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le mariage eût pu être déclaré constant; les époux euxmêmes ont cette ressource. L'enfant en est privé par son ignorance sur l'époque du mariage et sur son ministre.

Comment donc lui refuserait-on les avantages de la simple preuve prescrite par l'article 197 du Code civil?

C'est aussi dans ce sens favorable à l'enfant que la Cour de cassation a décidé la question, par arrêt du 8 mai 1810:

« Attendu, dit l'arrêt, que Jean Pontiant et Marguerite Guy étant décédés, et les actes de naissance de Benoîte et Jean Pontiant portant qu'ils sont enfants desdits Jean Pontiant et de Marguerite Guy, son épouse, la légitimité desdits enfants ne pouvait leur être contestée sous le seul prétexte du défaut de représentation de l'acte de célébration du mariage de leurs père et mère; que telle est la disposition du Code civil, article 197; que la règle établie par cet article, n'est modifiée par aucune exception, et que, dans aucun cas, le Code n'impose aux enfants l'obligation de représenter l'acte de célébration du mariage de leur père et mère; qu'en fait, la Cour d'appel a jugé que Benoîte et Jean ont la possession d'état d'enfants légitimes, laquelle est conforme à leurs actes de naissance; qu'ainsi son arrêt n'a violé aucune loi (1).

Dans l'espèce de cet arrêt, l'état des enfants était appuyé sur le double fondement d'un titre de naissance et d'une possession conforme à ce titre.

Or, lorsque le mariage a existé, la réunion de ces deux preuves de légitimité repousse toute contestation sur l'état de l'enfant. C'est ce que déclare l'article 322 du Code, qui suppose cependant l'existence d'un mariage légal.

<< Nul ne peut réclamer un état contraire à celui que Art. 322. >> lui donnent son titre de naissance, et la possession con

>> forme à ce titre ;

(1) V. l'arrêt dans le Journal des Audiences de Denevers, vol. de 1810, p. 243; et dans le Répertoire, au mot Légitimité, sect. 1o, § 2, 10e question.

>> Et réciproquement, nul ne peut contester l'état de celui >> qui a une possession conforme à son titre de naissance. »

794. Cet article, dans sa seconde partie, a beaucoup d'analogie avec l'article 197, au titre du Mariage, où il est dit que «< la légitimité de l'enfant ne peut être contestée sous le simple prétexte du défaut de représentation de l'acte de célébration du mariage, toutes les fois que cette légiti– mité est prouvée par une possession d'état non contredite par l'acte de naissance.

Cependant, il y a une différence sensible dans la rédaction des deux articles.

L'article 197 exige seulement que la possession d'état ne soit pas contredite par l'acte de naissance.

L'article 322 veut qu'elle soit conforme.

La différence des expressions est trop grande pour ne pas supposer une différence d'intention dans le législateur.

L'article 197 peut s'appliquer, par exemple, à deux cas auxquels l'article 322 serait étranger :

A celui où l'acte de naissance ne serait pas produit et ne pourrait pas l'être;

A celui où cet acte de naissance ne désignerait pas le père. Dans les deux cas, en effet, s'il n'y avait pas conformité entre l'acte de naissance et la possession d'état, et si sous ce rapport l'article 322 ne pouvait pas être invoqué par l'enfant, au moins il n'y aurait pas contradiction, et dans ce sens l'enfant pourrait, s'appuyant sur l'article 197 et sur l'article 322, prouver sa légitimité par la seule possession d'état.

Mais est-ce la seule différence d'application que doivent recevoir les deux articles?

S'il en était ainsi, l'article 322 pourrait être considéré comme presque inutile, puisqu'aux termes de l'article 320, la simple possession d'état est suffisante pour constater la légitimité. La représentation de l'acte de naissance n'aurait donc d'autre but que de servir d'élément à la preuve de

cette possession d'état, que d'ajouter quelque force à cette preuve, et de rendre la contestation plus difficile.

On ne doit pas, d'ailleurs, tirer de l'article 322, la conséquence que la conformité de l'acte de naissance et de la possession d'état dispensent l'enfant, qui a en sa faveur ces deux puissants titres, de prouver ou le mariage de ses père et mère ou leur vie commune et publique comme époux. Ce serait donner à l'article 322 un sens trop large, un sens repoussé par toutes les discussions qui ont préparé les règles sur la filiation légitime, discussions qui nous apprennent que la possession d'état de l'enfant doit se composer aussi de la possession d'état de ses père et mère comme époux. Pourquoi donc cette différence d'expression entre les deux articles 197 et 322?

Serait-ce, comme l'indique Toullier, mais avec hésitation el doute, que le législateur eût voulu laisser aux juges la faculté d'admettre la preuve du mariage dans des occasions très-favorables (1)?

