Page images
PDF
EPUB

Il peut cependant arriver que deux individus différents se déclarent l'un et l'autre, par des actes aussi différents, pères du même enfant naturel, et cela sans même que l'enfant en soit d'abord instruit, puisque la reconnaissance peut se faire hors sa présence.

Alors s'élève une question d'état qui doit être soumise aux tribunaux, et dont le résultat fixe la filiation et par conséquent la paternité. De la décision dépend aussi le sort de la légitimation de l'enfant, qui sera légitimé ou non selon que l'individu qui, aprés la double reconnaissance, aura épousé la mère, en sera ou non déclaré le père.

Les mêmes observations s'appliquent au cas où le même enfant naturel est réclamé par deux mères différentes.

664. L'obstacle à la légitimation n'existerait pas à l'égard d'un enfant qui dans son acte de naissance serait désigné comme fils d'un autre individu. Car l'énonciation faite hors la présence et sans le consentement du père indiqué n'équivaut pas à reconnaissance de sa part. La légitimation par reconnaissance de paternité et mariage subséquent d'un autre individu a été admise dans un tel cas par un arrêt de la Cour de Paris du 2 juin 1809; et, conformément à ces principes, la Cour de cassation, par un arrêt du 8 octohre 1829, a décidé qu'un enfant, qui avait été reconnu par un individu se disant son père et légitimé par le mariage subséquent de ce père avec la mère que lui attribuait son acte de naissance, et qui avait même une possession d'état conforme à cette légitimation, ne pouvait être dépouillé de cet état par cela seul qu'il existerait un acte de naissance qui lui donnerait un autre père, même un père légitime, si ce père n'avait pas assisté à l'acte de naissance et si la preuve de son mariage avec la mère de l'enfant n'était pas rapportée.

En vain dirait-on que l'acte de légitimation se référant à l'acte de naissance, l'enfant qui excipe à la fois de ces deux actes doit réputer vraies toutes les énonciations qu'il

renferme. En un tel cas, c'est au demandeur qui attaque la légitimation et la possession d'état à prouver la vérité des énonciations.

665. Il en serait autrement si la preuve du mariage des père et mère était rapportée par la production de l'acte civil. Dans ce cas qui n'est pas celui de l'arrêt cité, l'acte de naissance de l'enfant, rapproché de l'acte du mariage [des père et mère désignés dans l'acte de naissance feraient attribuer de plein droit la paternité au mari, suivant la maxime: Pater is est quem nuptiæ demonstrant ; et il ne pourrait être permis à un autre individu de reconnaître cet enfant et de le légitimer en épousant la mère devenue veuve du premier époux.

La Cour de Bordeaux a jugé cependant, par arrêt du 19 janvier 1831, que la désignation de la mère par l'acte de naissance équivalait de sa part à une reconnaissance expresse pour la légitimation ultérieure. L'arrêt pourrait être critiqué quoiqu'il s'applique à une mère et que la recherche de maternité, aidée d'un commencement de preuve, soit admise (1).

666. M. Loiseau applique ces raisonnements à un enfant adoptif. Il ne peut, dit-il, être légitimé par le mariage subséquent de son père naturel, parce qu'on ne peut avoir si→ mulatément deux pères (2).

Cette opinion et le motif qu'en donne l'auteur ne sont qu'une erreur échappée sans doute à son inattention.

Personne n'ignore que la filiation adoptive est indépendante de la filiation naturelle du légitimé, et que la première, qui est seulement une fiction, peut concourir avec la seconde qui est la seule réelle.

Toute personne peut adopter l'enfant naturel ou légitime d'un autre, pourvu que les conditions d'âge et de soins exigés

(1) V. cet arrêt et les précédents dans le Journal de Sirey. 12, 2. 357; 30. 1. 4. et 31. 2. 231.

(2) Loiseau, p. 259.

par la loi soient remplies, et que les père et mère de l'enfant âgé de moins de 25 ans, ou le survivant d'eux consentent à l'adoption. (Cod. civ., art. 346.)

Ainsi la reconnaissance d'un enfant naturel ou sa légitimation par le mariage subséquent de ses père et mère ne font point obstacle à l'adoption.

Pourquoi l'adoption serait-elle un obstacle à la légitimation?

667. Une question plus sérieuse peut être proposée. Peut-on légitimer un enfant malgré lui ?

Cette question divisait autrefois les auteurs. Elle les divise encore aujourd'hui.

