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671. Nous ajouterons seulement que suivant un arrêt rendu le 19 janvier 1831, par la Cour de Bordeaux, l'acte de naissance d'un enfant naturel indiquant quelle est sa mère équivaudrait à une reconnaissance expresse de la part de la mère pour légitimation ultérieure (1).

Cette décision est peu conforme aux règles.

Elle serait d'une application dangereuse. Car il serait facile de créer ainsi une fausse filiation, et de légitimer un enfant, qui non-seulement n'aurait pas été réellement reconnu par la mère qu'on lui attribuerait, mais qui même ne serait pas son œuvre, et qui, à son insu, par fraude ou par erreur, aurait été inscrit sous son nom dans les registres de l'État civil.

Mais si l'indication de la mère dans l'acte de naissance était suivie de la reconnaissance du père avec semblable indication et de soins donnés par la mère à l'enfant, ces circonstances pourraient tenir lieu de l'aveu de la mère (2).

672. Une loi du 14 floréal an 11 (4 mai 1803), déclare que « l'état et les droits des enfants nés hors mariage, dont » les pères et mères sont morts depuis la promulgation de » la loi du 12 brumaire an 2 jusqu'à la publication des >> titres du Code civil sur la paternité et la filiation, seront >> réglés de la manière prescrite par ces titres. »

Résultera-t-il de cette loi que les enfants naturels, nésavant le Code civil et dont les père et mère se seraient mariés soit dans l'intervalle de la loi de l'an 2 au Code soit même antérieurement, ne seraient pas légitimes si la reconnaissance de leurs père et mère n'avaient pas précédé le mariage de ceux-ci?

Cette question peut se présenter dans divers cas.

Ou le mariage des père et mère avait eu lieu sous l'an

(1) Sirey, 31. 2. 231.

(2) Voir un arrêt de la Cour de cassation du 22 janvier 1839. Sirey, 39. 1.5.

cienne législation ainsi que la reconnaissance de l'enfant, quoique postérieure au mariage;

Ou le mariage et la reconnaissance sont postérieurs à la loi intermédiaire du 18 brumaire an 2, mais antérieurs au Code civil;

Ou le mariage seul a précédé le Code civil, et la reconnaissance n'est venue qu'après.

Dans le premier cas, il ne saurait y avoir de difficulté, quoique les père et mère fussent vivants lors de la publication de la loi du 12 brumaire an 2. Car, suivant l'ancienne législation, le mariage des père et mère rendait légitimes de plein droit, tous les enfants nés d'eux antérieurement, sans qu'il fût besoin qu'ils eussent été reconnus aussi antérieurement.

La reconnaissance postérieure suffisait comme servant seulement à faire connaitre les individus auxquels s'appliquait cette légitimation, et cette reconnaissance étant anté rieure même à la loi du 12 brumaire an 2, la légitimation était acquise aux enfants ainsi reconnus. Ce droit acquis ne pouvait leur être enlevé par une loi nouvelle dont l'effet n'est jamais rétroactif, et par conséquent ils conservaient l'état et les droits d'enfants légitimes.

Notre opinion n'est même pas en contradiction avec la loi du 14 floréal an 11, qui, par son article 3, respecte les conventions antérieures au Code civil, et veut que l'on exécute suivant leur forme et teneur celles par lesquelles l'état et les droits des enfants naturels auraient été réglés. Or, cette exception doit s'appliquer évidemment aux légitimations faites avant l'an 2, par le mariage et par la reconnaissance postérieure des père et mère. Ce mariage et cette reconnaissance combinés avec la législation de l'époque étaient de vraies conventions sur l'état et les droits des enfants naturels.

Il doit en être de même pour les enfants naturels qui ont été reconnus dans l'intervalle de la loi intermédiaire à la loi nouvelle. Car celle du 12 brumaire an 2 était étrangère

aux règles sur la légitimation; elle ne s'occupait que des enfants naturels dont l'état n'avait pas changé, et elle leur attribuait, sur les biens de leurs père et mère et même sur ceux de leurs parents collatéraux, des droits de successibilité égaux à ceux des enfants légitimes.

Quant au mode de la légitimation et à ses effets, elle était absolument muette, et par conséquent les anciens principes de la matière ont dû subsister jusqu'à l'émission du Code civil.

Ainsi, soit que les père et mère d'un enfant naturel se soient mariés avant ou depuis la loi de brumaire an 2, l'enfant, qu'ils auront reconnu après leur mariage et sous cette loi doit jouir de l'état et des droits d'enfant légitime. Le décider autrement ce serait donner au Code civil un effet rẻtroactif qui est cependant formellement interdit par un des premiers articles de ce Code, l'article 2, dont le rang de numération prouve combien le législateur a été attentif et prompt à prévenir que tout ce qu'il allait décréter ne s'appliquait qu'à l'avenir.

