Page images
PDF
EPUB
[ocr errors]

acquise les parlements et pénétrés de la pensée que l'on ne pouvait organiser un système d'appel sans conserver ces grands corps judiciaires, voulaient, par ce motif, renfermer toute contestation dans un seul degré de juridiction; d'autres arrivaient au même résultat par l'idée que l'appel n'était qu'un reste des anciennes institutions féodales contre lesquelles avait porté le grand effort de la révolution; d'autres enfin se prononçaient dans le même sens en soutenant que l'appel affaiblit l'autorité des décisions judiciaires, et en demandant, d'après le doute d'Ulpien dont nous avons parlé suprà, no 14, comment il était prouvé qu'un second jugement valut mieux que le premier. Ajoutons qu'à un demi-siècle d'intervalle, cette dernière idée a encore ses défenseurs. M. Béranger, notamment, l'a développée dans le mémoire déjà cité, tout en s'avouant cependant que son opinion rencontrera nécessairement la plus vive opposition.

88. Cette opinion ne devait pas prévaloir, en effet. L'appel, nous l'avons vu, a existé chez toutes les nations où il y a eu des tribunaux organisés, et partout on l'a considéré comme le moyen le plus sûr d'arriver à une justice exacte. Cette donnée première n'est pas sans importance dès qu'il s'agit de se prononcer sur le mérite et l'utilité de l'institution. Comment admettre que l'appel qui a traversé les siècles au milieu des circonstances les plus diverses, se maintenant toujours et partout et résistant à d'incessantes attaques, soit complétement dénué du caractère d'utilité ? Cela certainement ne semble pas, dès l'abord, admissible, et la réflexion confirme puissamment cette première pensée. Que diton, en effet? que l'appel affaiblit l'autorité des décisions judiciaires! Mais on pourrait dire avec plus de raison qu'il la fortifie au contraire; car c'est particulièrement l'erreur, l'iniquité dans les jugements, qui en altèrent l'autorité; or l'appel eut toujours pour objet précisément de corriger les erreurs, d'effacer les iniquités, et par cela même il eut toujours pour effet d'assurer à la justice toute sa considération. Mais, ajoute-t-on, le bien jugé ne se reconnaît à aucun signe et rien ne prouve que le second jugement vaille mieux que le premier. Rien ne le prouve sans doute, mais toutes les présomptions sont en faveur du second jugement. Les premiers juges, disait avec raison Barnave dans la discussion qui s'éleva sur la question à l'assemblée constituante, les premiers juges, plus rapprochés des justiciables, pourront avoir des motifs d'intérêt, de préférence ou de haine, et vous livreriez sans retour les citoyens aux effets que ces motifs pourraient produire. Le juge d'appel, plus éloigné d'eux, échappera plus aisément à la séduction. Celui-ci, ajoutait Pison du Galand, voyant dans l'appel une espèce de dénonciation, examinera l'affaire avec un respect pour ainsi dire religieux. En cause d'appel, l'affaire se réduit, elle ne présente plus que des faits simples; la décision du juge est portée d'une manière plus parfaite. — V. Hist. parl. de MM. Buchez et Roux, t. 5, p. 412 et suiv.

89. Et puis, d'ailleurs, les parties ne trouvent-elles pas la garantie d'une justice plus éclairée dans le nombre même des juges qui doivent siéger dans le tribunal supérieur ? A la vérité ceci même a été contesté; et après Jérémie Bentham, M. Charles Comte, voulant établir qu'il ne faudrait jamais qu'un seul juge, a dit, dans ses Considérations sur le pouvoir judiciaire, ch. 2: "Multiplier le nombre des hommes n'est pas nécessairement accroître la masse des lumières dans aucun genre de connaissances; deux demi-savants ne font point un savant. Cela est vrai dans les sciences morales comme dans les sciences physiques ou mathématiques; dans les unes comme dans les autres, le nombre ne prouve rien que lui-même. Il serait aussi ridicule de prétendre obtenir un savant mathématicien en réunissant quelques maîtres d'école de village qui n'ont jamais su faire que des additions et des soustractions. » Mais qui ne voit le vice d'un tel raisonnement? La question est de savoir si des hommes éclairés réunis pour juger une affaire la résoudront mieux qu'un seul homme qui serait leur égal en lumières, et nullement de dire si plusieurs hommes ignorants présenteront, sous ce rapport, autant de garanties qu'un seul homme éclairé. Or, ainsi posée, la question se résout d'elle-même. Qui voudrait nier les secours puissants de la discussion et les lumières qui en jaillissent? qui tomberait dans l'orgueilleuse erreur de penser que, seul et réduit à ses propres forces, il embrassera d'une manière aussi complète et aussi sure que s'il était réuni à des hommes de bonne foi comme lui,

et comme lui éclairés, tous les détails d'une affaire et tous les éléments propres à en assurer la bonne solution?...

90. Ces considérations nous semblent décisives; ajoutons, d'ailleurs, que l'expérience les a confirmées. Car si l'on peut rep contrer, dans les décisions émanées des juges d'appel, des exer ples qui confirment le doute d'Ulpien lorsqu'il exprime la crain que le juge du second degré in pejus reformet, on ne peut, de moins, disconvenir que ce ne soit là l'exception, et qu'en thèse | générale, les décisions qui infirment ne soient plus justes et plus conformes à la loi que les décisions infirmées. Nous comprenor: donc très-bien qu'après une discussion approfondie, l'assemblée constituante, résolvant la quatrième question qu'elle s'était proposée dans le décret du 31 mars 1790, ait décidé par le décre du 1er mai suivant « qu'il y aurait deux degrés de juridiction en malière civile. »

91. Cela posé, il restait à organiser les tribunaux d'appel dont l'existence venait d'être admise en principe. Le problème qu'on se proposa de résoudre fut d'instituer des tribunaux qui, tout en rendant les services que la société devait en attendre, ne grevassent pas le trésor public, n'abusassent pas de leur autorité dans la distribution de la justice, et surtout fussent tenus sous le niveau de l'égalité constitutionnelle. Trois plans furent successivement présentés dans ce but; et aujourd'hui, lorsque plus d'un demi-siècle nous sépare de ce temps d'agitation, lorsqu'une situation normale ne permet pas que l'on s'arrête même à ces idées exagérées d'égalité qui furent le point saillant de l'époque, on peut dire que celui des trois plans qui prévalut, précisément parce qu'il attribuait la connaissance de l'appel à un tribunal placé sur la même ligne et formé des mêmes éléments que celui de qui était émanée la décision attaquée, était assurément celui qui, dans d'autres temps, eût été le premier écarté. La preuve ressortira d'elle-même de l'exposé qui va suivre.