M. Toullier a raison de douter. Car cette supposition renverserait toute la théorie des principes sur la filiation légitime, théorie d'après laquelle il faut, ou que le mariage des père et mère de l'enfant soit prouvé, ou qu'il soit établi après leur décès qu'ils ont vécu publiquement comme mari et femme.

Disons plutôt que le législateur a voulu, dans certains cas, autoriser l'enfant à prouver par titres ou par témoins, dans l'intérêt de sa légitimité, la célébration du mariage de ses père et mère, quoique l'un d'eux ou même l'un et l'autre fussent encore vivants, si son acte de naissance conforme à une possession d'état constante faisait déjà présumer l'existence de cette union légitime dont l'acte de célébration ne pourrait cependant pas être représenté.

Une telle interprétation serait en harmonie avec les mo

(1) V. Toullier, t. 2, note sur le no 877.

tifs de l'arrêt de la Cour de cassation, du 22 décembre 1819 que nous avons rapporté plus haut.

Mais nous devons ajouter que, malgré la faveur de la légitimité, et malgré la possession d'état de l'enfant, son acte de naissance, quoique contenant la déclaration du mariage de ses père et mère, ne suffirait pas s'ils étaient vivants pour établir légalement l'existence de ce mariage; il faudrait encore prouver la célébration. C'est ce que nous avons déjà démontré. C'est ce que prouve avec son érudition et sa logique ordinaires M. Merlin, dans une dissertation où il rappelle l'ancienne et la nouvelle jurisprudence sur la question (1).

795. Nous avons dit que, lors même que, suivant l'arti– cle 322, l'enfant invoquerait et son titre de naissance et une possession d'état conforme à ce titre, il n'en serait pas moins tenu, pour établir sa légitimité, si ses père et mère ou l'un d'eux était vivant, ou de rapporter l'acte de célé– bration du mariage de ses père et mère, ou de constater par d'autres titres et par témoins cette célébration; el si ses père et mère étaient l'un et l'autre décédés, de prouver la possession d'état de ceux-ci comme époux en même temps que sa possession comme enfant légitime.

Par quels faits cette possession d'état d'époux pourra-telle être démontrée ?

L'art. 197 considère comme caractérisant la possession de l'état d'époux, la position de deux individus qui ont vécu publiquement comme mari et femme.

C'est par les circonstances qu'on doit juger si la condition prescrite a été remplie.

An autem maritalis honor et affectio præcesserit, personis comparatis, vitæ conjunctione consideratâ, perpendum esse. L. 31, ff. de donationibus.

L'existence d'un contrat de mariage entre les père et

(1) Repertoire, au mot Légitimité, sect. 1, § 2, 6e quest.

mère annonce l'intention d'une union légitime; mais elle ne la prouve pas ; l'absence de ce contrat ne prouve pas davantage que le mariage n'ait pas éte célébré.

Neque sine nuptiis instrumenta facta ad probationem matrimonii sunt idonea, diversum veritate continente; neque non interpositis instrumentis jure contractum matrimonium irritum est; cùm omissâ quoque scripturâ, cætera nuptiarum indicia non sunt irrita. L. 9, C. de nuptiis.

Tel était aussi le langage de M. d'Aguesseau dans son 6me plaidoyer:

« Et sans recourir à tant d'autorités, dit-il, il est visible » que les conventions matrimoniales sont tout à fait distinc» tes et séparées du consentement des parties, qui, sanc» tifié par la bénédiction nuptiale, constitue l'essence du » sacrement. L'usage apprend que les contrats se font avant » la célébration; que souvent ils n'ont pas d'exécution; et » l'on peut dire qu'un contrat de mariage est la plus légère » de toutes les présomptions pour prouver qu'un mariage » a été célébré, puisqu'il précède et ne suit pas le ma»riage. >>

La possession d'état d'époux dépend surtout de la cohabitation publique dans la maison du mari; c'est cette maison qui forme le domicile du mariage, domicilium matrimonii, dit la loi 5, C. de nuptiis.

C'est aussi à la publicité de cette cohabitation, lorsqu'elle était suivie de la naissance d'un enfant, que la loi 3, C. de nuptiis, subordonnait principalement la preuve du mariage.

Si, vicinis vel aliis scientibus, uxorem liberorum procreandorum causâ domui habuisti, et ex eo matrimonio filia suscepta est; quamvis neque nuptiales tabulæ neque ad natam filiam pertinentes facta sunt, non ideò minus veritas matrimonii aut susceptæ filiæ habet suam potestatem.

Pour que la cohabitation publique des père et mère forme, en faveur des enfants, une présomption légale de mariage, il faut que le père ait traité la mère comme épouse,

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