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secours; elle leur a accordé la preuve testimoniale, mais sous certaines conditions. Ce genre de preuve sera l'objet du paragraphe suivant.

S III.

De la preuve par témoins pour constater la filiation légitime.

SOMMAIRE.

800. De la preuve par témoins pour constater la filiation. 801. Dans l'ancien droit, elle n'était pas admise isolément. 802. Elle était admise étant appuyée de quelques indices. 803. Le droit nouveau est semblable. (C. c., art. 323 et 324.) 804. Différence entre l'admission de la preuve de la filiation légitime et celle de la preuve de la possession d'état, et conditions exigées dans le premier cas.

805. Première condition. Absence de titres.

806. Deuxième condition. - Absence de possession.

807. Troisième condition.

présomptions graves.

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Commencement de preuve par écrit ou

808. Quels faits constituent des présomptions graves.

809. Hors des cas prévus dans la troisième condition, la preuve testimoniale ne doit pas être ordonnée.

810. En admettant la preuve, on doit autoriser aussi non-seulement la preuve contraire à la maternité, mais encore celle de la nonpaternité.

Motifs.

811. Différence entre la réclamation de filiation et le désaveu, et par suite entre les moyens et les preuves autorisées dans les deux cas pour ceux qui repoussent ou attaquent la filiation.

812. Dans le cas de l'art. 315, pourquoi les adversaires de l'enfant sont-ils plus favorisés que dans celui du désaveu?

800. De tout temps la preuve testimoniale avait été admise pour concourir à la preuve de la filiation.

Nous disons pour concourir à la preuve. Car isolée de toutes circonstances ou de tout commencement de preuve par écrit, on ne l'autorisait pas. Elle aurait été d'une con13

TOME II.

séquence trop dangereuse, elle n'aurait plus laissé de sûreté dans les familles.

Les Romains eux-mêmes, dont la législation prêtait une si grande autorité aux dépositions des témoins, n'avaient cependant pas cru devoir en faire dépendre uniquement la filiation légitime. En matière d'état, la preuve testimoniale seule était déclarée insuffisante par la loi 2, Code de testam, dont voici les termes :

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Defende causam luam instrumentis et argumentis quibus potest; soli enim testes ad ingenuitatis probationem non sufficiunt. »

801. Cette décision, nous dit Merlin, a été admise dans nos mœurs, et elle a servi de motifs à plusieurs arrêts solennels.

Le savant jurisconsulte en cife, en effet, plusieurs qui ont consacré cette doctrine.

Il en cite un du Parlement de Paris du 7 mars 1641, qui déboute Marie d'Amitié de sa demande en autorisation de prouver par témoins qu'elle était la sœur d'Elisabeth et d'Anne Roussel;

Un autre du 27 mars 1659 qui juge la même chose ;

Un troisième du 12 janvier 1686, conforme aux conclusions de l'avocat-général Talon, qui démontra que la seule preuve par témoins n'était pas suffisante dans les questions d'état ;

Un quatrième du 29 mars 1691 rendu sur les conclusions de M. d'Aguesseau.

Ces quatre arrêts sont rapportés dans le Journal des Audiences du Parlement de Paris, qui en rapporte aussi deux autres semblables du même Parlement, des 11 mars 1735 et 24 mai 1765.

La question a été jugée de la même manière par le Parlement de Rouen, le 26 mai 1734. On trouve l'arrêt dans le Recueil d'Augeard.

On en trouve beaucoup d'autres dans le Recueil de Meynard, dans le Dictionnaire de Denizart.

Tous ces arrêts ont été rendus contre des personnes, qui, sans indices graves, sans présomptions, sans commencement de preuve par écrit, voulaient se faire attribuer par une preuve testimoniale un état dont elles n'étaient pas en possession.

802. Mais il ne faudrait pas en conclure que la preuve par témoins fût indistinctement inadmissible dans les questions d'état.

Elle était admise non-seulement lorsque les registres publics étaient perdus, mais encore « lorsqu'il y avait des » adminicules de preuves contraires à celles qui résultent » des registres. » C'est ce que reconnaissait M. d'Aguesseau, c'est ce qu'avait établi un des commissaires chargés de la rédaction de l'ordonnance de 1667. On lit aussi dans le procès-verbal de cette ordonnance : « Ajoutons qu'il y >> aurait nécessité en beaucoup de rencontres de recevoir » cette preuve. »

Merlin qui, au mot Légitimité, dans son Répertoire, rappelle le principe général et les modifications qu'il a reçues, rapporte trois arrêts remarquables qui ont adopté ces modifications, l'arrêt Ferrand du 27 août 1736, celui rendu en faveur de la demoiselle Choiseul, le 13 avril 1736, et un dernier arrêt plus remarquable encore du 21 mai 1765, par le Parlement de Rouen qui admit le nommé Jacques à prouver qu'il était le fils d'Anne le Comte et de Charles Lair, mari de celle-ci.

