Page images
PDF
EPUB

794. Comparaison des articles 197 et 322, et cas différents auxquels ils s'appliquent.

795. Fails propres à établir la possession de l'état d'époux.

796. Cette possession d'état perdrait-elle son effet si les deux individus avaient des habitudes de désordre ?

797. L'existence du mariage étant constante, la légitimité ne peut être contestée à l'enfant qui a en sa faveur un acte de naissance et la possession d'état.

798. Celui-ci ne peut lui-même réclamer une autre filiation. 799. Transition.

780. La possession d'état est la jouissance publique, que tout individu peut avoir, de la place qu'il tient dans la famille et dans la société (1).

Le genre de preuve le plus ancien, le plus ancien, celui que toutes les nations ont admis, celui qui embrasse tous les faits propres à faire éclater la vérité, celui sans lequel il n'y aurait plus rien de certain ni de sacré parmi les hommes, c'est la preuve de la possession constante de l'état d'enfant légitime (2).

De toutes les preuves qui assurent l'état des hommes, disait le célèbre Cochin, dans la cause Bourgelat, la plus solide et la moins douteuse est la possession publique. L'état n'est autre chose que la place que chacun tient dans la société générale et dans la famille. Et quelle preuve plus décisive peut fixer cette place que la possession publique où l'on est de l'occuper depuis que l'on existe? Les hommes ne se connaissent entr'eux que par cette possession (3). »

Rien n'est donc plus puissant, pour constater l'état, que l'autorité de la possession. Elle supplée aux titres s'il n'en existe pas; elle les rectifie s'ils sont défectueux.

Ce moyen était même le seul avant que les progrès de la civilisation eussent fait établir des registres, et depuis il a

(1) Discours du tribun Duveyrier; Législat. civile et commerciale de Locré sur l'art. 320, comment. 11, no 24.

(2) Expose des motifs, comment. 9, no 18 de la Législat. civile. (3) Cochin, t. 1, p. 590; v. Merlin, Répert., verbo Légitimité, sect. 1, 2, et les divers anciens arrêts qu'il rapporte.

toujours servi à réparer leurs omissions, à corriger leurs

erreurs.

781. Chez les Romains, la jouissance publique de l'état d'enfant légitime suffisait même pour prouver et le mariage et la légitimité. C'est ce que déclare la loi 9. C. de nuptiis.

Si vicinis vel aliis scientibus uxorem liberorum procreandorum causâ domui habuisti, et ex eo matrimonio filia suscepta est, quamvis neque nuptiales tabulæ neque ad natam filiam pertinentes facta sunt, non ideò minus veritas matrimonii aut susceptæ filiæ suam habet potestatem.

782. Dans l'ancien droit français, la possession d'état suffisait aussi à défaut de titre de naissance pour établir la filiation légitime.

Selon M. Toullier, on ne dispensait autrefois l'enfant de prouver le mariage de ses père et mère que lorsqu'il réunissait en sa faveur la possession d'état à l'acte de naissance. L'auteur cite à l'appui de cette opinion un arrêt de la Cour de cassation, du 8 janvier 1806, et le nouveau Denisart, au mot Etat, § 2.

Mais la Cour de cassation juge seulement par cet arrêt que la décision des juges du fond est à l'abri de sa censure quant à l'admissibilité des faits tendant à établir la possession d'état. Cette Cour, par arrêt du 19 mai 1830, a jugé de la même manière la question née sous l'empire du Code (1).

Quant aux opinions des jurisconsultes, elles étaient loin d'être unanimes; plusieurs d'entr'eux, et des plus recommandables pensaient que la possession publiqne de l'état d'enfant légitime suffisait pour dispenser l'enfant de rapporter et son acte de naissance et la preuve de l'acte de célébration du mariage de ses père et mère.

C'est ce que reconnaît M. Toullier lui-même, qui cite

(1) Voir les deux arrêts dans le Journal de Sirey, l. 6. 1, p. 307, et 1. 30. 1. 216. Voir aussi un troisième arrêt conforme du 27 nov. 1833; D., 34. 1. 33.

Bourjon, auteur dont la doctrine s'appuie sur le droit commun de la France.

L'arrêt du 29 mars 1770 rendu en faveur des enfants Foucault est en opposition avec le système de M. Toullier, puisque cet arrêt qu'il cite lui-même déclara légítimes par la seule force de la possession d'état des enfants qui ne représentaient cependant ni leurs actes de naissance, ni l'acte de célébration du mariage de leurs père et mère.

Quant aux autres arrêts indiqués par M. Toullier, rien ne prouve qu'ils furent déterminés par la circonstance que des actes de naissance se réunissaient à la possession d'état.

L'ancienne jurisprudence sur la question ne pourrait être clairement démontrée que par un certain nombre d'arrêts qui auraient refusé l'état d'enfant légitime à des individus dont le seul titre aurait été leur possession d'état, quelque constante, quelque caractérisée qu'elle fût.

