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Art. 315.

l'interpréter; en un mot c'est substituer l'arbitraire à la règle (1).

Nous ferons néanmoins observer que l'arrêt du 4 décembre 1820 n'a rien de contraire au texte de l'art. 313, puisque l'adultère était constant et que l'on pouvait considérer comme cachée au mari la naissance d'un enfant attribuée à un père inconnu.

Un auteur s'est demandé si le mari, qui ne découvrirait qu'après la mort de sa femme, l'adultère de celle-ci et la naissance de l'enfant dont on lui aurait caché l'existence, pourrait néanmoins former l'action en désaveu?

Cette question n'est pas problématique. Le décès de la femme ne peut priver le mari du droit de repousser l'enfant du crime et le contraindre à accepter une paternité que les faits lui refusent. C'est, d'ailleurs, contre l'enfant surtout que le désaveu est dirigé ; celui-ci, en défendant son état, défendra aussi sa mère. Si l'adultère est constant, si la naissance a été cachée, pourquoi n'admettrait-on pas le mari à prouver qu'il n'est pas le père? La loi lui accorde ce droit, par cela même qu'il ne l'en prive pas (2).

703. Il nous reste à parler de l'impossibilité légale. C'est celle dont s'occupe l'article 315 dont voici les termes :

« La légitimité de l'enfant né trois cents jours après la dissolution du mariage pourra être contestée. »

Les observations que nous avons faites sur l'art. 312, relativement aux naissances tardives, reçoivent aussi leur application sur l'art. 315. Il serait superflu de les répéter.

704. Nous ajouterons seulement que d'après cet article, comme d'après les précédents, l'illegitimité de l'enfant n'est pas admise de plein de droit. Il faut qu'elle soit demandée par le mari ou par ses héritiers et prononcée par le juge. En

(1) Voir ces arrêts dans le Journal de Dalloz jeune, t. 27. 2. 46; t. 27. 2. 103; et t. 20. 2. 49. Voir aussi le Journal de Sirey, t. 27. 2. 185; et t. 21. 2. 98.

(2) Toullier, Droit civil, t. 2, no 816.

attendant l'enfant conserve provisoirement la qualité de légitime et jouit des droits attachés à ce titre.

La Cour d'Aix a sainement appliqué l'art. 315, en jugeant, par un arrêt du 6 avril 1807, que cet article ne décidait rien d'absolu sur l'illégitimié de l'enfant né plus de 300 jours après la mort du mari.

La Cour de Grenoble et même celle d'Aix, par un second arrêt rendu en 1812, n'ont pas attaché le même sens à la disposition. Elles ont pensé que l'art. 315 signifiait, non que l'enfant né plus de dix mois après le décès du mari pourrait être réputé illégitime, mais qu'il devrait l'être.

Cependant l'article 315 ne s'exprime pas en termes aussi formels il dit que la légitimité pourra et non pas qu'elle devra être contestée. Or les deux expressions n'ont pas le même sens. La première accorde une faculté au père putatif; la seconde fixerait immédiatement la position de l'enfant l'une autorise l'action en désaveu; l'autre rendrait l'action même inutile ou surabondante, puisqu'elle détruirait l'état de l'enfant sans qu'il fût même attaqué et avant toute réclamation.

Les Cours de Grenoble et d'Aix paraissent, en droit, s'être égarées, sinon dans leurs décisions en fait, au moins dans leurs motifs; au lieu d'appliquer la règle existante, elles en ont créé une nouvelle (1).

705. Cette question néanmoins n'est pas sans difficulté. Elle divise des auteurs fort recommandables Toullier, Proudhon, Chabot, Duranton pensent qu'il y a présomption légale de l'illégitimité de l'enfant né 300 jours après la dissolution du mariage, et que les tribunaux ne peuvent refuser de la prononcer.

Merlin et Favard, au contraire, disent que les tribunaux ont un pouvoir discrétionnaire pour admettre ou rejeter le désaveu.

(1) V. leurs arrêts des 12 avril 1809 et 8 janvier 1812, dans le Recueil de Sirey, 1. 9. 2. 288, et t. 12. 2. 214.

C'est dans les discours du tribun Duveyrier que lespre miers auteurs cités ont puisé leur opinion. Après avoir rappelé la règle qui permet de contester la légitimité de l'enfant né 300 jours après la dissolution du mariage, l'orateur ajoute :

Pourquoi n'est-il pas de droit illégitime et mis au nombre des enfants naturels?

>> Parce que tout intérêt particulier ne peut être combattu que par un intérêt contraire. La loi n'est point appelée à réformer ce qu'elle ignore; et si l'état de l'enfant n'est point attaqué, il reste à l'abri du silence que personne n'est intéressé à rompre.

>> Parce que, d'ailleurs, dans le cas de dissolution du mariage par le divorce, le mari, qui seul aurait le droit du désaveu, peut n'avoir ni motif ni volonté de l'exercer ; et il doit être, s'il l'exerce, soumis à l'obligation d'éloigner de lui toute preuve de la paternité de l'enfant qu'il désavoue. » Ce langage de Duveyrier n'est pas décisif pour les opinions qu'elle a fait naître.

