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ne pourrait acquérir un état à celui qui l'usurperait fraudu→ leusement.

Ainsi l'individu qui aurait pris le nom d'un autre, qui se serait fait passer pour le fils de tel père et de telle mère, n'aurait pu acquérir par la prescription un état qui ne lui appartiendrait pas, tout comme il n'aurait pu perdre celui la nature et la loi lui donneraient.

que

C'est en ce sens qu'on peut dire que la prescription ne peut lui servir ni lui être opposée.

Et remarquez que cette idée n'a rien de contraire à la lettre de la règle suivant laquelle l'action en réclamation d'état est imprescriptible à son égard. Car il est évident qu'il ne pourrait acquérir un nouvel état de famille sans perdre l'ancien. On ne peut, en effet, dans l'ordre de la nature et de la loi, être considéré tout à la fois comme fils de deux mères différentes; et puisqu'on ne peut perdre devant la loi l'état de fils de la mère qui nous a donné le jour, on ne peut aussi, par cela même, acquérir légalement celui de fils d'une autre mère.

Des raisons d'un autre ordre mais aussi puissantes, s'opposeraient à l'acquisition comme à la perte par la prescription de l'état d'époux. La plus longue cohabitatien ne pourrait l'acquérir parce que le droit public et les bonnes mœurs réclameraient sans cesse contre une pareille possession.

La plus longue séparation ne pourrait aussi le faire perdre sans un divorce, parce que le mariage est indėlėbile. C'est sous ces divers rapports que l'état de l'homme, tant qu'il est vivant, est imprescriptible.

819. Mais si la qualité de fils, d'époux, ne peut s'acquérir, ni se perdre par la prescription, il n'en est pas de même des avantages pécuniaires qui peuvent s'y rattacher, des successions, par exemple, auxquels elles donnent droit.

Ainsi l'individu qui, ayant négligé de réclamer son état, aurait souffert qu'un autre s'emparât sous son nom d'un pa

trimoine auquel il aurait droit, recouvrerait, sans nul doute, en vertu de l'art. 328, l'état dont il aurait été privé pendant plus de trente ans ; mais il n'obtiendrait pas le patrimoine ; les biens seraient acquis au possesseur trentenaire que n'en priverait pas même sa mauvaise foi. (V. l'art. 2262 du Code civil.)

La raison en est que, si l'état des personnes n'est pas dans le commerce, le domaine des biens y entre (1).

L'avantage matériel qui résulterait du recouvrement de l'état se réduirait aux successions futures ou à celles dont l'ouverture ne remonterait pas à trente ans de prescription utile.

Les mêmes motifs s'appliqueraient aux transactions et à toute espèce de conventions relatives aux biens que l'individu, qui aurait une réclamation d'état à exercer, pourrait obtenir par son succès; car le traité laisserait intact l'état de la personne; il ne porterait hypothétiquement que sur des objets qui seraient dans le commerce,

820. Tout ce que nous venons de dire ne s'applique pas aux héritiers.

En général, il est vrai, les héritiers succèdent aux droits, et aux actions du défunt. Mais il est des priviléges attachés à la personne de celui-ci, que la loi peut leur refuser ou qu'elle peut restreindre.

Il eût été dangereux d'étendre jusqu'à eux le privilége de l'imprescriptibilité. « Car il est un terme où toute incer>>titude doit cesser pour le repos social toujours intime»ment lié au repos des familles. Une inquiétude prolongée >> serait plus funeste que le mal même qu'on voudrait ré» parer (2). »

Ce terme pour le défunt était la durée de sa vie. pour les héritiers il aurait été indéfini.

Ces raisons puissantes ne permettaient pas d'admettre

(1) V. les auteurs ci-dessus citės.
(2) Discours du tribun Duveyrier.

Art. 329.

Art. 330.

parmi nous l'imprescriptibilité que la législation romaine accordait aux héritiers.

Il y a plus; l'ordre public a paru exiger que leur action fût soumise à de certaines restrictions.

« Les héritiers de l'enfant ne méritaient pas la même faveur de la loi. Ils n'ont pas, comme lui à revendiquer l'honneur de la légitimité. Presque toujours leur demande à cet égard n'a d'autre objet que l'appât d'une succession ; aussi, la loi a pu, sans injustice, mettre des bornes à leurs poursuites (1).

» Leurs prétentions contre la famille dans laquelle ils veulent entrer doivent dépendre de la conduite qu'a tenue envers cette famille celui qu'ils représentent.

>> Si l'action a été intentée par l'enfant, les héritiers la trouvent au nombre des droits qu'ils ont à exercer dans sa succession.

