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Cet article fait cesser la controverse que la question avait fait naître autrefois.

Beaucoup d'auteurs refusaient au mariage l'effet de légitimer les descendants de l'enfant naturel prédécédé. L'enfant n'ayant jamais été légitimé, disaient-ils, n'avait pu transmettre à ses descendants une qualité dont il était privé luimême, ni ceux-ci arriver à leurs aïeux que par l'intermé—. diaire de leur père dans lequel ils trouvaient le vice de leur origine.

Mais cette opinion, appuyée sur quelques lois romaines, en opposition avec d'autres lois, avait été repoussée par beaucoup d'autres et n'était pas en général admise parmi nous. Lebrun, Fachin, Perrezius, Furgoles, Pothier étaient d'avis que la légitimation s'étendait aux descendants de l'enfant prédécédé (1).

« La loi, par la fiction de la légitimation, disait ce dernier auteur, purge le vice de l'union que les parties ont eue ensemble avant le mariage, la fait regarder comme une espèce d'anticipation du mariage qu'elles ont depuis contracté, et par conséquent légitime les enfants qui en sont nés et tous ceux qui en sont descendus, comme enfants de ce mariage par anticipation. »

L'équité de cette opinion l'a fait admettre.

« La légitimation du père, dit l'orateur qui a exposé les motifs de la loi, aurait eu sur le sort et sur la fortune de ses enfants une telle influence qu'elle ne saurait être regardée comme un bienfait qui lui soit personnel. C'est un chef de famille que la loi a voulu créer. Si ce chef n'existe plus ses descendants doivent être admis à le représenter (2).

Ces motifs peuvent servir à résoudre une question im

(1) Le Brun, liv. 1, chap. 2. sect. 1, dist. 1, no 1; Fachin, lib. 3, cap. 56; Perezius, Furgoles, Pothier, du Mariage, no 415, Jurisprudence de Lacombe, v. Légitimation, no 1.

(2) Discours de Bigot-Préamencu; v. Lėgist. civile de Locré, t. 16, commentaire 9, no 28.

portante. Les descendants d'un enfant naturel mort civilement peuvent-ils être légitimés par le mariage de leurs aïeux ?

On doit répondre affirmativement. La mort civile est l'image de la mort naturelle; elle produit les mêmes effets quant à la transmission aux héritiers des biens et des droits du défunt. Les enfants du mort civilement, non-seulement recueillent sa succession, mais encore le représentent dans la succession de leurs aïeux auxquels ils succèdent aussi du chef de leur père (C. civ. art. 745); cette représentation qui s'étend à tous les droits qui seraient échus au père s'il avait conservé sa vie civile, pourquoi ne s'étendrait-elle pas aussi au bienfait de la légitimation?

On peut opposer que l'art. 332 parle seulement du cas du décès de l'enfant naturel : « En faveur des enfants décédés >> qui ont laissé des descendants, » dit l'article.

Mais aux yeux de la loi l'enfant mort civilement est dans la même position que l'enfant mort naturellement. Sa vie sociale est éteinte. Tous les effets de la mort naturelle lui sont applicables à l'égard de la société civile, dont il est retranché comme s'il était mort naturellement. Ainsi la loi, qui ne règle que les rapports et les droits civils, doit lui être appliquée comme si la mort naturelle l'avait frappé.

D'ailleurs le texte de l'art. 332 n'est pas restrictif aux enfants décédés naturellement; il doit donc s'entendre aussi du décès civil que la loi déclare et qu'elle assimile par toutes ses dispositions au décès naturel.

Enfin l'esprit de la loi commande cette interprétation. Car c'est en considération des descendants de l'enfant que la règle a été admise. Elle a voulu que ces descendants pussent représenter le chef de famille que sa mort l'empêche de créer. Or, que la mort de ce chef de famille soit civile ou naturelle, les mêmes raisons se présentant, la même règle doit être adoptée, ubi eadem ratio, ibi idem jus esse debet. (Goth. in L. 9, § 2, de Pact. ex. L. 32, ad leg. aquil.)

674. En autorisant la légitimation par mariage, le législateur n'a pas entendu fournir un instrument à la fraude. H a donc voulu autoriser toute personne y ayant intérêt à la faire annuler si elle avait pour base une fausse attribution de paternité ou de maternité. La loi ne contient pas, il est vrai, de disposition spéciale sur les actions en nullité des légitimations. Mais les principes généraux suffisent en permettant à chacun d'attaquer tout ce qui est fait en fraude de ses droits.