S'il y avait présomption légale d'illégitimité contre l'enfant, pourquoi le considérerait-on comme légitime tant que son état ne serait pas attaqué? Pourquoi ne serait-il pas illégitime pour tout le monde? Pourquoi le mari divorcé serait-il obligé de prouver qu'il n'est pas le père, comme l'y soumet le tribun Duveyrier? Et pourquoi, dans les cas ordinaires, ne soumettrait-on pas les héritiers du mari à la preuve exigée, en cas de divorce du mari lui-même?

On sait que la présomption légale dispense de toute preuve celui au profit duquel elle existe. (Code civil, article 1359.)

MM. Merlin et Chabot ont exprimé des avis plus conformes à l'esprit comme au texte de l'art. 315; et ce qui prouve en leur faveur, c'est que la Section avait adopté une rédaction qui n'a pas été conservée. Elle proposait un article ainsi conçu :

« La loi ne reconnaît pas la légitimité d'un enfant né trois cent et un jour après la dissolution du mariage. »

Cette rédaction eût été reproduite si l'on avait voulu faire une règle absolue. Mais elle eût pu être dangereuse pour la vérité; car on signala au Conseil d'Etat quelques exemples de naissances plus tardives encore. La nature n'est pas toujours régulière dans sa marche. Il fallait donc laisser quelque chose à l'arbitraire et à la discrétion du juge.

C'est aussi ce qu'on a voulu et c'est même ce qu'indiquèrent les motifs de la loi, lors de la présentation desquels l'orateur du gouvernement disait :

<< La naissance tardive peut être opposée à l'enfant s'il >> nait trois cents jours après la dissolution du mariage.

» Néanmoins la présomption qui en résulte ne sera déci»sive contre lui qu'autant qu'elle ne sera pas affaiblie par >> d'autres circonstances (1). »

Ainsi les tribunaux doivent consulter les circonstances pour prononcer; c'est-à-dire que la loi leur accorde sur la question un pouvoir discrétionnaire qui les autorisera dans certains cas, peu ordinaires il est vrai, à écarter l'illėgitimité proposée. S'il y avait incertitude sur l'époque de la dissolution ou sur celle de la naissance, ce serait à ceux qui contesteraient la légitimité à fixer d'une manière positive les deux époques : Actori incumbit probatio; dans le doute, l'état d'enfant légitime devrait être maintenu. In favorem prolis potius declinandum est.

706. Lorsque la naissance postérieure à la dissolution du mariage arrive avant l'expiration des trois cents jours, il y a présomption légale que l'enfant a été conçu pendant le

(1) Voir la Législat. civ. de Locré, t. 6, commentaire 11, no 17; commentaire 7, n° 8, et commentaire 9, no 13. - Voir aussi les auteurs cidessus rappelés par M. Toullier, 1. 2, no 828; Proudhon, t. 2, n. 28; Duranton, t. 2, n. 58; Chabot, sur l'art. 725; Merlin, Répertoire, au mot Légitimité, sect. 2, §. Cet auteur rapporte beaucoup d'anciens arrêts pour ou contre les enfants dont les naissances auraient été lardives.

mariage et par conséquent qu'il est né du mari. Sa légitimité ne peut donc pas être contestée, et il est habile à succéder au mari. (C. civ., art. 725.) Arrêt du 19 juillet 1819, rendu

par la Cour de Paris, et arrêt de la Cour de cassation du 8 février 1821. Rejet du pourvoi contre le précédent (1).

707. La naissance antérieure au cent quatre-vingtième jour du mariage constitue aussi l'impossibilité légale prévue par le législateur sur la conception pendant le mariage. Car, comme nous l'avons dit sur l'art. 312, les observations physiologiques et les opinions des auteurs anciens et modernes ont fait considérer le délai de 180 jours comme suffisant pour la perfection de l'enfant physique et pour sa viabilité.

708. Mais la naissance prématurée ne fait pas cesser de plein droit la présomption légale de légitimité de l'enfant né pendant le mariage. La date de sa naissance lui attribue un état dont il ne doit pas être privé sans une réclamation de l'époux, sans une décision de la justice. Il serait trop dangereux de le frapper de plein droit d'illégitimité.

Car quoique conçu avant le mariage, il peut appartenir au mari si le mariage a été précédé d'une fréquentation intime entre les deux époux.

D'ailleurs la conception peut être postérieure au mariage, l'accouchement avoir été accéléré par un accident, et l'enfant peut naître avant terme sans avoir acquis les facultés de la vie, et sans qu'il conserve l'existence.

Ne serait-il pas injuste dans ces deux cas de livrer à l'opprobre une épouse qui n'aurait rien à se reprocher à l'égard de son époux et de flétrir la naissance d'un enfant qui ne serait point le fruit du crime?

Ces considérations commandaient non-seulement d'exiger la demande en désaveu du mari, mais encore de restreindre sa réclamation dans de sages limites qui conciliassent les secours que la loi doit prêter au mari trompé avec la pro

(1) S., t. 19. 2. 213, et t. 21. 1. 404.

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