Jacques n'avait en sa faveur aucune possession d'état. Mais son acte de naissance du 21 février 1734, rédigé sur la déclaration de la sage-femme qui avait fait l'accouchement, énonçait qu'il était fils d'Anne le Comte, fille de Nicolas le Comte et de Marie le Buron, et il y était ajouté que le commissaire de police de Caen avait reçu la déclaration d'Anne le Comte, il y avait plus de trois mois.

Art. 323.

Art. 324.

En effet, le 27 novembre précédent, Anne le Comte, accompagnée de la sage-femme, avait fait chez le commissaire de police, sa déclaration de grossesse en attribuant la paternité à un nommé Guillaume Margerie, et en se qualifiant seulement de fille de Nicolas le Comte, sans indiquer son mariage avec Charles Lair.

De la preuve de ces faits devait résulter la filiation légitime de Jacques comme né de Charles Lair, mari de sa mère, suivant la maxime, pater is est, etc., et sauf l'exception du désaveu (1).

803. Le Code Napoléon a confirmé et perfectionné cette jurisprudence par les articles 323 et 324 :

«< A défaut de titre et de possession constante, ou si l'enfant a été inscrit, soit sous de faux noms soit comme né de père et mère inconnus, la preuve de la filiation peut se faire par témoins.

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>> Néanmoins cette preuve ne peut être admise que lorsqu'il y a commencement de preuve par écrit, ou lorsque les présomptions ou indices résultant de faits dès-lors constants, sont assez graves pour déterminer l'admission. »

« Le commencement de preuves par écrit résulte des titres de famille, des registres et papiers domestiques du père ou de la mère, des actes publics ou même privés émanés d'une partie engagée dans la contestation ou qui y aurait intérêt si elle était vivante. »>

804. Remarquons la différence entre le cas prévu par ces articles et celui de la possession d'état.

La preuve testimoniale peut aussi être employée pour justifier les faits qui constituent la possession d'état. Alors cette preuve est favorable puisqu'elle a pour but de maintenir l'enfant dans l'état dont il jouit, dans un état dont on veut le dépouiller.

Au contraire, celle permise par l'art. 323 tend à donner

(1) V. Merlin, Répertoire, au mot Légilimilé, secl. 3, no 3.

un état à l'enfant qui n'en a point ou qui n'en a qu'un équivoque.

L'un veut conserver;

L'autre veut acquérir.

Pour le premier, la preuve n'est qu'un moyen indirect d'établir la filiation déjà notoire dans le public;

Pour le second, elle est un moyen direct de la prouver quoiqu'aucun fait extérieur ne la fasse supposer. De la différence des positions devait résulter aussi une différence des principes.

Aussi ne demande-t-on ni commencement de preuve par écrit, ni indices ou présomptions résultant de faits déjà constants, pour autoriser la preuve testimoniale des faits constitutifs de la possession d'état (1); tandis que des conditions sont prescrites, des garanties puisées dans de fortes présomptions sont exigées pour que l'on accorde à la preuve par témoins une confiance qu'elle n'obtiendrait pas si elle était réduite à sa seule puissance.

De sages considérations ont dicté la facilité des principes dans un cas, leur exigence dans l'autre.

<< Lorsqu'un enfant veut constater son état par une possession qui se compose de faits continus pendant un certain nombre d'années, la preuve par témoins ne présente aucun inconvénient; elle conduit au plus haut degré de certitude qu'on puisse atteindre.

» Mais lorsque la question d'état dépend de faits particuliers sur lesquels des témoins subornés ou crédules peuvent en imposer à la justice, leur témoignage seul ne doit pas être admis. Une fàcheuse expérience a démontré que, pour des sommes ou des valeurs même peu considérables, les témoins ne donnent pas une garantie suffisante. Comment pourrait-on y avoir confiance, lorsqu'il s'agit d'attribuer les

(1) Arrêts du 9 mai 1329; Sirey, 30. 2. 57.

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