien tant que le délai de sa réclamation n'est pas écoulé. Qu'une maladie grave peut le surprendre et le conduire au tombeau avant l'expiration du délai. Que parler de pardon c'est s'écarter de la théorie de la matière; qu'il ne s'agit pas, en effet, de pardon, mais d'une vérité de fait; savoir si le mari est ou non père de l'enfant, en un mot s'il y a paternité naturelle. »>

« Ces raisons, ajoute M. Locré, ont décidé à donner l'ac» tion en désaveu, non pas à tous ceux qui ont intérêt à » désavouer l'enfant, mais aux héritiers seulement (1). »

Cette limitation était nécessaire pour empêcher que des tiers ne troublassent pendant le mariage, par des actions indiscrètes, l'union et le bonheur domestique des deux époux, ou ne pussent après la mort du mari flétrir l'épouse, avilir les enfants et détruire leur état. Elle était juste, d'ailleurs ; car c'est le mari qui, après la femme, est le premier juge, le juge le plus intéressé du fait. S'il ne se plaint pas, lorsqu'il le peut, lorsque la mort ne l'en empêche pas, qui pourrait avoir le droit de se plaindre? Probatam enim à marito uxorem, et quiescens matrimonium non debet alius turbare et inquietare. (L. 26, ff. ad leg. Juliam de adult.

On voit que la règle a été puisée, comme la plupart des

(1) V. Locrė, Esprit du Code civil sur l'art. 317.

TOME II.

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principes de notre législation, dans le droit romain, ce précieux et vaste dépôt de la sagesse humaine.

Ainsi, le silence du mari, lorsqu'il a connu la naissance de l'enfant et qu'il n'en a pas contesté la légitimité dans le délai que la loi lui donne (v. l'art. 316), ce silence que la loi considère comme une approbation tacite, et, à plus forte raison, des actes authentiques ou sous seing-privé émanés du mari et qui reconnaîtraient directement ou indirectement la légitimité de l'enfant, en le privant du droit de désavouer sa paternité, en priveraient aussi ses héritiers quels qu'ils fussent. On peut voir, à l'appui de cette vérité, un arrêt de la Cour de cassation, du 19 mai 1839, rapporté par Sirey, t. 39. 1. 521.

Mais si la mort du mari a été trop prompte, ou si d'autres circonstances ne lui ont pas permis de réclamer dans le court délai que la loi lui accordait, si, d'ailleurs, il n'a pas approuvé la naissance de l'enfant, ses héritiers seront admis, à sa place, à proposer le désaveu. Car ce droit n'est pas un de ceux que la loi a exclusivement attaché à la personne. Elle l'attribue aussi aux héritiers, soit par la règle générale suivant laquelle des héritiers succèdent toujours aux droits de leur auteur excepté dans les cas où des règles spéciales ou formelles les en excluent, soit par les dispositions particulières des art. 317 et 318 sur le désaveu.

La loi nouvelle est plus favorable aux héritiers que l'ancienne jurisprudence. Autrefois les héritiers directs seuls étaient admis à agir en désaveu (1).

Aujourd'hui le Code ne fait aucune distinction entre les diverses classes d'héritiers. Collatéraux ou directs, ils ont tous le même droit. Mais ceux-ci doivent être écoutés avec plus de faveur et jugés moins sévèrement, selon les auteurs des Pandectes françaises. La justesse de cette observation dépend cependant des circonstances. Car si l'action

(1) V. les auteurs des Pandectes françaises, sur l'art. 317 (311 dans leur ouvrage et les autorités qu'ils citent.

frappait la mère des héritiers directs, ils seraient peu favorables les enfants qui attaqueraient ainsi l'honneur de leur

mère.

728. Par le mot héritiers, on doit entendre tous ceux qui représentent le mari à titre universel, parce qu'ils sont loco hæredis, qu'ils ont les mêmes charges et qu'ils doivent avoir, par conséquent, les mêmes droits (1).

729. Delvincourt accorde l'action en désaveu, même aux légataires particuliers.

C'est étendre la faculté : c'est l'attribuer à tous ceux qui y ont intérêt, quoique la proposition en ait été repoussée au Conseil d'Etat. C'est ajouter à la loi qui n'accorde le droit qu'aux héritiers. Cette opinion est une erreur.

Elle n'est pas partagée par les autres auteurs (2).

Duranton l'adopte cependant relativement aux enfants nés après les 300 jours de la dissolution du mariage, ou qui étaient nés avant le 180me jour de la célébration et peutêtre légitimés quoique étant le fruit de l'adultère. Mais dans ces deux cas, la question qui s'élève est moins une question de désaveu qu'une question de légitimité, et nous verrons bientôt que l'on ne doit pas confondre les deux actions.

