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Ce que nous venons de dire sur la réduction des donations faites à un second époux dans le cas de l'article 1098, s'applique par les mêmes motifs à celles faites à un premier époux dans celui de l'article 1094.

Au reste, dans ce dernier cas, personne ne conteste qu'il y ait nécessité de se porter héritier pour avoir le droit de demander la réduction.

1046. Une question a été agitée sur la combinaison des articles 917 et 1094 du Code.

Suivant l'article 917, lorsque « la disposition par acte Art. 917. >> entre-vifs ou testamentaire est d'un usufruit ou d'une >> rente viagère dont la valeur excède la quotité dis» ponible, les héritiers au profit desquels la loi fait une >> réserve, auront l'option ou d'exécuter cette disposition, » ou de faire l'abandon de la propriété de la quotité dispo»> nible. >>>

Or, nous avons vu que l'article 1094 autorise à donner ou un quart en propriété et un autre quart en usufruit, ou la moitié en usufruit seulement.

Le don de la totalité de l'usufruit doit-il être réduit à l'usufruit de moitié ; ou est-il attributif d'un quart en propriété et d'un autre quart en usufruit si la réduction est demandée?

La cour d'Amiens a jugé une question semblable, par arrêt du 15 février 1822; elle a décidé que le don d'usufruit de tous les biens fait à un second époux par une personne qui avait des enfants d'un autre lit devait se réduire non à la propriété mais au simple usufruit d'une portion d'enfant (1).

Dalloz alnė, t. 6, chap. 12, sect. 4. art. 2, n° 26; Vazeilles sur l'article 1098, nos 13 et 14.

(1) Les Cours d'Angers et de Bourges ont jugé dans le même sens, les 8 juillet 1840, et 28 janvier 1843. (Sirey, 40, 2. 391, et 43. 2. 194.) Ces décisions paraissent contraires à la loi. Voir cependant contre notre opinion Proudhon, Traité de l'usufruit, t. 1, no 345,

Il n'y aurait pas, au reste, de difficulté sur l'attribution de la plus forte quotité si la donation comprenait l'universalité des biens en toute

Ses motifs ont été que le donateur avait bien voulu grever ses enfants d'un usufruit, mais sans les priver d'aucune portion de propriété.

Mais un tel motif pourrait être invoqué toutes les fois que la quotité de l'usufruit donné excéderait la quotité disponible en propriété, et l'on paralyserait ainsi la règle écrite dans l'article 917.

Ce motif n'est pas même exact; car le donateur est présumé avoir connu la loi. Il n'est pas légalement permis de supposer qu'il l'a ignorée. Il a donc su ou dû savoir, en donnant une quotité d'usufruit plus grande que la quotité dont il aurait pu disposer en propriété, il a su ou dù savoir qu'il exposait son héritier à être obligé ou d'exécuter le don tel qu'il était, ou de délaisser la quotité disponible. Il est, par conséquent, présumé avoir voulu soumettre son héritier à cette condition. Le contraire ne peut se supposer.

Mais on a prétendu que l'article 917 ne se référait qu'aux dons permis par les articles 913 et 915, et qu'il était étranger aux dispositions entre époux qui sont l'objet d'un chapitre particulier.

Un tel argument est contraire aux principes les plus élémentaires du droit. Il a toujours été de principe que, pour juger sainement une difficuté, il fallait porter son attention sur les détails comme sur l'ensemble de la loi, en comparer les diverses parties, les combiner entr'elles, les expliquer les unes par les autres. Car toutes leurs dispositions sont corrélatives; Incivile est nisi totâ lege perspectâ judicare.

En considérer les différentes dispositions isolément c'est s'exposer à de graves erreurs.

Cela est vrai pour le corps entier du droit civil réuni sous le titre de Code. Cela doit être vrai, surtout pour tous les articles qui dans ce Code sont placés dans le même titre et destinés à une matière particulière, par exemple pour le

propriété, Toullier, t. 5, no 867; Duranton, t. 9, n° 790; Vazeilles, des Donations, sur l'art. 1094; Grenier, t. 2, no 450.

titre 2, du livre 3, où sont tracées toutes les règles relatives aux dispositions à titre gratuit. Dans les divers chapitres de ce titre on remarque des règles générales et des règles spéciales. Le chapitre 3, notamment, contient plusieurs règles générales qu'il eût été superflu, ridicule même de répéter dans les chapitres suivants, et qui doivent cependant s'y appliquer et servir de complément aux règles spéciales contenues dans ces chapitres.

Concluons de là que l'époux donataire de l'usufruit de la totalité des biens, a le droit d'exiger ou cet usufruit dans toute son étendue, ou l'abandon de la plus forte des quotités disponibles même en propriété, fixées soit par l'article 1094 soit par l'article 1098, selon les cas (1).

Il en serait autrement si une intention contraire du donateur résultait clairement de l'acte, la volonté de celui-ci devant surtout servir de règle.