Au reste, la légitimation est fondée sur les reconnaissances de paternité et de maternité de la part des deux époux qui veulent légitimer leurs enfants naturels.

Or les reconnaissances peuvent être contestées par tous ceux qui y ont intérêt. Donc on peut aussi contester la légitimation en attaquant la reconnaissance (C. c., art. 339).

Nous avons cité ci-dessus l'arrêt Tissidre et de l'Etang, du 28 décembre 1811, qui, sur la demande de l'enfant légitime lui-même, avait annulé la légitimation. L'arrêt peut servir d'exemple pour tous les cas semblables, quel que soit le demandeur en nullité, pourvu qu'il ait intérêt.

675. Après avoir traité des cas de légitimation et de son mode, il serait peut-être rationnel de parler de ses effets et des droits des enfants légitimės. Mais comme, d'après l'article 333, ces enfants ont les mêmes droits que s'ils étaient nés du mariage même qui les légitime, nous croyons devoir renvoyer l'examen de ce principe et de ses modifications au développement des droits des enfants légitimes.

CHAPITRE II.

De la filiation légitime.

SOMMAIRE.

676. Il y a deux sortes de filiations.

677. But des règles pour la filiation légitime.

678. Division du chapitre 2.

OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES.

676. La loi reconnaît deux sortes de filiations: La filiation naturelle et la filiation légitime.

La filiation naturelle a son principe dans la naissance que nous recevons d'un tel père et d'une telle mère.

Elle est toujours certaine pour la mère que la nature a déclaré par des signes non équivoques: mater semper est certa etiam si vulgò conceperit. L. 5, ff. de in jus voc.

Elle peut être douteuse pour le père. La mère seule, par la régularité de sa conduite, peut garantir l'auteur de la paternité. 677. A défaut de signes certains fournis par la nature, il a donc été nécessaire de recourir à des présomptions morales pour fixer la paternité.

Tel est le but des règles fondamentales de la filiation légitime.

Mais ces règles elles-mêmes ne pouvaient être absolues. Elles devaient fléchir si elles se trouvaient en opposition avec l'évidence, avec les lois de la nature, avec des circonstances impérieuses.

Des exceptions devaient donc être prévues.

678. Dans ce chapitre nous aurons à examiner:
Les règles fondamentales de la filiation légitime;
Les exceptions auxquelles ces règles sont soumises;
Les moyens d'établir la filiation légitime;

Les actions en réclamations ou en suppression d'état.
Tels seront les objets des quatre sections de ce chapitre.

Section Ire.

Règles fondamentales sur la filiation légitime.

SOMMAIRE.

679. Qu'est-ce que la filiation légitime?

680. Quelle est sa base?

681. Définition inexacte de la filiation légitime.

682. La filiation légitime est fixée pour l'époque de la conception. 683. Deux modifications de la règle et leur utilité.

684. Droit romain sur la matière.

685. Droit français.—Variations.

686. Règles fixées par le droit nouveau après un examen approfondi. 687. Résumé de la section.

679. La filiation légitime est ainsi appelée parce qu'elle est l'œuvre de la loi qui supplée par les présomptions qu'elle établit aux preuves que n'offre pas la nature.

680. Comme c'est à la paternité que manquent les preuves naturelles, c'est aussi sur la présomption de paternité que repose principalement la filiation légitime.

« Il est à regretter, disait l'orateur du gouvernement, en exposant les motifs du titre de la paternité et de la filiation, il est à regretter que, pour établir des règles sur les moyens de constater la paternité, la nature scule ne puisse plus servir de guide.

>> Cependant il était nécessaire que la paternité ne restât pas incertaine. C'est par elle que les familles se perpétuent et qu'elles se distinguent les unes des autres. C'est une des bases de l'ordre social. On doit la maintenir et la consolider.

» Il a fallu, pour y parvenir, s'attacher à des faits antérieurs et susceptibles de preuves.

>> On trouve un premier point d'appui dans cette institution, qui, consacrée par tous les peuples civilisés, a son origine et sa cause dans la nature même, qui établit, main. tient et renouvelle les familles, dont l'objet principal est de veiller sur l'existence et l'éducation des enfants, dont la dignité inspire un respect religieux, dans le mariage.

>> Les avantages que la société en retire doivent être principalement attribués à ce que, pour fixer la paternité, il établit une présomption qui presque toujours suffit pour écarter tous les doutes.

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