92. Le premier plan proposé était celui qu'avait préparé M. Bergasse, et qui fait partie du rapport sur l'organisation du pouvoir judiciaire lu par ce député à la séance du 17 août 1789. Ce système consistait dans la création d'une cour supérieure composée de vingt juges, d'un avocat et d'un procureur général, et renfermant dans son ressort trois ou quatre départements.-L'objection la plus sérieuse qui s'éleva contre ce plan fut qu'une telle cour présenterait un corps assez nombreux pour faire craindre qu'elle n'opprimât les justiciables. Et, ajoutait-on, si plusieurs d'entre elles renouvelaient ce système de fédération, dont les parlements ont donné l'exemple, peut-on prévoir les troubles qui en résulteraient? · Ces considérations étaient trèspuissantes pour l'époque; aussi voit-on que ce plan fut à peine | discuté. Toutefois, il occupa le comité judiciaire de l'assemblée; on en trouve la trace dans l'exposé qui fut présenté par M. Thouret, rapporteur de ce comité, à la séance du 22 déc. 1789, V. Hist. parl. de MM. Buchez et Roux, t. 3, p. 452 et suiv.

[ocr errors]
[ocr errors]

93. Le deuxième plan fut imaginé par M. Thouret lui-même, et formulé par lui dans les articles suivants : « Art. 1. L'appel des jugements des juges de district sera porté à un tribunal supérieur établi en chaque département. 2. Ce tribunal sera composé de trois juges sédentaires au lieu de son établissement, et de trois grands juges, qui s'y rendront chaque année pour tenir de grandes assises.-3. La session des grandes assises durera deux mois et demi en chaque département, et les mêmes grands juges en tiendront une, chaque année, en quatre tribunaux de département. 4. Hors le temps des assises, le tribunal de département, composé des seuls juges sédentaires, jugera à l'audience les appels des sentences interlocutoires et de celles rendues définitivement en matières sommaire et provisoire, les demandes à fin de surséance ou d'exécution provisoire des jugements, et généralement toutes les demandes de provision qui seront formées incidemment aux appels. — 5. L'appel de toutes les sentences définitives des juges du district, autre que celles rendues en matières provisoires ou sommaires, ne pourra être jugé que sur rapport et au temps des grandes assises. 6. Les affaires qui surviendront dans l'intervalle d'une assise à l'autre seront distribuées aux juges sédentaires à tour de rôle, afin qu'ils en préparent le rapport. Ils pourront rendre les ordonnances ou arrêts d'instruction; chacun d'eux fera, lors des assises, le rapport du

procès dont il aura été chargé, et n'y aura point de voix délibérative. — 7. Les grands juges tenant les assises recevront les représentations des corps administratifs et les plaintes des particuliers sur la manière dont la justice aura été rendue par les juges de district pendant le cours de l'année, et sur la conduite des officiers ministériels : ils réprimeront les abus et puniront les contraventions, à peine de répondre personnellement de leur négligence dans cette partie de leur service. »>

94. Tel était le plan proposé par M. Thouret. « Une cour de six juges, disait-il, dont la moitié seulement serait sédentaire, ne formera point de corporation inquiétante, d'association permanente, et n'aura ni force réelle ni force morale qui soient dangereuses... Vous aurez donc une organisation simple et peu couteuse, vous éviterez le danger attaché au nombre et à la permanence, la justice d'appel sera plus expéditive et moins exposée à la séduction, enfin vous maintiendrez l'unité constitutionnelle. »- Disons de plus que, parfaitement disposé à recevoir l'adjonction du jury, ce système obtenait l'assentiment de ceux qui pensaient pouvoir faire admettre cette institution pour les affaires civiles après que la réformation des lois sur l'organisation judiciaire aurait été complète.

|

au tableau un supplément d'autant de nouveaux tribunaux qu'il y avait de parties excédant le nombre de six; enfin, si les parties négligeaient d'user de leur droit ou si elles étaient en nombre tel que, les exclusions faites, il restât sur le tableau plus d'un tribunal non exclu, la partie qui ajournait la première sur l'appel eut le droit de choisir l'un des tribunaux restés au tableau, et en cas de concurrence de dates, le choix fait par l'appelant était préféré.

97. C'est à cette organisation que s'arrêta l'assemblée constituante. Trop exclusivement préoccupée de préventions que les empiétements des parlements avaient fait naître, cette grande assemblée ne s'aperçut pas qu'elle reconstruisait l'organisation judiciaire sur les proportions les plus étroites, et qu'abandonnant la connaissance de l'appel à des tribunaux égaux en degrés avec ceux qui avaient statué en première instance, elle établissait de nom seulement, et non point de fait, un double degré de juridiction, puisque la seconde décision ne pouvait pas présenter plus de garantie que la première. Toutefois, quelque défectueux qu'il fùt, ce système se maintint pendant assez longtemps: ce fut seulement après la constitution du 22 frim. an 8, qui créa le consulat, qu'il fut complétement changé. Car lorsque, dans la constitution de l'an 3, on substitua aux tribunaux de district un tribunal unique, institué dans chaque département, le principe resta le même; l'appel de chaque tribunal de département fut porté à l'un des tribunaux des trois départements les plus voisins, en sorte que l'appel demeurait organisé sans qu'il y eût cependant aucune

24 août 1790 a-t-il laissé dans la jurisprudence des traces nombreuses que nous aurons à suivre et à indiquer dans le cours de ce travail. V. notamment le chap. 4, sect. 3.

95. Mais le projet, d'un autre côté, n'en fut pas moins vivement attaqué. M. Tronchet s'en montra l'adversaire le plus énergique; il en fit ressortir la singularité et les impossibilités qu'il présentait dans l'exécution. « Sans doute, disait-il, il convient que la justice soit briève, mais il ne faut pas qu'elle soit trop hà- | hiérarchie judiciaire. Aussi le système établi par la loi des 16tive: il est souvent nécessaire d'accorder des délais aux parties. Toutes les affaires d'un tribunal ne sont pas toujours prêtes; on juge un procès pendant que l'autre s'instruit. Avec des assises, celui qui pourrait être prêt quinze jours après le départ des juges, sera renvoyé à l'année suivante. Vous ne préviendrez pas cet inconvénient par des jugements provisoires; vous ferez péricliter mes droits par un délai, pendant lequel mon débiteur deviendra insolvable. » Ccs, considérations, et en outre l'idée que le projet de M. Thouret n'était pas entièrement exempt d'une certaine gradation dans les pouvoirs, firent prononcer le rejet. — V. la discussion dans l'Hist. parlem., t. 5, p. 414 et suiv. — Ce fut au troisième plan qu'on s'arrêta.

