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» l'un des époux changerait-elle la position de l'autre, sur>> tout pour des droits qui ne sont ouverts que par l'inter» version de la nature (1)? »

Deux questions graves ont été soulevées sur l'art. 1094 combiné avec les art. 913 et 915 du Code civil:

L'art. 913 fixe à un quart seulement en pleine propriété la quotité disponible lorsque l'auteur de la disposition laisse trois enfants ou un plus grand nombre.

L'art. 915 établit, lorsqu'il n'y a pas de descendants mais qu'il y a des ascendants, une réserve légale d'un quart des biens aussi en pleine propriété pour les ascendants de chaque ligne.

Ces deux quotités disponibles, établies en règle générale, sont moins fortes que celle autorisée dans les deux cas en faveur du conjoint, puisque l'art. 1094, second paragraphe, permet s'il y a des enfants, de donner au conjoint outre le quart en propriété, disponible en général, un autre quart en usufruit, et que le premier paragraphe de ce même article, si l'époux ne laisse que des ascendants, lui accorde la faculté de laisser à l'autre époux, non-seulement la quotité qui aurait pu être donnée à un étranger, mais en outre l'usufruit de la réserve des ascendants.

Les deux quotités disponibles dans chaque cas peuventelles concourir et être divisées de manière à ne considérer que la plus forte et à en attribuer une partie à un tiers et une autre partie à l'époux survivant?

1038. Examinons d'abord la question à l'égard des ascendants?

Un époux qui n'a pas d'enfants, mais qui a un ascendant, peut-il, soit par des actes différents, soit par le même acte, donner à des tiers la valeur disponible ordinaire et à son conjoint l'usufruit de la réserve des ascendants?

M. Duranton fait une distinction.

(1) Lėgislation civile de Locré, commentaire 15, no 88.

Il reconnaît que si un époux a déjà donné à des tiers, par des actes irrévocables, la quotité disponible autorisée par l'art. 915, c'est-à-dire la moitié ou les trois quarts de ses biens, selon qu'il y a des ascendants dans les deux lignes paternelle et maternelle, ou qu'il n'y en a que dans une ligne, il peut ultérieurement donner à son conjoint l'usufruit de la réserve des ascendants.

Mais lorsque le don fait à l'époux de l'usufruit de la réserve des ascendants, et celui de la quotité disponible ordinaire fait à des tiers sont portés par le même acte, ou que cette dernière disposition est contenue dans un acte postérieur à la première, M. Duranton pense que dans ces deux cas la donation faite aux tiers doit être réduite. « Nous ne pouvons, » dit-il, nous persuader que l'intention de la loi ait été le >> moins du monde de faire profiter des étrangers de la fa»culté accordée à l'époux d'étendre son disponible au pré» judice de la réserve des ascendants si fortement réduite. »

Cette distinction paraît plus subtile qu'exacte. Si l'étranger peut être appelé à profiter de la quotité disponible tout entière lorsqu'il est le premier donateur, on ne voit pas de raison pour qu'il en soit autrement lorsque le don en propriété qui lui est fait est simultané ou même postérieur au don en usufruit fait à l'époux de la réserve des ascendants. Dans l'un et dans l'autre cas les ascendants sont également privés de l'usufruit de cette réserve.

C'est la faveur du mariage qui a déterminé le législateur à priver les ascendants de l'usufruit de la réserve pour en gratifier l'époux survivant. Mais rien n'indique que, par cette extension, dans l'intérêt des époux, de la quotité disponible ordinaire, la loi ait voulu changer cette quotité à l'égard des tiers. Elle a seulement voulu préférer les époux aux ascendants quant à la jouissance de la part privilégiée de ceux-ci lorsque cette part privilégiée a été donnée en simple jouissance à l'époux. Que les autres libéralités faites par le conjoint donateur soient antérieures ou postérieures, la quotité

disponible restant la même, les ascendants n'ont aucun droit d'en demander la réduction puisqu'ils n'ont été privés de l'usufruit qu'au profit de l'époux que la loi leur a préféré.

Ces observations que nous avons empruntées à un arrêtiste nous paraissent justes; elles ont triomphé deux fois devant la Cour de cassation, d'abord par un arrêt du 3 janvier 1826, ensuite par un arrêt du 18 novembre 1840.

Dans les deux espèces c'était par le même acte, par un testament, que dans une première disposition un époux avait donné à son épouse la jouissance de son entière hérédité, et que par une seconde disposition il avait institué une nièce son héritière universelle pour jouir de l'hérédité après le décès de son épouse.

La mère du testateur lui avait survécu ; en sorte que l'institution universelle ne valait que pour les trois quarts en nue-propriété.

Mais les représentants de la mère prétendirent que cette institution devait éprouver une réduction plus forte et équivalente aux jouissances du quart réservé à la mère par l'article 915 du Code.