Selon Duranton les donataires ou légataires universels ne peuvent agir que par voie d'exception, et qu'autant qu'ils sont troublés dans leur possession.

Mais s'ils représentent le défunt, s'ils sont à tous ses droits, si la loi les assimile à des héritiers naturels quant aux avantages généraux que leur titre leur attribue, pourquoi leur refuserait-on l'action directe?

D'ailleurs, elle peut leur être nécessaire pour obtenir la possession même du don ou du legs universel, l'enfant jouissant provisoirement de l'état d'enfant légitime, et ayant, par conséquent, la saisine légale des biens.

(1) V. les auteurs citės plus haut.

(2) V. Proudhon, t. 2, p. 51; Toullier, t. 2, no 834; Duranton, t. 3, n° 82 et 83.

Enfin, si le délai de l'action, délai très-restreint par les art. 316 et 317, expirait avant que la contestation fût en mouvement, il serait plus que douteux que le désaveu proposé par voie d'exception le fit revivre, et écartât la fin de non-recevoir. (V. le paragraphe suivant.)

Cependant les donataires ou légataires universels ne peuvent désavouer l'enfant ou contester sa légitimité, si leur intérêt ne le leur commande pas. Car, comme le fait observer avec justesse M. Duranton, les effets moraux, les conséquences éloignées de la famille appartiennent plutôt aux hé ritiers du sang, aux membres de cette famille, qu'à des étrangers qui n'ont de titres que dans les libéralités qu'ils ont reçues du défunt: si ces libéralités sont respectées par l'enfant, ils ne doivent pas être reçus à lui contester son état. Les héritiers du sang eux-mêmes ne devraient pas y être admis si le défunt avait disposé de tous ses biens, et qu'ils ne fussent pas héritiers à réserve.

En un mot, il n'en est pas des héritiers du mari, quel que soit leur titre, comme du mari lui-même; celui-ci a un outrage à venger, un intérêt d'honneur à ménager; cel outrage, cet intérêt suffisent pour l'autoriser à agir en désaveu. Quant aux représentants du mari, leur action ne paraît, d'après la loi, avoir pour mesure ou pour mobile que leur intérêt matériel, puisque le délai de cette action ne court contr'eux que du jour où cet intérêt matériel est atteint ou menacé pour l'enfant, qui se met en possession du bien du mari ou qui les trouble dans la possession qu'ils en ont prise eux-mêmes.

On doit aussi reconnaître que l'action en désaveu n'appartient pas aux héritiers naturels qui ont renoncé à la succession. Ils ne représentent pas le défunt.

L'action en désaveu appartiendra-t-elle aux légataires à titre universel ?

Oui, selon les auteurs cités; et cette opinion parait rationnelle; les légataires à titre universel sont aussi assimilés

aux héritiers légitimes pour les droits comme pour les obligations.

M. Locré parait d'un avis contraire, et le déduit de ce que l'art. 317 ne parle que des héritiers. « Ainsi, dit-il, le » légataire qui, ayant reçu plus que la portion disponible, >> aurait intérêt à contester la légitimité de l'enfant, afin » d'échapper à la réduction, n'y serait pas admis.

» En effet, si une succession est une propriété qu'on » doit défendre, un legs est une pure libéralité à laquelle il >> ne convient pas de sacrifier la tranquillité des enfants. >> Cette opinion, personnelle à M. Locré, n'est pas en harmonie avec celle que nous avons ci-dessus rappelée.

Elle ne paraît pas aussi conforme avec le sens indéfini de l'article 317 qui ne s'est pas servi d'une expression limitative, qui n'attribue pas l'action aux héritiers légitimes seulement, mais qui l'accorde aux héritiers en général, et par conséquent aux héritiers testamentaires ou contractuels comme aux héritiers naturels, et par conséquent aussi à tous ceux qui ont reçu du défunt un titre universel, soit par acte entre-vifs, soit par testament.

Car toutes ces personnes remplacent les héritiers naturels, sunt loco hæredis; elles sont, en droit, considérées comme héritières.

L'opinion de Locré ne serait vraie que pour les légataires ou donataires à titre particulier, parce que ceux-ci ne sont pas aux droits universels du défunt; et parce que la libéralité qui leur a été faite, ne suppose pas nécessairement dans le mari, la volonté de désavouer l'enfant, et peut se concilier avec la filiation légitime de celui-ci, que le père peut avoir voulu seulement grever d'une libéralité particulière, tandis qu'un don ou un legs universel ou à titre universel peut faire présumer que le père n'a pas cru à sa paternité, et que c'est dans cette pensée qu'il a disposé de ses biens à titre universel.

Mais quant aux légataires particuliers et aux créanciers

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