96. Celui-ci présentait, en effet, le caractère d'une égalité parfaite, et organisait l'appel sans établir aucune hiérarchie entre les tribunaux. Admis sur la proposition de M. Agier, il fit partie et forma le tit. 5 du décret général sur l'organisation judiciaire des 16-24 août 1790, que l'on trouvera vo Organisation judiciaire. Rappelons seulement ici ce qui a trait à l'appel. Lorsqu'il y avait appel d'un jugement, les parties pouvaient convenir à l'amiable d'un tribunal entre ceux de tous les districts du royaume pour lui en déférer la connaissance; et si les parties ne s'accordaient pas, ce qui était le cas le plus ordinaire, le choix du tribunal était déterminé comme il suit. Un tableau de sept tribunaux les plus voisins, dont un au moins hors du département, dut être formé dans chaque district; ce tableau, proposé par le directoire du district, était rapporté à l'assemblée nationale, arrêté par elle et ensuite déposé au greffe et affiché dans l'auditoire. Lorsqu'il n'y avait que deux parties, l'appelant eut la faculté d'exclure trois de ces tribunaux par son acte d'appel; il fut permis à l'intimé d'en exclure un pareil nombre par une déclaration faite au greffe le tribunal non exclu se trouvait alors juge de l'appel. Lorsqu'il y avait trois parties plaidant pour des intérêts opposés, chacun ne put exclure que deux tribunaux; si le nombre des parties allait jusqu'à six, un seul tribunal put être exclu par chacune; si les parties étaient au nombre de plus de six, on faisait

-

(1) Exposé des motifs de la loi relative à la procédure devant les tribunaux d'appel, et aux voies extraordinaires pour attaquer les jugements, par M. le conseiller d'État Bigot-Préameneu (séance du 7 avril 1806). Messieurs, le 3 et le 4 livre de la première partie du code de procédure civile vont être soumis à votre délibération. L'un a pour objet l'appel des jugements et l'instruction sur l'appel; L'autre, les voies extraordinaires pour attaquer les jugements; elles sont au nombre de trois: la tierce opposition, la requête civile et la prise à partie.

De l'appel.

4. Je n'ai point ici à examiner si l'usage de l'appel des jugements doit, en France, son origine à l'intention de diminuer l'autorité des seigneurs pour augmenter et concentrer la puissance royale: il suffit que, malgré

98. Mais en l'an 8, lorsque le calme des esprits permit de voir ce qui avait échappé à l'assemblée constituante, à savoir l'impossibilité du rétablissement des parlements par l'impossibilite même du retour des causes qui avaient donné à ces grandes corporations leur esprit d'indépendance et d'opposition, c'est-à-dire leur origine, la qualité des personnes et Finfluence de ces corporations sur la législation, en l'an 8, on put rétablir l'institution de l'appel sur ses véritables bases. La loi du 27 vent. an 8 y pourvut. Cette loi, qui sera rapportée vo Organisation judiciaire, en constituant l'ordre judiciaire, créa de véritables tribunaux d'appel. Elle les institua au nombre de vingt-neuf, qui, moyennant le retranchement des deux tribunaux d'appel de Liége et de | Bruxelles, séparés maintenant par le démembrement de 1814, forment aujourd'hui nos vingt-sept cours royales. Depuis, sauf quelques changements que les circonstances firent naître (V. yo Organisation judiciaire, le sénatus-consulte du 28 flor. an 12 et la loi du 20 avril 1810), le fond est resté le même.

99. Cet état de choses a été accepté par les rédacteurs du code de procédure qui n'y ont rien changé : ils n'avaient pas, d'ailleurs, à le faire; car le titre du code de procédure relatif à l'appel n'avait pas pour objet l'organisation ou l'établissement des pouvoirs; il ne s'appliquait pas même aux délimitations de la compétence et à la fixation du premier et du dernier ressort, ce qui a été réglé par des lois spéciales que l'on trouvera vo Degrés de juridiction: il était destiné seulement à organiser la procédure devant les tribunaux d'appel, ainsi que l'indique l'intitulé même de ce titre.

100. Ce sont les règles de cette procédure qui ont été discutées au conseil d'État; ce sont elles aussi qui font l'objet de l'exposé des motifs présenté par M. Bigot - Préameneu dans la séance du 7 avril 1806 (1). Nous donnons en note ce document important; mais nous devons faire remarquer que nous n'en rap

l'utilité d'abréger les procès, il n'y ait aucun doute sur l'utilité plus grands encore de conserver, au moins dans les affaires d'une certaine importance, un recours à la partie qui peut avoir été injustement condamnée. Subordonner les premiers jugements à l'appel, c'est donner une garantis qu'ils seront rendus avec une plus scrupuleuse attention. La justice distributive est, comme sauvegarde de l'honneur et de la propriété, le premier besoin des peuples; il suffit que l'appel soit un moyen de plus de s'assurer qu'elle sera rendue, pour que cette forme de procéder doive être conservée. Il faut seulement, pour qu'il n'en résulte pas d'abus, rechercher quelles peuvent être les règles les plus convenables sur le délai pour appeler, sur les effets de l'appel, et sur une instruction aussi simple qu'il soit possible.

portons que la partie relative à l'appel. L'exposé des motifs de M. Bigot-Préameneu comprenait en outre les voies extraordinaires

2. Tout jugement établit une obligation au profit d'une partie contre l'autre; les obligations ne se prescrivent que par trente ans; la partie au profit de laquelle le jugement à été rendu, doit donc avoir trente ans pour J'exécuter. Peut-on de ce principe conclure que le débiteur condamné doive aussi avoir le même temps pour interjeter appel? Cette conséquence, toute fausse qu'elle est, avait été admise avant l'ordonnance de 1667, et elle a même été depuis, malgré les dispositions de cette loi, maintenue dans plusieurs parties de la France. Cependant le premier devoir de tout débiteur est d'acquitter ses engagements; celui contre lequel un jugement a été rendu est donc tenu ou de remplir sans délai l'obligation que ce jugement lui impose, ou de présenter, par le moyen de l'appel, et aussitôt que cela lui est possible, les motifs sur lesquels il croit que les premiers juges l'ont injustement condamné. De la faculté d'appeler, il ne résulte point que le jugement n'ait formé qu'une obligation imparfaite, et qu'il reste encore un droit éventuel dont la durée doive être de trente ans pour l'une comme pour l'autre partie.