Or, on n'en cite pas de semblables.

Merlin rapporte, au contraire, plusieurs arrêts anciens qui ont déclaré légitimes des enfants qui n'avaient d'autres titres que leur possession d'état. Il cite, notamment l'arrêt Nicolle, du 15 juin 1771, et l'arrêt Bourgelat, du 12 août 1729, lors duquel Cochin développa avec tant de force et d'éloquence les vrais principes sur la puissance et les effets de la possession d'état (1).

La possession d'état a même été long-temps la seule preuve légale de la légitimité des enfants des protestants, qui, d'après la législation rigoureuse dont ils étaient frappés, ne pouvaient ni sortir du royaume pour contracter des mariages sur un sol étranger sans s'exposer à la peine des galères, ni faire célébrer leur mariage en France, parce que leurs opinions religieuses ne leur permettaient pas de se soumettre aux rites et aux formalités qu'on exigeait pour les mariages.

(1) V. Merlin, au mot Légitimité, sect. 1, § 2, μ° 3.

Aussi, avant le fameux édit du mois de novembre 1787, tous les Parlements admettaient-ils la légitimité des enfants des protestants sur le fondement unique de leur possession d'état. (V. Merlin, loco citato, § 3, et les arrêts qu'il cite.)

783. Depuis l'émission du Code civil, plusieurs arrêts ont appliqué ces principes aux questions de ce genre, quoique pées sous l'ancienne législation.

Ainsi, un arrêt de la Cour de cassation, du 23 mars 1825, a décidé que la filiation légitime d'un individu mort sous les lois anciennes, pouvait être établie, à défaut d'acte de naissance et de registres de l'état civil, par des présomptions de la nature de celles indiquées par l'art. 321 du Code, tendantes à établir la possession d'état d'enfant légitime.

Un autre arrêt de la même Cour, rendu le 29 novembre 1826, a aussi jugé que, sous l'empire de l'ordonnance de 1667, comme avant cette ordonnance, la preuve de la filiation, à défaut de registres publics, s'établissait par une possession d'état constante et continue, appuyée sur des actes authentiques (1).

Au reste, rien n'indique dans les discussions du Conseil d'état, que le droit actuel sur la matière soit un droit nouveau. Le tribun Duveyrier après avoir rappelé les paroles éloquentes de Cochin, sur la possession d'état, après avoir dit que son plaidoyer avait depuis servi de texte à toutes les discussions sur cette matière, ajoute ces paroles remarquables :

« Ces principes, qui n'ont jamais été contestés ni modifiés, » ont dicté dans le projet de loi cette règle générale : » A défaut de titre, la possession constante de l'état d'enfant légitime suffit (2).

De tout ce qui vient d'être dit, on doit conclure que les questions de filiation légitime fondée sur la possession d'état,

(1) V. les arrêts dans Sirey, t. 26. 1. 229 ; et t. 27. 1. 207; et dans Dalloz jeune, t. 25. 1. 238 ; et t. 27. 1. 71.

(?) V. Législat. civile sur l'art. 320, comment. 11, no 24.

quoique nées sous l'ancien droit, doivent être résolues par les règles du Code civil qui, considéré même seulement comme loi interprétative, peut leur être appliqué suivant la maxime: Leges priores ad posteriores trahuntur et è contrà. Les termes de l'article 320 sont précisément ceux que transcrit dans son discours le tribun Duveyrier.

» A défaut de ce titre (l'acte de naissance), la possession Art. 320. » constante de l'état d'enfant légitime suffit.

A défaut de ce titre, dit l'article, ce qui veut dire que « la possession d'état ne doit être consultée que lorsque » l'enfant ne peut pas présenter d'acte de naissance.

» Ce qui veut dire aussi, que si les registres publics n'ont » point existé, s'ils sont perdus, si l'on a omis d'y inscrire >> l'acte de naissance, la possession seule prouvera l'état, » pourvu qu'elle soit publique et non interrompue.

>> Ce qui signifie, par une conséquence légale, que s'il » y a erreur ou fraude dans les registres, la possession >> suffit encore pour conduire à la réformation néces» saire (1). »

Le projet du Code était rédigé en expressions plus restreintes. Il portait seulement :

« Si les registres civils sont perdus, ou s'il n'en a pas été tenu, la possession constante de l'état d'enfant né du mariage suffit. » (V. l'art. 12, du chap. 2, du titre 7 du projet, livre des personnes.)

C'était trop limiter la règle. C'était priver l'enfant de ce moyen si favorable cependant, si digne de confiance, lorsque des registres existaient, quelque peu réguliers même qu'ils fussent; c'était dans beaucoup de cas rendre illusoire la possession d'état.

La rédaction adoptée définitivement est tout à la fois et plus simple et plus large. Elle embrasse tous les cas, et sans' examiner la cause qui empêche la représentation de l'acte

(1) Discours de Duveyrier, loco citato.

« PreviousContinue »