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théorie, que l'on est obligé de restreindre à un seul cas ou plutôt à une absence de prévision ou d'explication de la part du donateur, et à laquelle on doit renoncer lorque l'auteur des deux dispositions a disposé d'abord en faveur de l'un de ses enfants de la quotité disponible fixée par l'art. 913, pour donner ensuite à son époux le supplément de quotité disponible autorisé par l'art. 1094!

Mais peut-on présumer que l'intention du législateur ait été de faire dépendre d'une priorité de date l'exécution des règles qu'il posait, et l'exercice d'une faculté qu'il accordait?

Admettre une telle supposition ou plutôt créer une telle théorie, n'est-ce pas se jeter dans des subtilités de forme, dans ces arguties si souvent reprochées au droit romain, et qui sont indignes de la sagesse du législateur comme de la majesté de la loi ?

Les règles posées par le législateur ne doivent pas dépendre de l'ordre dans lequel elles sont exécutées ; les droits que ce législateur confère sont invariables, et ne peuvent, par conséquent, exister ou s'effacer suivant la date des actes par lesquels on les exerce. En décider autrement, lorsque la loi elle-même ne le déclare pas formellement, lorsqu'elle ne prévient pas, par un texte positif, que les facultés qu'elle attribue sont subordonnées pour leur exercice et leur existence à tel ordre, tel rang de dispositions, c'est ajouter à la loi, c'est créer des déchéances, c'est exposer les pères de famille à être victimes de leur confiance dans la loi et les rendre le jouet d'une interprétation sans base réelle, purement systématique et que l'on pourrait accuser de caprice autant que de rigueur.

Et ne le dissimulons pas, ce système et les arrêts qui l'ont admis ont jeté dans un grand nombre de familles la perturbation et le regret. Car il est peu de contrats de mariage où les époux ne se soient faits des dons mutuels, sans que le silence de la loi leur permît de prévoir qu'ils se privaient ainsi du droit et de la douceur de répandre quelques libéra

lités pour secourir le malheur ou récompenser les affections

et la bonne conduite.

Car si le danger du système eût pu être prévu, n'eût-il pas été facile de le prévenir même en disposant par contrat de mariage de l'usufruit de la moitié de ses biens en faveur du conjoint? Il eût suffi de se réserver le pouvoir de disposer, dans la suite, d'un quart en nue-propriété en faveur de l'un des enfants ou même d'un étranger, et d'ajouter que la disposition d'usufruit ne vaudrait que sous la condition de l'exécution d'un don ultérieur qui lui serait préféré en cas de difficulté.

Cette réserve formelle pourrait-elle être blessée? Non sans doute, elle devrait être respectée comme n'ayant rien de contraire aux lois ni aux bonnes mœurs.

Et cependant elle paralyserait l'application du vain système que nous combattons; et pour l'intérêt de l'époux donataire qui invoquerait l'extension de quotité faite en sa faveur par l'art. 1094, on serait alors dans la nécessité légale d'ordonner l'exécution simultanée des deux dispositions.

Or, ne doit-on pas s'attendre à voir introduire de semblables clauses dans tous les contrats de mariage si le singulier système se soutient?

Quelle est donc la vérité d'une théorie qui peut être si facilement renversée par la simple prévision du donateur, dont ne seraient victimes que les personnes inattentives ou ignorantes, et qui n'emprunte sa force que de subtiles argumentalions et de considérations plus ou moins hasardées?

Mais doit-il être nécessaire de recourir au moyen que nous venons d'indiquer? Les différentes règles du Code civil, considérées dans leurs détails comme dans l'ensemble, ne suffisent-elles pas pour autoriser à dire que, sous la législation nouvelle comme sous le droit intermédiaire, une double faculté, fondée sur des affections distinctes, est accordée à l'époux, l'une en faveur de son conjoint, l'autre en faveur de ses enfants ou même d'un étranger qui s'en sera rendu di31

TOME 11.

gne; que le droit de se montrer libéral envers son conjoint n'efface pas celui de donner à un enfant des témoignages particulier d'affection, à un étranger des signes de gratitude; que ces deux droits peuvent concourir; que l'exercice de l'un ne doit pas nuire à l'exercice de l'autre, lorsqu'il n'y a pas abus et lorsque le don fait à l'époux, n'épuisant pas tout ce dont il était permis de le gratifier, une autre libéralité peut encore être faite aux dépens de ce qui reste de la plus forte des deux quotités disponibles?

N'est-on pas enfin autorisé à soutenir avec la Cour de cassation elle-même, comme elle l'a déclaré dans l'arrêt rendu contre un ascendant, que, la loi n'interdisant pas la distribution des deux quotités disponibles des articles 913 et 1094, la jurisprudence ne peut elle-même l'interdire sans erreur et sans usurpation de pouvoir?