Une difficulté plus grave est relative aux enfants nés avant mariage de père et mère qui s'étaient mariés antérieurement au Code civil, mais qui n'ont reconnu leurs enfants que depuis la loi nouvelle.

Ces enfants seront-ils considérés comme légitimes, ou seront-ils réduits à l'état et aux droits des enfants naturels? D'un côté, on peut dire à leur préjudice que la légitimation par mariage subséquent est une faveur de la loi; qu'elle peut, par conséquent, la refuser ou ne l'accorder que sous les conditions qu'elle fixe; que ceux qui n'avaient pas obtenu cet avantage sous la législation ancienne n'avaient aucun droit acquis au moment où le Code a paru; que, par conséquent, la loi en les privant de la légitimation et privant les père et mère de la faculté de les légitimer n'a pas exercé un effet rétroactif; qu'enfin, les lois sur les personnes ont un effet instantané, et s'appliquent, dès leur

émission, à tout individu dont l'état, les droits et la capacité ne sont pas fixés.

De l'autre côté on peut faire observer que les père et mère au moment de leur mariage, ni même postérieure– ment, n'ont pas dû prévoir un changement aussi prononcé de législation que celui qui a été adopté par les auteurs du Code civil; que, confiants dans la législation ancienne dont les principes les rassuraient sur le sort de leurs enfants, ils n'ont pas dû considérer comme nécessaire, ni de reconnaître leurs enfants au moment de leur mariage, ni de se hater de les reconnaître depuis ; que la loi nouvelle, si on la leur appliquait, les aurait surpris; qu'elle leur aurait enlevé une faculté acquise, un droit qui leur appartenait, quoiqu'ils ne l'eussent pas exercé ; qu'en les privant de ce droit le Code civil aurait un effet rétroactif; que, d'ailleurs, le Code civil, dans l'article 331, ne s'occupe que des mariages à faire; qu'il ne dispose que pour les mariages qui se célè– breraient sous son empire, et qu'il laisse dans le domaine de la législation ancienne, tous les effets des mariages antérieurs à son émission, tous les droits, toutes les facultés attachés à ces mariages, que, par conséquent, on doit appliquer aux pères et mères mariés avant le Code civil toutes les règles anciennes sur la légitimation de leurs enfants naturels, et dire que le fait seul du mariage les a légitimés de plein droit; qu'ils étaient légitimés sans le savoir, et que la reconnaissance postérieure n'a fait que dévoiler au public et à eux-mêmes un état et des droits dont ils étaient déjà investis sans les connaître.

Cette dernière opinion nous parait la plus consolante pour les père et mère, la plus équitable pour les enfants, la plus juste même et la plus conforme au grand principe de la non rétroactivité des lois. Nous l'adoptons.

Nous croyons donc que la Cour de Nimes a mal jugé en décidant par arrêt du 15 juillet 1819, que la légitimation par mariage sous la loi du 12 brumaire an 2, entre époux

décédés sous le Code civil, devait être réglée par le Code (1).

Mais on doit partager l'opinion émise dans les motifs d'un arrêt de la Cour de cassation, du 12 avril 1820, qui déclarent, relativement à un enfant né sous la loi du 18 brumaire an 2, qui se prétendait fils naturel d'un père décédé sous cette loi, et qui prétendait, de plus, avoir été légitimé par le mariage subsequent de son père avec sa mère, que s'il pouvait invoquer des lois antérieures au Code civil en ce qui touche les preuves et les effets de la légitimation, c'est au Code civil qu'il est renvoyé par loi transitoire du 14 floréal an 11, en ce qui touche les preuves de sa filiation comme enfant naturel (2).

Cette décision de la Cour régulatrice prouve que la loi du 14 floréal an 11, est étrangère aux questions de légitimation, mais qu'elle régit l'état et les droits, et par conséquent, le mode de la reconnaissance des enfants naturels; ce que la loi de floréal an 11 porte, d'ailleurs, expressément, mais ce qui ne doit s'appliquer qu'à ceux des enfants nés hors le mariage qui n'avaient pas déjà été reconnus sous la loi de brumaire an 2, ou dont la filiation n'avait pas déjà été fixée sous l'empire de cette loi par les actes conventionnels où judiciaires qu'elle autorisait. Car la loi de floréal an 11, par ses articles 2 et 3, respectait l'état et les droits précédemment réglés conformément aux lois antérieures. 673. L'art. 331 du Code civil pourvoit au sort des enfants nés hors mariage.

L'art. 332 s'occupe de celui des petits-enfants dont le père est décédé avant leur aïeul, en voici les termes :

« La légitimation peut avoir lieu, même en faveur des Art. 332. enfants décédés qui ont laissé des descendants; et dans ce cas elle profite à ces descendants. >>

(1) V. l'arrêt dans le Journal de Sirey, t. 19. 2. 283.

(2) V. cet arrêt dans le Journal de Sirey, t. 20. 1. 342 ; et dans celui de Dalloz j., 18. 1. 406.

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