Page images
PDF
EPUB

Ainsi jugé par un arrêt de cassation, du 22 janvier 1822. Preuve évidente que, pour opérer la légitimation, la fiction dont nous avons parlé n'est pas d'une nécessité absolue. Seulement la loi présume que le père et la mère ont toujours eu le dessein de s'unir par des vœux solennels et légitimes dès qu'ils le pourraient; elle suppose que le « mariage a » été contracté de vœu et de désir, dès le temps de la con

ception des enfants, et d'après cette présomption elle >> donne un effet rétroactif au mariage. C'est donc unique>>ment de la volonté des parties que dépend cet effet ré>> troactif. >>

C'est d'après ce dernier motif que la légitimation peut avoir lieu quoiqu'il y ait eu un mariage intermédiaire entre la naissance et le mariage qui légitime, ce qui ne permet cependant pas de faire remonter ce dernier mariage à la naissance de l'enfant (1).

Et ne pourrait-on pas dire que, lors même de leur égarement, le beau-frère et la belle-sœur contractaient de vœu et d'intention un mariage légitime, et avaient le dessein et même l'espoir de s'unir légalement, soit en s'expatriant et en allant sous un ciel étranger chercher une loi plus douce, comme il y en a eu plusieurs exemples, soit par le changement de la législation française dont la réformation était appelée par de nombreuses réclamations?

Nous ne saurions mieux terminer cette dissertation qu'en citant les paroles éloquentes de M. Dupin, qui lors de la discussion de la loi du 16 avril 1832, peignant les déplorables conséquences du refus de la légitimation, s'écriait devant la Chambre des députés : « On verrait les enfants nés d'un même père et de la même mère, dans la même maison, à la même table, en présence des premiers qui n'auraient ni état ni droit au partage; et à moins que les parents ne voulussent les punir d'un crime qui ne fut pas le leur, il faudrait

(1) V. Favard, Répertoire, au mot Légitimation, § 1, nos 1, 2 et 5, et Merlin, Répertoire, sect. 2, no 11.

que le même foyer ralliât des enfants légitimes et des enfants incestueux. »

A cette opinion d'un si grand poids du savant procureurgénéral de la Cour suprême, ajoutons celle de M. Roger, auteur de la proposition qui a préparé la loi de 1832, celle de Loiseau que nous avons déjà citée, celle même de M. Dalloz, aîné, au mot Filiation qui semble aussi pencher pour ce système (1).

On doit espérer que la réflexion et l'intérêt des enfants feront prévaloir cet équitable avis.

655. Nous avons dit, en discutant la question précédente, que la légitimation par un mariage subséquent pouvait s'opérer quoiqu'un autre mariage l'eût séparé de la naissance.

Cette opinion qui avait été assez long-temps controversée avait fini par être autrefois généralement admise. Ceux qui soutenaient le contraire se fondaient sur ce que la légitimation ne peut avoir lieu que par l'effet d'une fiction qui fait remonter le mariage au temps de la conjonction illicite. Ils disaient que cette rétroactivité ne peut avoir lieu lorsqu'il a été contracté postérieurement un autre mariage avec un tiers. Ils argumentaient du chapitre, de la novelle 12, par laquelle Justinien en abrogeant les constitutions des empereurs Constantin et Zenon qui ne permettaient pas à ceux qui avaient des enfants légitimes de légitimer par mariage subséquent leurs enfants naturels, en autorisait cependant la légitimation même en cas d'existence d'enfants légitimes, mais seulement pourvu que la dissolution du mariage dont ceux-ci étaient nés fût antérieur au concubinage duquel sont nés les bâtards.

Cette condition restrictive leur paraissait équivaloir au refus de la faveur de la légitimation à l'égard des enfants més d'un concubinage antérieur au mariage contracté avec

(1) Jurisprudence générale de Dalloz aîné, vo Filiation, chap. 3, sect. 1, no 4.

une tierce personne, suivant la maxime: Inclusio unius est exclusio alterius.

Enfin ils se fondaient sur un arrêt du parlement de Bretagne, rendu le 31 octobre 1588, et rapporté par Charondas qui leur paraissait avoir adopté leur sentiment.

L'opinion contraire, qui était la plus généralement admise, soutenait que le véritable fondement de la légitimation des enfants nés ex soluto et solutà n'était pas la rétroactivité fictive du mariage au temps du commerce illicite, mais l'intention qu'ont dû ou pu avoir les parties au temps de leur commerce. La loi présume qu'ils ont toujours eu le dessein de contracter un mariage légal; et quoique quelques circonstances aient empêché momentanément la réalisation du projet, cette présomption d'intention et de vœu pour une union légitime doit suffire pour la légitimation, si le mariage se réalise.

Il existe même dans la novelle 74, au chapitre 2, un texte positif qui indique clairement qu'un mariage intermė– diaire n'exclut pas les enfants naturels de ce mode de légitimation. Omninò enim suis existentibus deindè naturalibus procreatis aut primitivè natis, ne quaquàm legitimorum jus eis adjicitur.