» Mais si on peut induire de la conduite de l'enfant qu'il n'ait pas cru avoir des droits, ou qu'il s'en soit désisté, les héritiers ne doivent plus être admis à s'introduire dans une famille à laquelle leur auteur lui-même s'est regardé comme étranger (2). »

Tels sont les sages motifs qui ont dicté les articles 329 et 330 du Code civil, sur l'action en réclamation d'état accordé aux héritiers de l'enfant.

« L'action ne peut être intentée par les héritiers de l'enfant qui n'a pas réclamé qu'autant qu'il est décédé mineur ou dans les cinq années après sa majorité. »

« Les héritiers peuvent suivre cette action, lorsqu'elle a été commencée par l'enfant, à moins qu'il ne s'en fût désisté formellement, ou qu'il n'eût laissé passer trois années sans poursuites, à compter du dernier acte de procédure. »

L'article 329 est une dérogation à la règle générale écrite au titre des Successions, dans l'article 724, suivant lequel (1) Discours du tribun Lahary.

(2) Bigot-Préameneu, Exposé des motifs.

les héritiers légitimes sont saisis de plein droit des biens, droits et actions du défunt.

Les deux articles présentent trois sortes de fins de nonrecevoir contre l'action des héritiers. Ces exceptions ont toutes leur principe dans l'intention présumée ou exprimée du défunt.

« Il sera présumé n'avoir jamais eu l'intention de réclamer, s'il est mort sans l'avoir fait, après cinq années de majorité. » 1re fin de non-recevoir (1).

Le décès de l'enfant pendant sa minorité n'élève contre ses héritiers aucune fin de non-recevoir, parce que son inexpérience et la faiblesse de son âge ne lui permettant pas de se désister valablement de ses droits par un consentement formel, il peut encore moins les abandonner légalement par un consentement tacite.

Il est d'ailleurs supposé n'en avoir pas été instruit ou n'avoir pu les exercer pendant sa minorité.

Mais cinq années de majorité lui offrent un délai suffisant pour s'informer de sa position sociale, et pour réclamer l'état qui lui appartient sans qu'il en jouisse.

Son silence pendant cet intervalle ne peut lui nuire à luimême; mais il nuit à ses héritiers, parce qu'on suppose qu'il n'a pas voulu leur transmettre un droit qu'il savait ne pas avoir ou qui lui paraissait douteux.

La fin de non-recevoir est absolue contre les héritiers. En vain ceux-ci, pour l'écarter, prétendraient-ils et offriraient-ils de prouver que le défunt ignorait ses droits, et que cette ignorance a été la seule cause de son silence.

L'argument ne serait pas écouté, parce que l'article ne fait aucune distinction; parce que ce serait détruire la règle que d'en faire dépendre l'exécution des incertitudes d'une preuve testimoniale sur l'ignorance dans laquelle serait mort l'enfant; parce que cette ignorance, au moins absolue,

(1) Exposé des motifs.

n'est pas vraisemblable; parce que, d'ailleurs, le législateur, dans la disposition générale qu'il a émise, s'est déterminé non-seulement par la consideration de ce qui arrive le plus souvent, mais encore par la nécessité d'assurer le repos des familles.

Les descendants de l'enfant seraient eux-mêmes écartés, quoiqu'ils ne prétendissent pas aux biens auxquels leur aurait donné droit le succès de la réclamation d'état, quoiqu'ils se contentassent de l'avantage de porter le nom de la famille, et d'y recueillir les droits qui s'ouvriraient à l'a– venir.

Ces modifications, en effet, ne se concilient pas avec la lettre de la loi ni avec l'esprit qui l'a dictée. Tous les héritiers, quels qu'ils soient, sont sur la même ligne.

La Cour de Metz demandait qu'on fit une distinction entre les héritiers directs et les héritiers collatéraux; mais cette observation ne fut pas accueillie.

L'état du défunt est, au reste, indivisible, il ne peut exister pour les uns et pour une partie des droits qu'il attribuerait, et ne pas exister pour les autres et pour le surplus de ces droits (1).

Mais la fin de non-recevoir ne s'applique qu'aux héritiers de l'enfant qui n'aurait eu de son vivant ni titre ni possession d'état.

Car si la filiation légitime de cet enfant était établie par un acte de naissance, et que l'identité ne pût pas être sérieusement contestée, si même sans être muni de ce titre il était mort en possession constante de l'état d'enfant légitime, quoi qu'il fût décédé sans avoir réclamé les droits et les biens que cette filiation légitime lui attribuait, il n'en aurait pas moins été légalement saisi avant sa mort, et il les aurait transmis intégralement à ses héritiers.

Dans un tel cas, en effet, il n'aurait pas d'état à réclamer,

(1) Esprit du Code civil, t. 5, p. 134; Duranton, 1, 3, no 151.

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