La propriété de celui dont le droit a été reconnu légitime étant consacrée par le jugement, il ne peut plus, à son égard, être question d'acquérir par prescription cette propriété contre son adversaire. Les règles de la prescription ne peuvent donc point s'appliquer au recours que la loi donne contre un jugement. - Sans doute la partie condamnée doit, pour être déchue du droit d'appeler, avoir été constituée en demeure. Mais n'est-elle pas constituée en demeure par la signification du jugement, signification dans laquelle on exprime, et qui, lors même qu'on ne l'exprimerait pas, emporte, de droit la sommation de l'exécuter? On ne saurait, contre une preuve aussi positive, dire qu'il soit encore permis de présumer que celui qui a sommé d'exécuter le jugement, consente à ce que cette exécution soit différée : il n'y a donc de délai juste que celui qui doit être regardé comme nécessaire à la partie condamnée pour prendre conseil et pour préparer ses moyens d'appel.

[ocr errors]

3. Les auteurs de l'ordonnance de 1667 semblent avoir craint ce qui cst arrivé, au moins dans une partie de la France, c'est-à-dire de faire une loi qui ne serait point exécutée, s'ils réduisaient, d'après ces principes, l'ancien délai, autant qu'il eût dû l'ètre: ils le fixèrent à dix ans. Il est vrai qu'en même temps ils firent une exception en faveur de celui qui, ayant obtenu le jugement, aurait fait à son adversaire une sommation d'appeler; mais ils ne voulurent pas que cette sommation pût être faite avant trois ans depuis la signification du jugement, et ils donnèrent encore à la partie condamnée, pour interjeter son appel, six mois depuis la sommation. Il n'était pas juste que celui qui, déjà par la signification d'un jugement, avait sommé de l'exécuter, füt tenu de provoquer un second procès. Ne lui permettre l'itérative sommation qu'après un délai de trois ans, c'était l'exposer à ranimer par un nouveau défi des passions qu'un aussi long temps avait dù éteindre les six mois qu'on lui donnait depuis l'itérative sommation eussent été seuls un délai plus que suffisant. Quoique l'ordonnance de 1667 n'eût pas, dans la fixation des délais, établi une balance juste entre les parties, cependant c'était un grand pas vers un meilleur ordre, et il serait difficile d'expliquer comment les anciennes idées pour le délai de trente ans avaient, en plusieurs lieux, prévalu sur l'autorité de la loi. On pourrait, en toute rigueur, dire que celui qui a succombé a eu le temps de prévoir la possibilité de sa condamnation, et que le moindre délai pour appeler doit suffire.

Dans la législation romaine, le plus long délai a été de dix jours: cette règle a été adoptée avec quelques modifications dans le code prussien; elle ne conviendrait pas dans un empire aussi grand que la France. On avait trouvé une juste mesure dans la loi du 24 août 1790, qui ne permet pas de signifier l'appel d'un jugement après l'expiration de trois mois, à dater du jour de la signification à personne ou domicile. — Il n'est personne qui ne reconnaisse que ce temps suffit pour délibérer si on doit interjeter appel et pour s'y préparer. Aucune disposition de nos lois nouvelles n'a eu un assentiment plus général; elle est de nouveau consacrée dans le code de procédure.

-

4. Il n'était mention, ni dans l'ordonnance de 1667, ni dans les lois postérieures, de la manière dont l'intimé doit se pourvoir par appel, s'il croit que ses intérêts soient lésés dans le jugement. Cependant il faut, en établissant des règles sur les délais d'appel, déclarer si l'intimé sera sujet aux mêmes délais, et si la signification qu'il aurait faite du jugement, sans protestation, pourra lui être opposée.. Les délais de l'appel ont été limités pour que le sort de celui contre lequel on peut l'interjeter ne reste pas trop longtemps incertain. Ces délais fixés contre l'appelant ne sont plus à considérer en sa faveur, lorsque, par l'appel, il a remis en question ce qui avait été jugé. Dès lors le droit réciproque d'appel n'est pour l'intimé, pendant ce nouveau combat judiciaire, que celui d'une légitime défense.

Cette défense ne saurait lui être interdite, lors même qu'il aurait signifié le jugement sans protestation. C'est l'appelant qui, par son propre fait, change la position et l'intérêt de son adversaire. Le plus souvent, Les droits respectifs des parties ont été justement balancés par Ces condamnations réciproques. L'intimé qui a signifié le jugement sans protester pouvait être disposé à respecter celte intention des premiers juges; mais

pour attaquer les jugements, c'est-à-dire la tierce opposition, la requête civile et la prise à partie, et renfermait ainsi, dans un

lorsque, par l'appel, on veut rompre cet équilibre, la justice demande que, pour le maintenir, l'intimé puisse employer le même moyen.

5. On a eu encore à réparer une omission très-importante des précé dentes lois. Celle de 1790 n'avait appliqué ses dispositions sur les délais de l'appel qu'aux jugements contradictoires, sans statuer à l'égard de ceux rendus par défaut; ainsi les anciens règlements sur le délai de l'appel des jugements de cette dernière classe, n'ont point encore perdu leur empire, et, dans une partie de la France, ce délai est de trente ans. — On a dû, à l'égard de ces jugements, songer non-seulement au temps nécessaire pour l'appel, mais encore prendre des précautions particulières pour que la partie condamnée par défaut en ait connaissance. - Ce double objet à été rempli, en ordonnant que le délai pour interjeter appel des jugements par défaut sera de trois mois, à compter du jour où l'opposition ne sera plus recevable. Or, suivant une autre disposition du code, l'opposition contre les jugements rendus par défaut sera recevable pendant la huitaine, à compter du jour de la signification à l'avoué qui aurait été constitué: lorsqu'il n'y aura point eu de constitution d'avoué, l'opposition sera recevable jusqu'à l'exécution du jugement. Après avoir fait ainsi cesser toute inquiétude sur ce que les parties condamnées pourraient, par l'infidélité des huissiers, ou même par d'autres accidents, n'avoir eu aucune connaissance de la condamnation, il n'y avait plus aucune raison pour que le délai de trois mois ne courût pas à l'égard des jugements par défaut, comme à l'égard de ceux rendus contradictoirement.