1047. Il est une autre question d'interprétation qui a exercé l'argumentation des anciens et des nouveaux auteurs.

Si un époux, ayant des enfants au moment de son convol et à celui où il gratifie son second conjoint, mais n'en ayant plus au moment de son décès, avait disposé en termes vagues et s'était borné à dire qu'il donnait une part d'enfant, quelle portion devrait-on attribuer au donataire ?

Dans l'ancien droit on lui attribuait la moitié des biens, en invoquant une maxime puisée dans la loi 164, ff. de verb. signif., suivant laquelle le legs d'une portion indéterminée doit valoir la moitié de la chose. Si non fuerit portio adjecta, dimidia pars debetur.

Le Brun pensait qu'on ne devait rien accorder aux parents collatéraux du donateur, et que le donataire devait tout recueillir d'après l'intention présumée de l'auteur de la disposition.

Mais tous les autres auteurs avaient considéré qu'on ne (1) Opinion conforme de M. Vazeilles sur l'art. 1098, t. 3, p. 359, n. 18, et de Coulon, Questions de Droit, t. 2, p. 554, dialogue 91. TOME II.

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pouvait, dans aucun cas, étendre à l'universalité des biens, le don qui, dans l'acte avait été limité à une portion d'enfant, et ils accordaient la moitié comme étant la plus forte portion possible puisqu'elle était calculée sur l'existence d'un seul enfant (1).

La plupart des auteurs modernes ont été aussi d'avis que le don d'une part d'enfant ne pouvait dans aucun cas s'étendre à l'universalité des biens.

Mais considérant que la plus forte quotité accordée au second époux par l'article 1098, était limitée au quart, ils ont décidé que le don d'une part d'enfant ne pouvait s'élever au-dessus de ce taux.

M. Vazeilles est d'une opinion opposée; il veut que l'époux donataire recueille toute la succession, parce que, dit-il, assimilé par le don à un enfant, il est juste qu'il obtienne tout ce qu'un enfant aurait obtenu lui-même, et que dans ce cas ce n'est plus l'article 1098 du Code qui doit régir la disposition, mais les articles 913 et 915.

L'opinion de M. Vazeilles peut être équitable. Mais elle ne repose que sur des considérations, et elle a le tort d'être en opposition directe avec les termes de la donation.

Il est, en effet, impossible de transformer le don d'une part d'enfant en une donation de l'universalité des biens. Le sens grammatical ne s'y prête pas, le sens légal ne le permet pas davantage.

On peut, il est vrai, présumer que l'auteur de la disposition aurait tout donné à son second époux s'il eût prévu qu'il ne laisserait pas d'enfant.

Mais outre que cette présomption est incertaine, c'est que, quelque vraie même qu'on la suppose elle n'autorise pas à substituer à une disposition claire mais restreinte qui existe,

(1) Le Brun, liv. 2, chap. 6, Dist. 5, no 12; Ricard, partie 3, n. 1281; Pothier, Contrat de mariage, t. 2, no 508 et des donat, art. 75: Lacombe (Noces secondes), partie 1, n. 6.

une autre disposition qui aurait pu être faite, s'il y avait eu prévision, mais qui réellement n'existe pas.

Faire une telle substitution ce n'est pas interpréter un don, c'est le créer, c'est mettre sa volonté à la place de celle du donateur, c'est disposer de la chose d'autrui.

L'opinion des autres auteurs est fort rationnelle, nonseulement en refusant de donner tout à celui auquel il n'a été donné qu'une portion d'enfant, mais encore en limitant cette portion au quart. Les termes de l'article 1098 et la volonté exprimée par le donateur ne permettent pas d'accorder une portion plus forte, puisque le quart est la quotité la plus élevée qu'un époux qui convole, ayant des enfants d'un premier lit, puisse donner à son second époux, et que le donateur, par cela même qu'il avait des enfants au moment où il a donné, par cela même qu'il a déclaré alors ne donner qu'une portion d'enfant, nécessairement a fixé son attention sur la règle prohibitive écrite dans l'article 1098, et a entendu s'y soumettre (1).

1048. Les donations entre époux pendant le mariage exigent quelques autres observations sur leur révocation, sur leur caducité, et lorsqu'elles sont maintenues, sur leur exécution après le décès du donateur.

Ces donations peuvent être révoquées.
L'article 1096 s'exprime ainsi :

« Toutes donations faites entre époux pendant le mariage, Art. 1096. quoique qualifiées entre-vifs, seront toujours révocables.

>> La révocation pourra être faite par la femme sans y être autorisée par le mari ou par la justice.

» Ces donations ne seront point révoquées par survenance d'enfants. »

Cette dernière partie de l'article était nécessaire pour déroger à la règle générale posée dans l'article 960 qui prononce la révocation par la survenance d'enfants de toutes

(1) V. sur cette question, Grenier, t. 2, no 681; Toullier, 5, no 588; Delv., 2, p. 445; Duranton, 9, no 823; Vazeilles sur l'art. 1098, no 12.

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