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de naissance, elle déclare la possession d'état suffisante pour la preuve de la filiation légitime,

Mais, n'oublions pas, comme nous l'avons déjà fait ob→ server sur l'article 319, qu'il faut que le mariage des père et mère soit constant ou au moins qu'ils soient eux-mêmes décédés en possession de l'état d'époux légitimes, (Voir aussi ce que nous avons dit sur l'article 197.)

Remarquons aussi avec Locré, que l'article 320 ne donne d'effet à la possession d'état que quand elle sert la réclamamation de l'enfant, et qu'il n'autorise personne à la faire valoir contre lui (1).

La réflexion est juste, mais elle doit être entendue avec cette modification cependant que, si l'enfant invoque sa possession d'état pour prouver sa filiation légitime, ses adversaires ont le droit d'établir par preuve contraire qu'il possédait un autre état.

La possession d'état est un genre de preuve que la faveur de la filiation légitime a fait introduire dans notre droit. Elle ne s'applique pas aux enfants naturels, puisque, à leur égard, la recherche de paternité est interdite (V. l'art. 340.)

Le Code de la Louisianne (cette contrée autrefois française), qui admet la recherche de paternité naturelle en faveur des enfants blancs libres et en faveur aussi des enfants de couleur, libres, lorsque le père qu'ils recherchent est un homme de couleur, autorise aussi dans ce cas la preuve de la filiation naturelle par la possession d'état, lorsque le père, dit l'article 227 de ce Code, soit en public, soit en particulier, a reconnu le bâtard comme son enfant ou lui en a donné le nom dans ses discours, ou l'a fait élever comme tel.

Ce sont là les vrais caractères de la possession de l'état, Cette législation exceptionnelle n'est pas admise chez d'autres peuples qui autorisent cependant, sous certaines conditions, la recherche de paternité.

(1) Esprit du Code civil, t. 5, p. 100.

Etendre en Europe à la filiation naturelle la preuve résultant d'une possession d'état, ce serait ouvrir la voie aux recherches les plus scandaleuses.

784. En l'autorisant pour la filiation légitime, la loi a tracé dans l'art. 321 les principaux caractères de la possession d'état.

« La possession d'état s'établit par une réunion suffisante Art. 321. de faits qui indique le rapport de filiation et de parenté entre un individu et la famille à laquelle il prétend appartenir.

>> Les principaux de ces faits sont :

» Que l'individu a toujours porté le nom du père auquel il prétend appartenir;

>> Que le père l'a traité comme son enfant et a pourvu, en cette qualité, à son éducation, à son entretien et à son établissement;

» Qu'il a été reconnu constamment pour tel dans la société ;

» Qu'il a été reconnu pour tel par la famille. »

L'ensemble de la rédaction indique clairement que les faits énoncés sont proposés seulement comme exemples, exempli causâ non taxationis causâ.

Le principe général est posé dans le premier paragraphe de l'article. Il veut que la possession puisse s'établir par une réunion suffisante de faits qui la signalent,

Il ajoute que les faits qu'il énumère sont les PRINCIPAUX, c'est-à-dire qu'ils sont ceux qui ont fixé l'attention des rédacteurs, ceux qui se présentent même le plus ordinairement dans la vie civile.

785. Mais par cela même que l'article ne les rappelle que comme principaux, il n'en exclut aucun autre; et l'enfant pourra invoquer tous ceux que les circonstances lui offiriront, et qui lui paraîtraient propres à établir l'état auquel il prétend.

La Commission nommée par le gouvernement avait proposé

une rédaction qui limitait à certains faits les caractères de la possession d'état.

Elle avait dit :

«La possession d'état résulte d'une chaîne uniforme et non interrompue de faits qui indiquent les rapports de filiation et de parenté entre un individu et la famille à laquelle il appartient.

» Ces faits sont que l'individu a toujours porté le nom du père, etc. »

Le surplus du projet a été copié dans l'article.

Seulement après le fait : Qu'il a été reconnu pour tel dans la famille,

Il était ajouté: Le concours de cette dernière circonstance n'est pas toujours indispensablement nécessaire (1).

786. S'exprimer ainsi, c'était non-seulement n'admettre comme faits caractéristiques de la possession d'état que les seuls faits détaillés dans l'article, c'était aussi prescrire leur concours, à l'exception du dernier, touchant la reconnaissance de la famille que l'on pouvait quelquefois ne pas exiger.

La rédaction fut critiquée.

