Page images
PDF
EPUB

Or, dans ces diverses hypothèses, ne pourrait-il pas se faire qu'un enfant des deux époux fût né d'un commerce antérieur au mariage; et que reconnu antérieurement ou lors de la célébration, on voulût lui appliquer, ou qu'il réclamât lui-même le bienfait de la légitimation?

Alors, contre cette réclamation s'élèveraient les dispositions irritantes de l'art. 331; alors soit que le mariage eût été annulé, mais maintenu dans ses effets civils comme mariage putatif, soit même qu'il n'eût pas encore été attaqué, on repousserait la réclamation de cet enfant, incestueux d'un inceste monstrueux, d'un inceste signalé par la loi naturelle comme par la loi civile, d'un inceste qui n'admet ni excuse, ni dispense, et on lui dirait : « L'article 331 s'opposait à votre légitimation; vous n'êtes pas légitimé. »

Tel est le cas qu'ont dû prévoir les législateurs, eux qui avaient déjà érigé en loi, par les art. 201 et 202 du Code civil, les principes anciens sur les mariages putatifs; tel est celui qu'on doit supposer avoir été réellement prévu par des législateurs aussi instruits, aussi réfléchis, aussi sages, qui ne pouvaient ignorer l'effet rétroactif des dispenses qu'admettait l'ancien droit, cet effet rétroactif si conséquent avec les dispenses même, si consolant pour la faiblesse et l'égarement lorsqu'ils veulent réparer leur faute, si bienfaisant, si juste pour les fruits innocents de l'erreur d'autrui; par des législateurs aussi humains qu'éclairés qui, en consacrant, en renouvelant les règles alors en vigueur, ont dû les maintenir telles qu'elles étaient, dans toute leur étendue, avec leur équitable rétroactivité, ou qui, si leur intention eût été de les modifier, et de punir dans les enfants seuls les fautes de leurs père et mère, auraient au moins annoncé par des expressions claires et formelles, cette étrange, cette injuste, cette cruelle modification.

Ne faisons pas aux législateurs l'injure de leur prêter une telle intention. N'interprétons pas leur silence et contre euxmêmes et contre de malheureux enfants; reconnaissons

aussi que, sans appliquer la prohibition de l'art. 331 aux enfants nés avant le mariage d'un oncle avec sa nièce, d'un beau-frère avec sa belle-sœur, cette prohibition n'en était pas moins nécessaire pour empêcher la légitimation par un mariage subséquent, putatif ou autre, d'un enfant qui aurait été le triste fruit d'un inceste monstrueux dont l'immoralité flétrissante ne pourrait jamais être lavée par la loi, et soulèverait la réprobation générale. Interprétons, au besoin, l'art. 164 du Code civil et la loi du 16 avril 1832, par la doctrine et la jurisprudence ancienne, suivant la maxime: Leges priores ad posteriores trahuntur et è contrà; et disons que les dispenses autorisées par la loi, accordées par le prince, en faisant cesser l'empêchement, purgent le vice résultant de la parenté ou l'alliance, l'effacent pour le passé comme pour l'avenir, attribuent aux contractants tous les droits qu'auraient des personnes étrangères l'une à l'autre, et les autorisent, par conséquent, à légitimer par leur mariage les enfants nés d'un commerce antérieur.

Au reste, cette interprétation si puissamment recommandée par l'équité est autorisée par un passage du discours du tribun Duveyrier au corps législatif :

« Nous n'avons jamais connu que deux classes d'enfants >> naturels. Dans la première, les enfants naturels simples »> nés de personnes libres, ex soluto et solutâ; dans la se» conde, les adultérins et les incestueux; et l'inceste reli>> gieux étant désormais étranger à la loi civile, ce dernier >> genre devient presque insensible, si l'on observe surtout » qu'il n'y aura point inceste civil, même dans les degrés » prohibés auxquels le gouvernement peut appliquer la dis» pense. »>

Les expressions de l'orateur sont d'autant plus remarquables, que, selon l'observation de Toullier, « l'article 331, qui exclut du bienfait de la légitimation les enfants nés d'un commerce adultérin ou incestueux, ne définit point ce qu'il faut entendre par commerce incestueux ; et que ni le

Code pénal de 1791, qui était la loi vivante au moment où le Code Napoléon fut rédigé, ni le nouveau Code des délits et des peines ne peuvent servir à fixer nos idées, parce qu'ils ne contiennent aucune disposition relative à l'inceste (1). »

Ce n'est peut-être pas sans motifs que la loi n'a pas défini l'inceste. Elle a voulu sans doute s'en référer à la loi naturelle et laisser à la morale publique le soin de la définition. Et de là on doit conclure qu'elle n'a pas entendu en imprimer la flétrissure sur une cohabitation qu'elle consacrerait elle-même comme union légitime, moyennant de simples dispenses. Car des dispenses ne peuvent permettre un fait réellement criminel ou même seulement répréhensible. Car que devrait-on penser d'une loi qui, après avoir signalé un crime ou un délit, l'autoriserait à l'aide de quelques formalités?