6. L'ancienne législation avait admis plusieurs exceptions à la règle générale sur le délai de dix ans pour l'appel. Ce délai était double lorsqu'il s'agissait des domaines de l'Église, des hôpitaux, des colléges; il ne commençait à courir contre les mineurs que du jour de la majorité. Il est vrai que les intérêts de l'État et des établissements publics, ceux même des mineurs, ne sont que trop souvent compromis par négligence ou par infidélité: il est, à leur égard, des précautions nécessaires; mais il n'est point indispensable de leur sacrifier, par des délais trop longs, l'intérêt des citoyens qui ont à défendre des droits opposés. Le but est de s'assurer que la religion des juges soit éclairée, sans que le cours de la justice soit arrêté. On propose, à l'égard des mineurs, un nouveau moyen de sûreté, sans prolonger le délai de l'appel. Le code civil donne à la fois aux mineurs un tuteur et un subrogé tuteur. Ce dernier est chargé d'agir pour les intérêts du mineur, Jorsqu'ils sont en opposition avec ceux du tuteur. Pour que la négligence, qui souvent a des effets irréparables, ne soit plus à craindre, on exige que tout jugement sujet à l'appel soit signifié tant au tuteur qu'au subrogé tuteur, lors même que ce dernier n'aurait pas été en cause. Le subrogé tuteur n'est pas alors chargé de la défense du mineur pendant l'appel; mais il sera, comme le tuteur luimême, responsable, s'ils laissent passer le délai de trois mois depuis la signification qui leur aura été faite, sans avoir pris les mesures prescrites par la loi pour savoir si l'appel doit être interjeté, et sans l'avoir interjeté. Par le code civil, l'interdit est assimilé au mineur pour sa personne et pour ses biens.

-

7. On a d'ailleurs adopté une mesure qui mettra de plus en plus l'État, les établissements publics, les mineurs et les interdits à l'abri des surprises qui seraient faites à la justice. Ils seront admis, ainsi qu'on l'expliquerà dans la suite, se pourvoir par requête civile, lorsqu'ils n'auront point été défendus, ou lorsqu'ils ne l'auront pas été valablement.

8. Celui qui demeure hors de la France continentale, doit avoir les trois mois pour délibérer s'il appellera, et ensuite le temps nécessaire pour transmettre ses instructions: c'est celui fixé pour répondre aux ajournements.

--

9. Quant aux personnes domiciliées en France, mais absentes du territoire européen de l'empire pour un service public, l'ordonnance de 1667 s'était bornée à déclarer que les délais prescrits pour l'appel ne seraient point observés à leur égard, de manière qu'ils ne commençaient à courir contre eux que quand la cause de leur absence avait cessé. La faveur due au service public n'est point un motif suffisant pour que celui dont la cause a été trouvée juste reste ainsi dans une incertitude dont il n'y ait aucun terme. Les absents pour le service public désigné par la loi auront le temps ordinaire de trois mois, et en outre celui d'un an : c'est le délai accordé à ceux qui demeurent dans les pays les plus lointains. Il est sans doute encore à craindre que les personnes ainsi employées ne puissent pas être averties à temps; mais ce délai fùt-il plus long, l'inconvénient ne serait pas entièrement prévenu, et on ne doit pas sacrifier le bien général par la crainte d'un inconvénient très-rare.

[ocr errors]

10. On a encore à prévoir le cas où la partie condamnée décéderait pendant le délai de l'appel. Quoique les héritiers représentent le défunt, il n'en est pas moins nécessaire de leur signifier de nouveau un jugement dont ils peuvent n'avoir eu aucune connaissance personnelle, ou dont les papiers trouvés dans le domicile de ce défunt ne leur auraient découvert aucunes traces; ils ne doivent point être privés du délai que le code civil leur donne pour délibérer s'ils accepteront ou s'ils répudieront la saccession; pendant ce délai, celui de l'appel sera suspendu.-On a, d'une autre part, écarté en faveur de l'appelant une difficulté que lui faisait souvent

dans

ensemble, les liv. 3 et 4 du cod. de pr. Nous avons dù réserver | civile, de la prise à partie et de la tierce opposition, ce qui, pour les parties de notre Répertoire où il sera traité de la requête l'exposé des motifs, se rapporte à ces modes particuliers de re

éprouver l'ignorance des noms et des qualités des héritiers. Le jugement pourra leur étre signifié collectivement et sans désignation individuelle. -L'ordonnance de 1667 avait aussi exigé la signification du jugement aux héritiers, mais elle leur avait de plus accordé, pour l'appel, un délai de six mois, qui ne commençait à courir que du jour de la sommation d'appeler, et cette sommation ne pouvait être faite qu'un an après l'expiration du délai pour faire inventaire et pour délibérer : c'était une suite du système abusif de longs délais pour l'appel.

affaire devant les premiers juges et de pouvoir ensuite prendre la voie de l'appel; mais le plus souvent, et avant même que le délai de l'opposition fût expiré, on interjetait appel, sous prétexte de sortir plus promptement d'affaire ou de se soustraire à des préventions. Ce droit d'opposition est accordé par la loi comme le moyen qui doit être employé, et non pour qu'on ait le choix de prendre cette voie ou d'interjeter appel. Si le délax pour s'opposer est expiré, la loi présume que la partie condamnée n'a point été à portée ou à temps de fournir ses moyens d'opposition, et elle lui conserve encore la ressource de l'appel.

16. Après avoir établi dans quels délais et dans quels cas les appels doivent être interjetés, il fallait en expliquer les effets.

L'appel remet en question ce qui avait été décidé. Le droit de remettre en question une décision semble emporter le droit d'empêcher qu'elle ne soit exécutée. Mais, d'une autre part, l'appel ne saurait empêcher qu'il n'y ait la plus forte présomption que les premiers juges ne se sont

11. Enfin il peut arriver qu'un jugement ait été rendu sur une pièce fausse, ou qu'une partie n'eût pas été condamnée si elle eût pu représenter une pièce décisive retenue par son adversaire. La partie condamnée aurait, dans ce cas, si le jugement était en dernier ressort, la voie de la requête civile; mais lorsque le jugement est susceptible d'appel, la partie qui a profité du faux, ou retenu la pièce, s'est-elle même rendue non recevable à opposer que le délai de l'appel soit expiré. Ce temps ne devra courir que du jour où le faux aura été, soit reconnu, soit juri-point, par erreur ou autrement, écartés des règles. L'autorité de leur diquement constaté, ou du jour que la pièce aura été recouvrée. On a exigé que le jour où la pièce a été recouvrée fût constaté par écrit ; telle serait la preuve résultant d'un inventaire après décès. Il eût été contraire aux principes établis par le code civil, sur la preuve testimoniale, de faire dépendre de simples témoignages l'autorité qu'a un jugement après le délai de l'appel.