On reconnut qu'il était impossible de rechercher et de classer dans une loi tous les rapports qui constituent une possession d'état, et d'en faire une énumération exacte ;

Que déterminer les seuls faits qui pourraient la constater, c'eût été courir le risque d'en écarter de décisifs, et priver l'enfant de tous les secours que la loi lui donne ;

Que pour rendre sa preuve plus concluante, on l'eût souvent rendue très-difficile pour ne pas dire impossible (2). Ces observations judicieuses produisirent le changement du premier paragraphe du projet, et la suppression du dernier. De la rédaction adoptée il résulte :

(1) V. le projet du Code civil, titre 7, chap. 2, art. 16. (2) Esprit du Code civil, p. 101 et 102, du t. 5.

1o Qu'un fait isolé ne suffirait pas pour établir la possession d'état ;

2o Mais que, s'il faut une réunion de faits, il ne faut pas au moins le concours de tous ceux que détaille l'article ; 3° Que la possession d'état peut résulter d'autres faits que ceux qui y sont énoncés ;

4° Que des faits même peu nombreux, s'ils sont caractéristiques, peuvent suffire pour la prouver.

A ce que nous avons déjà dit pour démontrer la vérité de ces quatre propositions, nous ajouterons quelques passages des discours des orateurs qui ont présenté la loi ou développé ses motifs.

M. Bigot-Préameneu, dans l'exposé des motifs, disait, en parlant des faits de possession d'état indiqués dans l'article:

a La loi n'exige point que tous ces faits concourent. L'ob» jet est de prouver que l'enfant a été reconnu et traité >> comme légitime: il n'importe que la preuve résulte de » faits plus ou moins nombreux; il suffit qu'elle soit cer>> taine (1). >>

L'orateur Lahary, dans son rapport au Tribunat, s'exprimait ainsi :

« Au moyen du développement donné à cet article, il » n'est plus permis d'élever de doute ni de tergiverser sur » ce qui devra caractériser la possession d'état.

▾ Ainsi, un fait isolé ne pourra suffire pour prouver une » possession d'état, celle qui est requise pour s'établir dans >> une famille. Il faut un cumul, une réunion suffisante de >> faits qui indiquent le rapport de filiation et de parenté >> entre un individu et la famille à laquelle il prétend ap» partenir (2). »

Le tribun Duveyrier déclare dans un autre discours que

(1) Législ. de Locré sur l'art. 321, comment. 9, u° 19.

(2) Même ouvrage, comment. 10, no 21.

le concours des faits donnés pour exemples, n'est pas indispensable,

« En indiquant ces fais principaux, dit-il, la loi ne veut >> pas dire que, pour démontrer la possession d'état, leur >> réunion soit iadispensable, de manière qu'à défaut d'un » seul, tous les autres ensemble doivent être rejetés.

» Non; elle a voulu seulement, par ses exemples, mon>>trer le caractère et la nature des rapports dont on doit tirer » la conséquence exacte et la preuve de la possession d'état.

» Il est trop évident que parmi les faits proposés pour » exemples, il en est qui, s'ils sont continuels et manifestes, >> peuvent seuls compléter la démonstration sans le secours » d'aucun autre (1). »

Le langage de ces législateurs fixe le vrai sens de la loi. Elle ne prescrit pas tels ou tels faits; elle exige encore moins leur concours.

Mais elle veut que les faits prouvés ne soient pas équivoques, qu'on ne puisse les confondre avec de simples mouvements de bienfaisance et d'affection accordés quelquefois à des étrangers; qu'on trouve en un mot dans leur réunion ce que les jurisconsultes appellent tractatum, nomen, famam.

787. La reconnaissance des parents éloignés, celle même des aïeux serait moins puissante que celle de la mère surtout si les mœurs de celle-ci n'avaient jamais été ternies par des soupçons.

La reconnaissance du mari de la mère est de toutes les preuves la plus concluante comme émanant de celui qui est le premier juge de la légitimité de l'enfant et qui serait le plus intéressé à ne pas reconnaitre une paternité fausse ou même équivoque. Grande præjudicium offert pro filio confessio patris. L. 1, § 12, ff. de agnoscendis et alendis liberis (2).

(1) Législation civile, comment. 11, no 25.

(2) V. Proudhon, 1. 2. p. 59 et suiv. ; et Merlín, Répert., sect 2, § 4, n. 3, qui rapporte plusieurs arrêts fondés sur ce principe, tandis qu'au

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