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la mort, et par cette même main qui le faisoit régner si glorieusement, et en un temps auquel il sembloit être si nécessaire à l'état; au moment qu'il étoit prêt de donner la perfection à ce grand ouvrage de la paix, et de faire joüir ses peuples des fruits de tous ses travaux. Il y auroit grand sujet de penser que nos fautes l'ont ravi, si l'on ne pouvoit encore plus justement croire que Dieu n'a pas voulu laisser ce prince si religieux sur la terre, et qu'il l'a voulu tirer dans de ciel pour récompenser sa piété, par un échange avantageux d'une couronne temporelle à celle de l'immortalité. Mais si Dieu nous a voulu abattre d'une main, et plonger dans des excès de douleur, il nous a relevés de l'autre en nous donnant en la place du feu roy un prince qui sera digne successeur de la couronne et de la gloire de son père.

«Il sera élevé sous le soin de cette grande princesse sa mère, qui sçaura bien cultiver les semences des vertus que la nature a mises en lui: elle formera son enfance et le cours de sa jeunesse par de si beaux enseignemens, que chacun connoîtra qu'aux princes bien nourris et bien instituez, la vertu n'est point attachée aux années. La reine apporte tant de grandes qualitez, et de si éminentes vertus au gouvernement qu'elle prend du roy son fils et du royaume, qu'elle rendra le jugement du roy défunt glorieux, et les effets qui en naîtront seconderont ou plutôt surmonteront l'attente publique. Sa piété singulière attirera sur l'état les bénédictions du ciel, Dieu fortifiera son cœur, l'assistera de son esprit, bénira ses desseins en la conduite du royaume, et parmi l'amertume de ses larmes lui donnera cette consolation de voir renaître le défont roy en la personne du roy son fils. Elle le verrá croître heureusement et saintement sous ses sages instructions; et son règne qui commencera par l'innocence de son âge, sera un règne de piété, de justice et de paix. Nous avons donc tout sujet de désirer que cette grande princesse prenne la régence en main, 'pour la conduite et gouvernement de cette monarchie: mais avec cette puissance et liberté entière, sagement proposée par Monsieur, oncle du roy, qui est secondé de l'avis de monsieur le prince de Condé, premier prince du sang.

« L'autorité de cette vertueuse et sage princesse ne sçauroit être trop grande, puisqu'elle se trouve entre les mains de la vertu même : c'est le bonheur des monarchies, que ceux qui

les commandent soient tous libres quand ils sont tous bienfaisans. Sa sage et généreuse conduite fera voir qu'elle est digne épouse de ce grand prince que nous avons perdu, mère du roy, et régente de la première monarchie de l'Europe. »

Et après ces paroles, se tournant vers les gens du roy, et les excitant de parler, maître Omer Talon avocat dudit seigneur, a dit : « Sire, votre Majesté séante la première fois en son lit de justice, assistée de la reine sa mère, de monsieur le duc d'Orléans son oncle, de messieurs les princes de son sang et de tous les grands officiers de la couronne, prenant possession publique du trône de ses ancêtres, fait connoître à tous les peuples, que la sagesse et bonne conduite des princes, que l'Ecritüre appelle le lien et la ceinture de la royauté, ne consiste pas seulement dans une puissance absoluë et une autorité souveraine, avec laquelle l'on les conseille de se faire craindre et obeïr mais dans une lumière et majesté qui les environne, que Dieu leur communique, capable de produire du respect et de l'amour dans l'ame de leurs sujets, imprimant une particulière grâce et vénération dans toutes leurs actions; c'est une onction secrète, un caractère qui les distingue du reste des hommes, qui charme nos esprits, et flatte nos affections. Car bien que la providence du ciel n'a point de différence ni de degrez dans elle-même, étant infinie et sans mesure: elle paroît pourtant inégale dans ses effets, plus grande à l'endroit des roys, qu'elle n'est dans l'esprit des particuliers.

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. Que si la pensée de Synésius est raisonnable, que nous pou vons comparer le soin que Dieu prend des royaumes au mouvement extérieur qui est produit dans une roue qui tourne aussi long-temps que dure la violence de l'action qu'elle a reçuë, mais a besoin d'une nouvelle agitation pour commencer un nouveau travail : les princes souverains qui sont établis sur la terre pour le gouvernement des peuples, reçoivent tout à coup de la main de Dieu les lumières et les connoissances nécessaires pour la conduite de leurs estats, lesquelles s'éteignent par le décès de celui auquel elles sont communiquées. Ainsi le génie de la France s'est retiré avec notre prince, et après avoir été assis trente-trois années sur le trône des fleurs de lys, aussi longtemps que David régna sur tout Israël, sa justice, sa piété et sa bonne fortune nous ont abandonnés au même moment qu'elles nous avoient été données, semblable à Auguste qui mourut le même jour qu'il avoit été appelé à l'empire.