Toutes ces règles sur les délais de l'appel des jugements sont simples; elles ne nuisent à l'intérêt d'aucune des parties, et nulles dispositions du code de procédure né contribueront davantage à l'abréviation des procès.

12. La loi atteindra encore un but utile en s'opposant à un grand nombre d'appels, qui sont présumés n'avoir pour cause que le premier ressentiment qu'une condamnation fait naître. Les auteurs de la loi du 24 août 1790 ont eu, à cet égard, une idée très-heureuse, lorsqu'ils ont réglé que, pendant la première buitaine depuis le jugement, on ne pourrait ni l'exécuter ni en interjeter appel. Ils ont donné aux mouvements, qui d'abord agitent un plaideur condamné, le temps de se calmer et de le rendre à la reflexion dont il a besoin pour décider, avec sagesse, s'il exécutera le jugement ou s'il l'attaquera. — Il a seulement été indispensable d'excepter les jugements exécutoires par provision. Ces condamnations seraient le plus souvent sans effet, si l'exécution pouvait être retardée. D'un autre côté, il peut être utile à la partie condamnée de faire sur-le-champ connaitre son recours aux juges supérieurs, afin que son adversaire mette luimême plus de réflexion en faisant des poursuites dont le résultat est encore incertain.

La même loi de 1790 déclarait déchu de l'appel celui qui en avait siEnifié la déclaration avant que le délai de huitaine depuis le jugement fat expiré. Priver la partie condamnée du droit d'appeler, par le seul motif qu'avant de prendre ce parti, elle n'avait pas laissé s'écouler le temps de la réflexion, prescrit par la loi, c'était une rigueur excessive et que le code n'admet point.

13. La loi veille, non-seulement à ce qu'il n'y ait point d'appels irréfléchis, mais encore à ce qu'il n'y en ait pas de prématurés ou d'inutiles. Tels seraient les appels des jugements qui ne font que régler la procédure. Ces appels peuvent être fondés sur ce que les premiers juges auraient ordonné une procédure, ou entièrement inutile, ou trop longue, même contraire à la marche indiquée par la loi. Mais si ces moyens d'appel, ou d'autres semblables, pouvaient, avant que le jugement définitif fût rendu, être portés devant le tribunal supérieur, on verrait autant d'appels que de jugements d'instruction, et il en naitrait un désordre qu'il serait impossible d'arrêter. Il en doit être autrement lorsque les premiers juges prononcent un interlocutoire qui préjuge le fond. La partie qui, dans ce cas, se croit lésée par un jugement dont elle a les suites à redouter, ne doit point être obligée d'attendre le jugement définitif. Elle pourra également se pourvoir contre les jugements qui auraient accordé une provision.

14. Il y avait eu quelque variation dans la jurisprudence, sur le point de savoir si l'on devait se pourvoir au tribunal de cassation, ou si l'on pouvait interjeter appel, lorsqu'un jugement qualifié en dernier ressort avait été rendu par des juges qui ne pouvaient prononcer qu'en première instance, ou encore lorsqu'un jugement qualifié en premier ressort, ou n'étant point qualifié, avait pour objet une contestation sur laquelle le tribuial était compétent pour juger sans appel. Ces erreurs dans la qualifi cation du ressort ne sauraient être considérées comme abus de pouvoir; elles ne doivent pas être un obstacle au droit d'appeler, si le jugement a été mal à propos qualifié en dernier ressort de même qu'elles ne doivent pas donner le droit d'appeler, si le jugement qualifié en première instance, où non qualifié, a été rendu par un tribunal dont le devoir était de juger en dernier ressort.

15. L'ordonnance de 1667 n'avait donné le droit de s'opposer dans le délai de buitaine aux jugements par défaut, que dans le cas où la partie Condamnée en dernier ressort n'avait plus la ressource de l'appel. Mais Tusage de la plupart des tribunaux de France avait étendu même aux jugements par défaut susceptibles d'appel la faculté de s'y opposer. On avait justement pensé qu'il était plus utile aux deux parties d'instruire leur

En

jugement ne cesse entièrement que dans le cas où il est infirmé. vain celui qui l'a obtenu invoquerait-il cette autorité, si l'appelant pouvait, en suspendant l'exécution, rendre moins efficace, ou même inutile, la confirmation du jugement.

La conséquence de ces réflexions a été de régler que l'appel est en général suspensif, mais qu'il n'est que dévolutif dans le cas où, par le motif que l'on vient d'énoncer, l'exécution provisoire est prononcée.

17. Il avait été formellement défendu par l'ordonnance de 1667, aux cours supérieures, et mème aux parlements, d'enfreindre les règles qu'elle établissait concernant l'exécution des jugements; mais bientôt on cessa de les respecter. Les premiers juges, sous le prétexte qu'ils étaient forts de leur conscience sur la bonté de leur jugement, étaient disposés à en ordonner l'exécution provisoire; et les juges supérieurs se rendaient, dans l'exercice de leur autorité, trop faciles à suspendre l'effet des jugements qui leur étaient soumis. Dans ce conflit et dans cette confusion de pouvoirs, chaque partic faisait des efforts ruineux pour obtenir l'exécution provisoire ou la suspension.

Nous sommes loin de ces temps où les magistrats des cours souveraines, participant à l'autorité législative, croyaient aussi être revêtus d'un pouvoir illimité dans la distribution de la justice. Il suffira pour nos magistrats actuels, qui s'honorent d'être les plus scrupuleux observateurs des règles, de leur exposer celles que le bien public a dictées, pour que ces règles deviennent leur devoir le plus cher et le plus sacré. Le code actuel fait connaître les cas où l'exécution provisoire peut être, soit prononcée, soit suspendue: il simplifie les formes de procéder devant les juges d'appel relativement à cette exécution; s'ils la suspendent sans y être autorisés, leurs jugements seront nuls.