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A l'appui de cette prétention ils argumentaient de la lettre de l'article 1094 qui porte que « l'époux qui ne laisse point d'enfants ou descendants peut disposer en faveur de >> l'autre époux, en propriété, de tout ce dont il pourrait disposer en faveur d'un étranger, et en outre de l'usufruit » de la portion dont la loi prohibe la disposition au préjudice >> des héritiers. >>

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« Ces mots en outre, disaient-ils, indiquent clairement que ce n'est qu'après avoir épuisé en faveur de la femme toute la portion disponible, que l'époux peut lui faire cet avantage exorbitant. S'il ne lui donne pas la totalité de la portion disponible, il ne peut pas lui faire la libéralité outre mesure autorisée par l'article 1094. Une interprétation contraire aurait pour effet de donner à la femme l'usufruit de la portion réservée, quand on donnerait à un tiers la pro

priété et l'usufruit de la portion disponible; ce qui serait évidemment contraire à l'esprit de la loi qui n'a d'autre objet que d'élever les avantages entre époux à une quotité plus forte que ceux qu'ils peuvent faire à des tiers. »

Dans l'espèce, léguer à sa nièce les trois quarts en propriété qui formaient la quotité disponible, et léguer de plus à sa femme l'usufruit du quart réservé, c'était en réalité gratifier le tiers plutôt que la femme.

Ce système était plus ingénieux que solide. La Cour de cassation l'a repoussé par des motifs qui sont remaquables :

« Attendu que, suivant l'article 915 du Code civil, les libéralités par acte entre-vifs ou par testament ne peuvent excéder les trois quarts des biens, lorsque le défunt, à défaut de descendants, ne laisse d'ascendants que dans une seule ligne, et qu'aux termes de l'article 1094, l'époux peut soit par contrat de mariage soit pendant le mariage, pour le cas où il ne laisse point d'enfants ni de descendants, disposer en faveur de l'autre époux de tout ce dont il pourrait disposer en faveur d'un étranger, et en outre de l'usufruit de la totalité de la portion dont la loi prohibe la disposition au préjudice des héritiers;

>> Que la disposition de l'article 915, qui fait partie du chapitre 3, titre 2, lequel a pour objet de fixer les règles générales sur la quotité disponible, détermine la portion dont il est permis de disposer en faveur de quelque personne que ce soit ;

» Et que l'article 1094 qui fait partie du chapitre 9, concernant les dipositions entre époux a pour objet d'étendre la quotité disponible déterminée par l'article 915, lorqu'il s'agit de fixer l'étendue des dispositions permises entre époux ;

>> Que de la combinaison de ces dispositions et des termes dans lesquels est conçu l'article 1094, il résulte que l'époux, qui décède sans enfants mais laissant un ou plusieurs ascendants dans une ligne, peut disposer en faveur de l'autre époux non-seulement de ce dont il pourrait disposer en fa

veur d'un étranger, mais encore de l'usufruit de la portion réservée aux ascendants;

>> Que cette extension de la faculté de disposer, donnée à un époux en faveur de l'autre époux, qui a pour objet de resserrer les liens de l'union conjugale, est toute personnelle à l'époux, et qu'aucun étranger ne peut en profiter;

» Attendu, toutefois, qu'on ne pourrait induire de là que l'époux qui dispose en faveur d'un étranger, de la quotité disponible déterminée par l'article 915, et de l'usufruit de la portion réservée aux ascendants en faveur de l'autre époux, fait profiter l'étranger de l'extension portée en faveur de l'époux par l'article 1094, puisque l'étranger ne recueille que le disponible de l'article 915;

>> Attendu qu'il ne résulte pas des termes dans lesquels est conçu l'article 1094, que l'époux ne puisse disposer en faveur de l'autre époux de l'usufruit de la portion réservée aux ascendants, qu'autant qu'il dispose en même temps en sa faveur de la quotité disponible réglée par l'art. 915;

>> Qu'il importe peu à l'ascendant que le défunt ait disposé en faveur de l'autre époux tant de la quotité disponible que de l'usufruit de la réserve, ou qu'il ait disposé en faveur d'étrangers de la quotité disponible, et en faveur de l'autre époux de l'usufruit de la réserve, puisque ces dispositions produisent à son égard les mêmes effets, et que soit par l'une soit par l'autre disposition, il se trouve privé de l'usufruit de la portion qui lui est réservée ;

>> Attendu que si l'intention du législateur eût été que la disposition, en faveur de l'époux, de l'usufruit de la portion réservée au profit des ascendants, ne pût recevoir d'exécution qu'autant que le défunt aurait disposé en faveur de son conjoint de la portion disponible de l'article 915, il n'aurait pas manqué de l'exprimer, et que, ne l'ayant pas fait, ce serait apporter à l'exécution de l'art. 1094 une restriction qui n'est point admise par cet article, ce qui n'est point au pouvoir des tribunaux. »

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