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font reconnaitre qu'il n'y a ni dans la lettre ni dans l'esprit de la loi rien qui puisse faire restreindre aux biens présents la faculté de disposer entre époux, même par acte entrevifs.

Au reste, ce qui est décisif, c'est que l'art. 947 déclare formellement qu'on ne doit pas appliquer aux donations dont il est mention aux chapitres 8 et 9 du titre des Donations, c'est-à-dire aux donations entre époux, les art. 943 et suivants, qui défendent de comprendre les biens à venir dans les donations entre-vifs ou de faire ces donations sous des conditions potestatives de la part du donateur.

Aussi tous les auteurs s'accordent-ils à dire que les époux peuvent se donner par acte entre-vifs comme par testament leurs biens à venir, et qu'une donation entre-vifs des biens futurs ne peut être annulée sous prétexte qu'elle n'a pas été faite dans la forme des dispositions testamentaires, pourvu que celle des donations entre-vifs ait été employée. C'est même ce qu'a jugé en thèse la Cour de cassation, par un arrêt du 5 décembre 1816, dans une espèce où par un acte entrevifs qui avait même reçu la qualification et qui portait les caractères d'une donation à cause de mort, un époux avait donné à son conjoint ses biens à venir sans employer les formes des dispositions testamentaires (1).

Déjà et par arrêt du 22 juillet 1807, la Cour de cassation avait professé cette doctrine en cassant sur un pourvoi d'office un arrêt de la Cour de Rennes qui avait annulé une donation faite dans un acte entre-vifs par un mari à sa femme du quart des biens qu'il laisserait à son décès.

Ces arrêts ont considéré « que les donations qui ont lieu entre époux pendant le mariage forment une classe intermédiaire qui participe tout à la fois de la nature des donations entre-vifs et de celle des donations testamentaires; que

(1) V. sur la question, Grenier, no 457; Delvincourt, t. fer, Duranfon, t. 9, no 770; et l'arrêt cité dans le Journal de Denevers, vol. de 1817. 1. 368.

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lors même qu'elles sont revêtues de la forme des donations entre-vifs, elles peuvent être considérées comme renfermant des donations testamentaires et qu'elles valent comme telles. » (Motifs de l'arrêt de 1816.)

Un autre arrêt de la même Cour, du 16 juillet 1817, a aussi décidé, en rejetant un pourvoi, que le dessaisissement irrévocable exigé par l'art. 894 comme caractère essentiel de la donation entre-vifs recevait exception à l'égard des donations faites entre époux pendant le mariage (1).

On doit conclure de cette doctrine que des donations peuvent être faites entre époux sous des conditions dont l'exécution dépendrait de la seule volonté du donateur. Cette faculté est même une conséquence nécessaire du droit de révocation que conservent les donateurs.

1036. En traitant de la faculté qu'ont les époux de s'avantager pendant le mariage, nous avons supposé qu'ils étaient majeurs et qu'ils jouissaient de la plénitude de leurs droits civils. Il en serait autrement s'ils étaient mineurs, interdits ou pourvus d'un conseil judiciaire. Dans ce cas leur capacité serait réglée par les principes relatifs à leur état. (V. le titre 11 du livre 1er du C. civ., et les art. 903 et 904 du titre 2 du liv. 3.)

Si l'époux mineur est âgé de moins de seize ans, il ne pourra, pendant le mariage, faire aucune disposition en faveur de son conjoint. Il n'aurait cette capacité que par le contrat même du mariage, comme nous le verrons dans la suite. (C. civ., art. 903.)

Si l'époux mineur est âgé de plus de seize ans, il ne pourra disposer en faveur de l'autre époux que jusqu'à concurrence seulement de la moitié des biens dont la loi lui aurait permis la disposition s'il était majeur. (V. l'art. 904 du C. ) Encore la disposition ne sera-t-elle valable qu'autant qu'elle sera faite par testament.

(1) V. l'arrêt dans le Journal de Sirey, 18. 1. 379.

Toutes ces vérités fondées sur la combinaison des divers principes qui règlent la capacité des personnes ne peuvent être sérieusement contestées; aussi sont-elles reconnues par les auteurs et ont-elles été consacrées par les arrêts qui ont eu à s'en occuper.

Ainsi un arrêt de la Cour de Paris, du 11 décembre 1812, et un arrêt de la Cour de Limoges, du 15 janvier 1822, ont décidé qu'un époux mineur, mais âgé de plus de 16 ans, n'avait pu disposer par testament en faveur de l'autre époux que de la moitié disponible fixée par l'art. 1094 du Code.

Un arrêt de la Cour de Paris, du 11 décembre 1820, a aussi jugé qu'un mineur n'avait pu faire de disposition au profit de son conjoint autrement qu'en la forme du testament.

L'arrêt annule, en conséquence, une donation des biens que l'époux donateur laisserait à son décès, parce qu'elle était faite par acte entre-vifs (1).

Cette dernière décision a paru rigoureuse comme s'appliquant à des biens à venir. On a fait observer que le don par acte entre-vifs de cette sorte de biens ne nuisait pas davantage au mineur qu'un legs; qu'un testament qui pouvait être olographe n'offrait pas plus de garantie qu'une donation contre la séduction ou la violence; que la nécessité de la forme testamentaire devrait donc être restreinte aux dispositions des biens présents, le mineur n'ayant pas la faculté de se dessaisir de ses biens à titre gratuit même par un acte révocable.