18. Après avoir réglé les delais et les effets de l'appel, le code en prescrit les formalités et la procédure nécessaire pour l'instruction. Il eût été difficile d'imaginer une marche plus facile et plus prompte. On oubliera jusqu'aux noms de ces formalités dispendieuses sans avoir jamais été utiles, et qui consistaient à relever l'appel après l'avoir déclaré; à demander que, faute de l'avoir relevé dans le temps prescrit, il fût déclaré désert; à faire convertir en anticipation la demande en désertion. L'appel sera déclaré par un exploit dans la forme ordinaire et contenant assignation de l'intimé dans les délais de la loi. · Cependant cet exploit n'est point un acte de simple procédure qu'il suffise de signifier un avoué, c'est un nouveau combat judiciaire que l'appelant engage: le signification doit être faite à personne ou domicile.

19. Devant les juges d'appel, comme devant les premier juges, toutes les affaires doivent être portées à l'audience. Il arrivera souvent que, dans le cas même où les premiers juges auront prononcé sur une instruction par écrit, l'affaire portée devant les juges d'appel se trouvera, ou assez éclaircie, ou réduite à des points assez simples pour être terminée à l'au dience. L'un des abus que l'on reprochait le plus dans l'ancienne procédure était la multiplicité des appels avec instruction par écrit.

20. Dans tous les cas, les écritures qui précéderont l'audience se réduiront à celles qui ont été regardées comme indispensables. Dans la huitaine de la constitution d'avoué par l'intimé, l'appelant signifiera ses griefs contre le jugement. L'intimé répondra dans la huitaine suivante. Toute autre procédure est défendue. La loi a manifesté son intention quo ces écritures soient réduites à ce qui est de nécessité absolue, en ne donnant que de très-brefs délais pour les fournir.

21. Si l'appel n'a pour objet qu'une matière sommaire, ou si, dans les autres affaires, l'intimé n'a pas, sur l'appel, constitué d'avoué, il suffit que les griefs soient exposés à l'audience; toute écriture est inutile.

22. On peut sans doute, devant les juges d'appel, réparer les omissions faites dans l'instruction devant les premiers juges; mais, soit que l'appel ait été porté à l'audience, soit qu'une instruction par écrit ait été ordonnée, toute pièce d'écriture qui ne sera que la répétition de celles fournies, soit en première instance, soit sur l'appel, ne passera point en taxe.Si le même écrit contient à la fois de nouveaux moyens ou exceptions, et la répétition des anciens, on n'allouera en taxe que la partie relative à ce

cours. Une plus grande réserve nous a été commandée, en ce qui concerne les matières qui, quoique comprises dans le titre de J'Appel, seront cependant traitées dans des articles séparés: telles sont les demandes nouvelles, l'intervention, la procédure sur l'exécution, l'évocation, etc. Il ne nous a pas été permis de scinder l'exposé des motifs et d'en retrancher tout ce qui se réfère à ces matières, pas plus qu'il ne nous serait permis de les retrancher

Qui est nouvellement exposé. Il était impossible que la loi prit plus de récautions contre les écritures inutiles. Son observation dépendra sans doute de la vigilance des magistrats; mais on aura pour garantie le devoir qui leur est imposé et la crainte qu'ils auront d'être regardés comme fauteurs des abus.

23. Cette simplicité, cette brièveté dans l'instruction devant les juges d'appel, était d'autant plus convenable, qu'ils n'ont à prononcer que sur les points jugés en premier ressort. Aucune nouvelle demande n'est admise, à moins qu'il ne s'agisse de compensation, ou que la demande nouvelle ne soit la défense à l'action principale. On ne regarde point comme demande nouvelle tout ce qui n'est que l'accessoire; tels sont les intérêts, les arrérages, les loyers échus depuis le jugement de première instance, ou les dommages et intérêts pour le préjudice souffert depuis ce jugement. Mais, par le motif même que ces demandes sont regardées comme dépendant de la contestation portée devant les juges d'appel, elles ne pourront servir de prétexte à des écritures. On ne devra les exposer que par de simples actes de conclusions motivées; il en sera de mème dans les cas où les parties voudraient changer ou modifier leurs conclusions.

24. L'appel ne devant avoir pour objet que la contestation jugée, aucune intervention ne doit être admise, si ce n'est de la part de ceux qui n'auraient point été appelés comme parties devant les premiers juges, et qui, par ce motif, auraient droit de former une tierce opposition au jugement qui sera rendu. - - C'est dans ces limites que doivent être resserrés les objets de l'appel. 25. Il se termine par un jugement ou par un désistement que fait présumer une longue inaction. S'il y a jugement, la loi règle qu'il sera rendu à la majorité des voix, et elle prévoit la difficulté qui s'éleverait s'il se formait plus de deux opinions, ou s'il y avait partage. Dans le premier cas, elle indique comment les juges doivent se réunir pour qu'il n'y ait plus que deux opinions, entre lesquelles le plus grand nombre de voix prévale; et, s'il y a partage, on appellera, pour le vider, un ou plusieurs juges n'ayant pas connu de l'affaire. L'ordre du tableau qui devra être suivi écarte toute idée d'arbitraire les nouveaux juges doivent être en nombre impair, pour éviter un nouveau partage; enfin, dans le cas où tous les juges auraient connu de l'affaire, trois anciens jurisconsultes seront appelés.

26. La péremption sera acquise en cause d'appel dans les mêmes délais et suivant les mêmes formes que devant les premiers juges. Il y a seulement une différence entre les effets de la péremption en première instance, et les effets de la péremption sur appel.- En première instance, la procédure est éteinte mais non l'action, à moins qu'elle ne soit prescrite ou autrement anéantie.- Lorsque sur l'appel du jugement il y a péremption, la partie condamnée est, par sa longue inaction, censée avoir renoncé à son appel, et dès lors le jugement rendu en première instance acquiert la force de la chose jugéc.

27. Il n'était pas besoin de spécifier les autres cas où un jugement aura la force de la chose jugée; il resulte évidemment des dispositions du code que tout jugement en premier ou en dernier ressort a cette force, lorsqu'il n'est point encore attaqué ou lorsqu'il ne peut plus l'être. L'énumération que présente l'art. 5 du titre 27 de l'ordonnance de 1667 serait incomplète, ou au moins elle laisserait encore à désirer beaucoup d'explications.

28. Les autres règles établies pour l'instruction devant les tribunaux inférieurs seront observées devant les juges d'appel.

29. On a toujours regardé comme nécessaire de réprimer, par des amendes, les divers recours exercés contre les jugements, lorsque ces recours sont dénués de moyens légitimes.