Ces réflexions conduisent à considérer la prohibition du mariage entre oncles et nièces, entre beaux-frères et bellessœurs, non comme une prohibition absolue et signalant un inceste, mais comme une prohibition simplement relative, comme une disposition seulement réglementaire, commandée en général par l'intérêt des familles et des mœurs privées, mais que peut faire cesser, dans des cas particuliers, un intérêt plus pressant encore reconnu par le chef de l'Etat.

Sous ce rapport, l'art. 331 resterait sans application au cas que nous examinons.

Enfin, quelque qualification que l'on donne à une telle cohabitation, fùt elle-même incestueuse, la loi civile seule déclarant l'inceste, la loi civile, par les dispenses qu'elle autorise, pourrait aussi complètement l'effacer et pour le passé et pour l'avenir, ainsi que le reconnaissent les auteurs les plus recommandables, ainsi que l'enseigne le savant Voët par ces expressions si logiques: Subsecuta legis civilis

(1) Toullier, t. 2, no 932.

prohibentis laxatio licitam effecit vel saltem vitio purgavit retrò, conjunctionem illam quæ secundùm jus naturæ interdicta non est.

Et comment ne considérerait-on pas comme effacé par les dispenses le vice du commerce antérieur lorsque l'on considère que la grossesse de la femme, et à plus forte raison l'existence d'un enfant sont les causes les plus graves des dispenses et les plus propres à les faire obtenir? La grossesse est même expressément indiquée, comme cause de dispense, dans l'instruction adressée, le 10 mai 1824, par le ministère de la justice aux procureurs du roi qui sont chargés de la faire constater par une personne assermentée, et d'annexer son rapport aux autres pièces. Ne serait-il pas souverainement injuste, selon l'expression de la loi 10 C. de naturalib. lib., que l'enfant, dont l'existence aurait été l'occasion et la cause impulsive du mariage, fùt repoussé de la famille et du patrimoine du père par ses frères eux-mêmes qui lui devraient et leur naissance et leur état?

654. Toutes les considérations, tous les moyens que nous venons de développer peuvent être invoqués, depuis la loi du 16 avril 1832, en faveur des enfants nés, même avant cette loi, du commerce d'un beau-frère et d'une belle-sœur qui, obtenant des dispenses, contracteraient aujourd'hui mariage.

La question, dans ce dernier cas, présente, il est vrai, une difficulté de plus. On peut dire qu'il y avait empêchement absolu au moment de la naissance de l'enfant, que la fiction sur laquelle la légitimation repose ne peut plus servir de prétexte; qu'enfin ce serait donner à la loi nouvelle un effet rétroactif repoussé par l'art. 2 du Code civil.

Ces objections sont puissantes; on ne doit pas le dissimuler. On ajoutera même qu'elles ont été adoptées par un arrêt de la Cour d'Orléans, du 25 avril 1833 (1).

(1) V. cet arrêt dans le Recueil de Dalloz jeune, vol. de 1833, partie 2, p. 97.

Mais on répondra qu'il n'y a pas de rétroactivité là où aucun droit n'est acquis, et que les père et mère étant vivants, personne n'a de droits acquis sur des successions qui ne sont pas encore ouvertes.

On ajoutera que les lois sur l'état et la capacité des personnes les saisissent dès l'instant de leur publication ; qu'elles peuvent améliorer leur condition, effacer le vice d'une qualité antérieure, et leur permettre d'acquérir une qualité nouvelle qui leur prépare de nouveaux droits pour l'avenir, et que tant que les droits qu'ils peuvent être appelés à recueillir n'ont pas été définitivement acquis à des tiers, il n'y a réellement pas de rétroactivité.

On fera observer qu'il y avait seulement empêchement, et non mesure prise contre l'inceste dans la prohibition portée par l'art. 162; qu'on ne pouvait en effet qualifier d'incestueuse, une union permise chez tous les peuples de l'Europe, autorisée autrefois parmi nous, qui n'a été dé– fendue que temporairement, et dont la faculté a été renouvelée sur un grand nombre de réclamations, parce qu'on a reconnu que l'erreur seule et de faux scrupules avaient provoqué la défense.

On sera autorisé à soutenir que, la prohibition étant levée par la loi nouvelle et par des dispenses, l'empêchement est censé n'avoir jamais existé, et que les contractants doivent être réputés avoir toujours été libres de s'unir.

On assimilera cet empêchement temporaire à celui qui dans l'ancien droit ne permettait pas à un juif d'épouser une chrétienne, aux prêtres de contracter mariage, et qui, cependant n'empêcherait pas aujourd'hui de légitimer par mariage subséquent, l'enfant né autrefois du commerce de la chrétienne et du juif, n'a pas empêché notamment, de légitimer par le mariage subséquent du prêtre, contracté depuis la loi nouvelle, un enfant né en 1778, quoique certainement alors le père et la mère n'eussent pu s'unir par mariage.

« PreviousContinue »