Cette distinction entre les biens présents et les biens à venir pour la forme de la disposition ne repose que sur des considérations. Or, lorsque la loi est claire et formelle, les considérations sont sans force. La prohibition faite à tout mineur de disposer autrement qu'en la forme testamentaire est textuellement écrite dans l'art. 904. S'il ne s'y soumet

(1) Voir ces arrêts dans le Journal de Sirey, t. 13. 2. 52; t. 22. 2. 196; et t. 24. 2. 351; les voir aussi dans le Journal de Denevers et de son continualeur, l. 21. 2. 1; et t. 22. 2. 156; voir aussi sur les différentes questions, Toullier, t. 5, no 295; Grenier, no 461; Dalloz aîné, Dict. de jurisp., t. 8, p. 264, nos 1, 2, 3; Duranton, t. 8, no 187.

Art. 1098,

pas il n'a pas de capacité. Comment pourrait-on confirmer une disposition faite dans une autre forme, c'est-à-dire faite par un incapable?

Au reste, les considérations proposées ne sont pas exactes. Un testament même olographe est l'œuvre isolée du mineur. Fait hors la présence de l'autre conjoint, il prête moins au soupçon; et si la séduction parvient à l'obtenir, la réflexion peut le faire détruire sans qu'il soit besoin de recourir à un officier public pour faire consigner une révocation dans un acte authentique dans lequel il serait nécessaire d'énoncer la donation révoquée et qui pourrait parvenir à la connaissance de l'époux donataire et être une cause de discordes.

Enfin, il est toujours plus convenable et plus sage de s'en tenir à la règle que de s'en écarter.

1037. La quotité dont les époux majeurs peuvent disposer est fixée par les art. 1094 et 1098.

L'art. 1094 s'applique au cas du premier mariage de l'époux donateur. Nous en avons déjà transcrit le texte, el nous y avons vu qu'il autorisait un époux qui n'avait pas d'enfants ou descendants à donner à l'autre époux en propriété toute la quotité disponible en faveur d'un étranger, et en outre l'usufruit de la totalité de la portion réservée par la loi à une certaine classe d'héritiers, c'est-à-dire aux ascendants (V. l'art. 918).

L'art. 1098 s'applique à celui d'un second ou subséquent mariage et de l'existence d'enfants d'un autre lit. En voici les termes :

« L'homme ou la femme qui, ayant des enfants d'un autre lit, contractera un second ou subséquent mariage, ne pourra donner à son nouvel époux qu'une part d'enfant légitime le moins prenant, et sans que dans aucun cas ces donations puissent excéder le quart des biens (1). »

(1) Le Code Sarde interdit aux époux de se faire aucune donation pendant le mariage (art. 1186);

Le Code des Deux-Siciles permet aux époux de se faire l'un à l'autre

Plusieurs questions sont surgies de ces deux articles et ils ont même excité quelques critiques.

On a remarqué sur l'art. 1094 que grever d'usufruit, en faveur du conjoint, la réserve attribuée à l'ascendant par l'art. 915, c'était, en quelque sorte, priver celui-ci de la réserve, puisqu'il a, de moins que le conjoint, l'âge d'une génération, et qu'il est peu probable qu'il jouisse de cette ré

serve.

La remarque est juste. Elle n'a pas échappé aux législateurs; mais la faveur du mariage a dicté la disposition. Voici comment s'exprime Jaubert dans son rapport fait au Tribunat:

<< Paraîtrait-il trop rigoureux de priver les ascendants de >> l'usufruit de la réserve? C'est, en quelque sorte, ne lais» ser la réserve que pour leurs héritiers.

» Mais c'est la faveur du mariage. Pourquoi la mort de

des donations pendant le mariage; mais il les déclare révocables et dit, comme le Code Napoléon, que la femme pourra les révoquer sans être autorisée ni par son mari ħi par la justice (Code des Deux-Siciles, article 1050);

Il interdit, d'ailleurs, les donations mutuelles par le même acle (même Code, art. 1051 );

L'art. 1052 ne permet pas à l'époux qui a des enfants d'un autre lit de donner à l'autre époux plus d'une portion d'enfant le moins prenant;

D'après l'art. 829 de ce Code, la quotité disponible, lorsqu'on a des enfants, quel qu'en soit le nombre, n'est que de la moitié des biens, et d'après l'art. 831 si le défunt laisse des ascendants, il ne pourra disposer que de la moitié de ce qui reviendrait à ceux-ci dans sa succession ab intestat.

Dans le royaume de Sardaigne, les époux ne peuvent se donner même par contrat de mariage que ce qu'ils pourraient donner à un étranger, savoir les 213 de leurs biens s'ils laissent un ou deux fils legitimes ou légitimės, et la moitie s'ils en laissent un plus grand nombre.

A défaut d'enfants, mais ayant des ascendants, ils ne peuvent disposer que des deux tiers de leurs biens (art. 722);

Le Code de la Louisiane dans les art. 1736, 1737, 1738, 1739, a les mèmes dispositions que les articles 1091, 1092, 1093 et 1094 du Code Napoléon,

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