50. La procédure pour l'exécution des jugements, après que, sur l'appel, ils ont été confirmés ou infirmés, exige des règles plus précises que celles suivies jusqu'à présent. Dans une partie de la France, l'exécution restait au tribunal qui avait prononcé sur l'appel; dans d'autres, le renvoi pour l'exécution se faisait aux premiers juges; dans d'autres, enfin, il dépendait de la volonté des juges d'appel de renvoyer ou de retenir.- On propose à cet égard un mode uniforme.

[ocr errors]

Si le jugement est confirmé, il n'y a pas de raison pour que la circonsance d'un appel rejeté dépouille le tribunal de première instance du droit qu'il aurait eu, sans cet appel, d'exécuter son jugement. Tel est aussi l'intérêt des parties dont le domicile et les biens sont presque toujours plus voisins du lieu où siége ce tribunal. - Si le jugement est infirmé, la loi s'en rapporte à la sagesse des cours d'appel, qui retiendront l'exécution ou indiqueront un autre tribunal dans lequel il serait plus facile et moins dispendicux d'exercer les poursuites. Si, dans le cours de ces poursuites, il y a des demandes en nullité d'emprisonnement ou en expropriation for

dans le texte de la loi qui les règle au titre de l'Appel. Nous nous bornerons donc à y renvoyer lorsque nous traiterons de l'évocation, de l'exécution, des demandes nouvelles, de l'intervention, etc. 101. La discussion de la loi s'établit ensuite au tribunat, qui admit le projet et chargea trois de ses membres de présenter le vœu d'adoption au Corps législatif. L'un de ces membres, le tribun Albisson, fit le rapport a la séance du 17 avril 1806 (1). Nous

cée, il faudra, dans ces cas et dans les autres pour lesquels il y a une juridiction déterminée, soit par le code actuel, soit par le code civil, s'y

conformer.

31. Dans la nouvelle organisation judiciaire, on ne regarde plus la juridiction d'un tribunal comme une sorte de patrimoine, et rien ne s'oppose à ce que le droit de juger soit attribué ou modifié suivant l'intérêt des parties. L'ordonnance de 1667 avait défendu à tous juges d'évoquer les procès pendants aux tribunaux inférieurs, sous prétexte d'appel ou de connexité, si ce n'était pour juger définitivement en l'audience et sur-lechamp, par un seul et même jugement. Alors l'appel était reçu de tous les actes d'instruction: ainsi presque toutes les causes pouvaient être évoquées avant même qu'elles fussent instruites, et la disposition qui ordonnait de juger à l'audience et sur-le-champ était sans cesse et impunément violée.

Avant le jugement définitif, il ne sera plus permis d'appeler que des jugements interlocutoires qui auraient préjugé le fond. Dans le cas où le jugement interlocutoire serait infirmé, et où la matière serait disposée à recevoir un jugement définitif, les juges d'appel pourront le prononcer. La loi s'en rapporte à leur sagesse pour décider si, dans ce cas, il ne serait pas inutile, s'il ne serait même pas préjudiciable aux parties de leur faire encore parcourir deux degrés de juridiction.

Il en doit être ainsi, et à plus forte raison lorsque des jugements d'appel infirment des jugements définitifs, soit pour vice de forme, soit pour toute autre cause, et que la matière est réellement disposée à recevoir une décision définitive, puisque, dans ce cas, les premiers juges ayant prononcé sur le fond, déjà deux degrés de juridiction ont été remplis.

(1) Rapport fait au corps législatif par le tribun Albisson, l'un des orateurs chargés de présenter le vœu du tribunat sur la loi relative à la procédure devant les tribunaux d'appel et aux voies extraordinaires pour attaquer les jugements (séance du 17 avril 1806).

Messieurs,

:

32. Vous avez sanctionné ces jours derniers par vos suffrages les deux premiers livres de la première partie du projet de code de la procédure civile. Vous avez par là réglé, simplifié et accéléré la marche de l'instruction dans les tribunaux inférieurs, sans lui rien faire perdre de ce qui peut garantir aux citoyens la conservation de leurs droits et de leurs propriétés, aux juges le maintien de leur dignité, aux uns et aux autres la consolation de n'avoir plus à subir ou à rendre que des jugements délibérés en pleine connaissance de cause. Mais les juges et les plaideurs sont des hommes tous peuvent se tromper ou être trompés; et, dans la vaste carrière sociale, le croisement perpétuel et la collision hostile des passions humaines ouvrent chaque jour de nouveaux sentiers aux nombreuses divagations de l'erreur. L'institution salutaire d'un ordre biérarchique dans l'organisation du pouvoir judiciaire, est le fruit de cette triste expérience; et, comme toujours et partout les hommes réunis en société sont en butte aux mêmes passions, on trouve dans tous les temps et chez toutes les nations policées des tribunaux établis pour écouter les plaideurs qui ont ou croient avoir à se plaindre d'un jugement, et pour prononcer sur la justice ou la témérité de leur recours.

Tel est aussi l'objet des troisième et quatrième livres de la première partie du code de procédure, dont j'ai, messieurs, à vous entretenir, en vous exposant les motifs du vote d'adoption que la section de législation du tribunat m'a chargé de vous présenter. Le troisième livre traite de la voie ordinaire de l'appel, et de l'instruction relative à ce premier moyen de recours. Le quatrième, des voies extraordinaires pour attaquer les jugements, savoir la tierce opposition, la requête civile et la prise à partie. Je parcourrai successivement ces quatre moyens, en me bornant à remarquer les innovations, compléments, retranchements et améliorations qui distingueront le nouveau code de l'ancien ordre de procédur dont chacun de vous est parfaitement instruit.

De l'appel et de l'instruction sur l'appel.

33. Le remède de l'appel a été introduit, non-seulement pour corriger les erreurs ou la partialité des premiers juges, mais aussi pour réparer les erreurs ou les omissions des parties et de leurs défenseurs.- J'écarte tout ce qui a trait aux usages des Romains sur les appels. Leur procédure, à cet égard surtout, a tellement varié dans les divers changements qu'ont subis parmi eux l'ordre judiciaire et la hiérarchie des tribunaux, qu'on n'en saurait tirer aucune lumière bien utile pour la marche de la nôtre.Remarquons cependant l'importance qu'ils attachaient à ce dernier acte de la justice distributive, et jugeons-en par la quantité de titres qui y sont affectés nominativement dans le Digeste, le Code ou les Novelles; on y en

« PreviousContinue »