0401. Néanmoins, comme nous l'avons déjà dit, la question est très-controversée.

Si l'on consulte les auteurs, les plus nombreux, les plus accrédités sont favorables au concours des deux quotités. Telle est l'opinion de Toullier dans son Droit civil, t. 5, nos 871 et 871 bis ; de Delvincourt, t. 1er, p. 731, note 4, des auteurs du Dictionnaire du Notariat, 3° édit. au mot Portion disponible; de Proudhon même qui cependant s'exprime en termes un peu équivoques, Traité d'usufruit, t. 1er, no 357, 358, 359, 360; de M. Vazeilles, Commentaire des Successions et des Donations, t. 3, p. 328; de M. Grenier, surtout dans son Traité des donations, 2e édit., t. 2, p. 303 et 304. L'avis de ce dernier auteur est d'autant plus remarquable que d'abord il avait adopté le système restrictif et que des réflexions plus sérieuses l'ont déterminé pour celui du concours.

Duranton, au contraire, est pour le système que nous repoussons.

Chaque système peut s'appuyer de nombreux arrêts.

Le plus grand nombre, on doit le reconnaître, est pour

le système restrictif que la Cour de cassation a jusqu'à présent soutenu et qu'a fortifié un dernier arrêt de cette Cour, du 24 juillet 1839, qui casse un arrêt contraire de la Cour de Lyon.

L'autre système peut invoquer un arrêt de la Cour de Toulouse, du 20 juin 1809; un arrêt de celle de Turin, du 15 avril 1810; un arrêt de celle d'Agen, du 27 août 1819; un arrêt de la Cour de Limoges, du 24 août 1822; deux arrêts de la Cour de Riom, l'un du 22 mars 1823, l'autre du 2 avril 1841.

Lors de ce dernier arrêt, rendu sur la plaidoirie de l'auteur de ce traité la lutte fut vive. Il fallait combattre trois arrêts de la Cour de cassation. Celle de Riom, dans sa noble indépendance, ne se laissa pas entraîner par une jurisprudence qui choquait sa conviction (1). Non exemplis sed legibus judicandum.

Le système restrictif, s'il triomphait, pourrait donner lieu à une question secondaire. Que devrait-on décider si l'époux, donataire de l'usufruit de moitié par la première disposition renonçait à cet usufruit pour ne pas priver son enfant du quart en préciput qui lui aurait été donné dans un acte postérieur?

Cette renonciation, en faisant cesser la nécessité de la réduction, ferait aussi cesser dans les autres enfants le droit de la demander, et le don du quart devrait recevoir son exécution. Car pour qu'il y ait lieu à réduction des dispositions il faut que la réserve légale soit atteinte. Lorsque la réserve est conservée la réduction ne peut être demandée. (C. civ.,

(1) V. le dernier arrêt de la Cour de Riom dans la Presse judiciaire ou le Journal des audiences de cette Cour, no 129, et dans le Journal de Sirey, t. 41. 2. 328. — Voir dans ce dernier Journal des arrêts contraires de la Cour de cassation du 7 janvier 1824, t. 24. 1. du 21 mars 1837, t. 37. 1. 272, du 24 juillet 1839, t. 39. 1. 633; un dernier arrêt de la Cour de Riom, du 23 mai 1846, 1re chambre, s'est conformé à la jurisprudence de la Cour de cassation. D'autres Cours, el notamment celle de Toulouse persistent dans leur jurisprudence contraire.

art. 921 et 922.) Dans ce cas, les héritiers à réserve n'ont pas à examiner quel est le rang des dispositions. Ce rang et la préférence qui en résulte aux termes de l'art. 924, ne peuvent concerner que les donataires entre eux ; et si dans leur exécution les dispositions n'excèdent pas la quotité disponible et laissent la réserve intacte, les héritiers n'ont pas à se plaindre.

Mais pour éviter des difficultés futures entre les enfants, et même des droits que pourrait exiger le fisc, il faudrait que la renonciation de la mère fût faite par une déclaration au greffe, dans la forme ordinaire des renonciations aux successions. Faite en une autre forme et dirigée en faveur de l'enfant donataire, elle aurait à l'égard de celui-ci le caractère d'une libéralité dont la valeur s'imputerait un jour sur la quotité disponible de la part de la mère, et qui autoriserait les préposés du fisc à exiger, dès à présent, le droit de mutation dont est passible toute donation.

Un arrêt de la Cour de Riom, rendu le 26 mars 1816 dans la famille Couvreuil a refusé d'admettre un arrangement de ce genre fait entre une mère el un fils, et qui avait pour but de conserver au fils un don en préciput qui lui avait été fait par le père, la mère consentant à renoncer à son usufruit,

Mais la décision fut déterminée par les circonstances. La mère avait d'abord accepté l'usufruit; elle en était saisie et le droit à la réduction du don fait au fils était acquis aux autres enfants. Ils refusèrent de se prêter à cet arrangement qui était offert dans une instance en partage. La justice ne pouvait les y contraindre.

Dans les cas ordinaires la renonciation de la mère usufruitière doit être admise, et le don fait au survivant des futurs époux devenant ainsi caduc, celui fait par un acte postérieur au profit d'un enfant ou d'un étranger doit sortir son plein effet. C'est ce qu'a décidé la Cour de cassation, par arrêt du 20 décembre 1843, que rapporte le journal de Sirey, t. 44. 1. 214, et celui de Dalloz jeune, volume de 1844. 1. 115.

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