La question s'est présentée dans le siècle dernier, dans une cause importante qui a été agitée devant le parlement de Bretagne; et le célèbre avocat-général la Chalotais, tout en reconnaissant qu'il y a de grands inconvénients dans la légitimation par mariage subséquent, lorsqu'il y a eu un mariage intermédiaire, en faisant même observer qu'une fille prostituée, qui aurait eu des enfants d'un homme non marié, pourrait machiner la mort de la légitime épouse à laquelle celui-ci se serait uni depuis, pour se substituer à sa place et pour légitimer ses enfants naturels, déclare cependant qu'il est de maxime en France que la légitimation par mariage subséquent n'est point empêchée par un mariage intermédiaire; que le droit donne cette force au mariage

subséquent en général, et sans excepter ceux qui ont été précédés d'un mariage intermédiaire ; que c'est l'esprit de la loi de Constantin au Code de naturalibus liberis, de l'authentique de incestis et nefariis nuptiis, du chap. dubium, et du chap. taula qui filii sint legitimi; que tous les commentateurs ont adopté cette opinion, notamment Dumoulin, que les canonistes n'ont pas hésité à embrasser le même avis, van Espen entr'autres qui dit : Neque refert an medium matrimonium intercesserit, uti uno consensu tradunt canonista (1).

Le nouveau droit français, en admettant en général la légitimation par mariage subséquent n'exclut pas de ce bienfait l'enfant naturel dont la naissance a été séparée par un mariage intermédiaire de celui destiné à le légitimer. On doit donc décider aujourd'hui comme on le décidait autrefois que, dans ce cas là aussi, la légitimation peut être admise.

656. Cependant cette doctrine pourrait paraître susceptible de quelques modifications par suite de l'une des dispositions du Code civil, sur la reconnaissance des enfants naturels, combinée avec l'article 331 du même Code.

D'un côté l'article 331 n'autorise la légitimation des enfants naturels par le mariage subséquent de leurs père et mère que lorsque ceux-ci les auront légalement reconnus avant leur mariage, ou qu'ils les reconnaitront dans l'acte même de célébration.

D'un autre côté, l'article 377 déclare que « la reconnaissance, faite pendant le mariage par l'un des époux au profit d'un enfant naturel qu'il aurait eu avant son mariage d'un autre que de son époux, ne pourra nuire ni à celui-ci ni aux enfants nés de ce mariage.

>> Néanmoins, ajoute l'article, elle produira son effet après la dissolution de ce mariage, s'il n'en reste pas d'enfants. »

(1) V. sur cette question, dans l'ancien droit, Pothier, du Mariage, no 421 ; et Merlin, Répertoire, vo Légitimation, section 2, § 2, no 11.

Dans l'hypothèse d'un mariage intermédiaire dont il existerait des enfants, le père pourrait-il légitimer par mariage subséquent son enfant naturel né antérieurement ex soluto et solutâ?

On devrait répondre affirmativement si le mariage intermédiaire avait été précédé de la reconnaissance légale de l'enfant naturel né d'un autre que de l'époux de ce premier mariage. Car cette reconnaissance, étant antérieure au premier mariage, ne serait pas sous l'influence de l'article 337. Elle conserverait donc tous ses effets même à l'égard de l'époux et des enfants nés d'un mariage qui lui serait postérieur; et par conséquent elle pourrait servir de base à la légitimation par mariage subséquent, quelque préjudice que cette légitimation causât aux enfants nés du premier mariage.

Mais si, avant la célébration de ce premier mariage, l'en'fant naturel n'avait pas été reconnu, pourrait-il l'être postérieurement, et par suite obtenir au moyen du mariage subséquent une légitimation qui affaiblirait évidemment les droits des enfants légitimes nés du premier mariage?

Cette question est subordonnée à la validité ou aux effets de la reconnaissance, faite après la dissolution du mariage, d'un enfant naturel né, antérieurement à ce mariage, d'un autre que de l'époux.

Delvincourt, sur l'art. 337, pense qu'une telle reconnaissance ne peut produire aucun effet. Il repousse même en termes assez durs la distinction faite par l'opinion contraire qui se fonde sur ce que l'art. 337, excluant seulement l'enfant reconnu pendant le mariage, ne pouvait être opposé à celui qui invoquait une reconnaissance postérieure à la dissolution du mariage. « Cette distinction, dit Delvincourt, est purement judaïque et entièrement contraire à l'intention du législateur, » Elle a été adoptée par un arrêt de la Cour de Pau, du 5 prairial an 13. Mais si cet arrêt ne viole pas la lettre de l'art. 337, il est bien constant qu'il en viole absolument l'esprit. « Qu'a voulu, en effet, le législateur?

« PreviousContinue »