Autrefois, Albéric, Balde, Paul de Castres, Roger, Fachin soutenaient que l'enfant pouvait repousser la légitimation. Ils se fondaient sur le chapitre 11 de la novelle 87, qui ne permettait pas de placer malgré eux sous la puissance paternelle des enfants qui par leur condition n'y étaient pas soumis, et qui y seraient placés par la légitimation. Nain si solvere jus patriæ potestatis invitis filiis, non permissum est patribus, multò magis sub potestatem redigere invitum filium et nolentem sive per oblationem ad curiam sive per instrumentorum celebrationem, sive per aliam quamlibet machinationem, tanquàm sortem metuentem paternam, justum non est, neque imperii et legislatoris ponimus proprium.

D'autres docteurs pensaient que cette décision ne devait pas être suivie, 1° parce qu'il est de l'intérêt public que les bâtards soient légitimés; qu'on ne peut déroger par aucun pacte ou plutôt par aucune résistance au droit public; que, par conséquent, il n'est pas au pouvoir d'un enfant naturel de renoncer au bénéfice de la légitimation; 2o parce que ce bénéfice ne vient pas de la volonté du père, mais de la loi à l'influence de laquelle l'enfant naturel ne peut se soustraire.

Pothier, qui avait embrassé cet avis, se fondait sur des motifs plus puissants et plus en harmonie avec notre droit

français qui a tiré du droit canonique ses principes sur la légitimation. Or, suivant le droit canonique, la légitimation de l'enfant naturel s'opère par le seul fait du mariage de ses père et mère; ce n'est pas seulement en faveur des enfants, c'est aussi en faveur des père et mère qu'elle est établie ; et ceux-ci ne peuvent être privés par le refus des enfants d'un avantage et d'un droit qu'ils tiennent de la loi.

Merlin combat les motifs de cette dernière opinion, et paraît adopter la décision de la novelle, quoiqu'il ne le déclare pas formellement (1).

Loiseau pense que l'enfant naturel, pouvant contester la reconnaissance de paternité s'il y a intérêt, peut aussi par cette raison contester la légitimation par mariage subséquent (2).

Cette dernière opinion est juste; mais le succès de la contestation dépend des circonstances.

La paternité est un fait que la résistance de l'enfant à la reconnaissance du père ne peut détruire s'il existe réellement; et comme la légitimation par mariage subséquent a pour base la reconnaissance de paternité qui doit précéder ou accompagner la célébration du mariage, il faut rechercher comment peut être combattue et détruite la déclaration de paternité.

L'article 339 du Code, dit que toute « reconnaissance de » la part du père et de la mère, peut être contestée par >> tous ceux qui y auront intérêt. »

Dans la disposition générale de cet article, l'enfant se trouve compris comme toute autre partie intéressée. Il ne peut, d'ailleurs, invoquer aucune disposition spéciale qui l'autorise à repousser par le simple mouvement de sa volonté une filiation que la déclaration du père lui confère.

(1) V. la dissertation de Merlin, sect. 2, § 2, n° 14; v. aussi Pothier, no 423.

(2) Loiseau, p. 288-293.

En effet, aucun article de la loi n'exige pour la validité de la reconnaissance du père, l'acceptation du fils.

La seule condition prescrite, c'est qu'elle soit faite par acte authentique si elle ne l'a pas été par l'acte de naissance. Ainsi, l'enfant naturel a pu être reconnu par son acte de naissance, c'est-à-dire à une époque où il lui était impossible d'exprimer une volonté et d'accepter la reconnaissance ou d'y consentir.

La déclaration de paternité par acte authentique est mise sur la même ligne, et n'est pas soumise à plus de conditions que celle faite par l'acte de naissance. L'acceptation de l'enfant n'y est donc pas nécessaire.

Au reste cette reconnaissance n'est pas un contrat qui ait besoin du concours de toutes les parties intéressées et de leur acceptation.

Cette reconnaissance n'est que la déclaration d'un fait qui existe par lui-même avant d'être déclaré et connu, et qui ne reçoit de l'aveu du père que la publicité qui lui manquait. Comment le consentement de l'enfant naturel pourrait-il être nécessaire à la constatation de ce fait? Ce consentement peut-il modifier ou détruire le fait de la paternité ? Dépendil de l'enfant naturel de se dire né de tel individu plutôt que de tel autre? Comment pourrait-il même accepter ou refuser avec connaissance la filiation qu'on lui déclare? Entre l'enfant et l'individu qui avoue la paternité, celui-ci seul est instruit du fait. Celui-ci seul peut en être juge. C'est donc à lui seul que la loi a dû accorder le droit d'en faire la déclaration; et le fils, auquel la nature même impose l'obligation de ne pas méconnaître son père, ne peut repousser la reconnaissance sans autre motif que sa volonté.

668. Mais si les circonstances indiquaient la fausseté de la déclaration, si elles annonçaient qu'elle a été dictée, non par le cri de la nature, non par la conviction de la paternité, non par le sentiment du devoir, mais par une honteuse spéculation, l'enfant frappé de ces circonstances pourrait

« PreviousContinue »