« Et nous serions malheureux, dans une désolation et une juste crainte de toute sorte de fâcheux événemens, si nous n'étions assurez que l'ange protecteur du royaume obtiendra de la bonté divine une nouvelle influence, une vertu particulière, une assistance favorable pour fortifier avec l'àge le cœur de votre Majesté, lui donnant des inclinations généreuses, et des mouvemens de justice dans son temps pour la conservation de ses peuples, et à même temps inspirer les conseils et les résolutions nécessaires à la reine votre mère, ajouter à sa vertu et aux inclinations naturelles qu'elle a toujours eu de bien faire à tout le monde, l'esprit de gouvernement pour essuyer ses larmes, et dans l'excès de sa douleur, s'appliquer aux soins des affaires et au soulagement du pauvre peuple, qui sont les exercices véritables de la piété, dont elle a toujours fait profession.

<< Ce sont, Sire, les souhaits de tous les ordres de votre royaume, lesquels prosternez devant le siége de votre Majesté, qui nous représente le trône du Dieu vivant, la supplient de considérer que l'honneur et le respect qu'ils lui rendent, comme à une divinité visible, n'est pas seulement le témoignage de leur obéissance, mais la marque de la dignité royale, qui est à dire en effet, la manière dont elle se doit conduire à l'endroit de ses sujets qui réclament sa protection. Les personnes des souverains sont sacrées, d'autant qu'elles conservent leurs peuples et leurs états. Toutes les pensées de Dieu et des rois sont de bien faire. Et quoique la grandeur de la divinité soit d'être auteur de la nature, et que sa puissance paroisse dans l'ouvrage admirable de ses mains, sa bonté n'est pas moins grande dans l'œconomie et la conservation de l'univers, lorsque, remplissant toutes choses par sa propre vertu, il satisfait à toutes les nécessitez des particuliers.

« Nous souhaitons, Sire, à votre Majesté, avec la couronne de ses ancêtres, l'héritage de leurs vertus, la clémence et la débonnaireté du roy Henry le Grand votre ayeul, la piété, la justice et la religion du défunt roy votre père, que vos armes soient victo rieuses et invincibles : mais outre ces titres magnifiques, les qualités d'anguste et de conquérant, soyez, Sire, dans vos jeunes années le père de vos peuples, qu'ils trouvent quelque soulage ment dans l'extrémité de leurs misères, et donnant à la France ce qui vaut mieux que des victoires, puissiez vous être le prince de la paix. Au milieu de ces vœux et de ces espérances, recevez, Sire, s'il vous plaît, toutes les bénédictions du ciel, et les acclamations publiques de la terre. Que nos jours soient diminuez

pour augmenter vos années, et que tout le bonheur du royaume s'assemble sur la tête de votre Majesté.

• Quant à nous, Sire, qui comme vos gens et plus particuliers officiers, n'avons ni pensées ni paroles qui ne soyent toutes royales, et qui n'aboutissent au service de votre Majesté, nous la supplions les genoux en terre, et les mains jointes, d'aimer son parlement, dans lequel réside le dépôt sacré de la justice, l'image de la fidélité et de l'obéissance la plus parfaite, et de vouloir considérer que Dieu se dispense rarement des ordres ordinaires de la nature, bien qu'il en soit l'auteur. Il est vrai que les prophètes et les premiers hommes justes ont opéré quelquefois des merveilles pour la punition des crimes, pour confondre l'infidélité; mais il ne se trouvera point que le fils de Dieu ait jamais fait de miracles que pour l'utilité publique ou particulière des hommes, ausquels il a révélé sa gloire et manifesté sa puissance. Ainsi les souverains qui doivent à Dieu ce que nous devons à leurs personnes, le compte de nos actions, sont obligez d'être infiniment retenus dans toutes sortes de nouveautez contraires aux lois auciennes et ordinaires de l'état, qui sont les fondemens de la monarchie leur réputation y est engagée dans l'esprit de leurs peuples et l'estime des étrangers.

Permettez-nous, Sire, d'adresser dans ce moment notre voix à la reine votre mère, et de faire la même supplication de vouloir insinuer ces pensées à votre Majesté, dans vos plus jeunes années, et l'élever dans ces inclinations de bonté pour les peuples, nous l'en conjurous au nom de tous les ordres du royaume, par les sentimens de sa piété, par le titre auguste de régepte, duquel elle prend aujourd'hui possession toute libre pour le bien de l'état, pour maintenir par autorité l'union dans le royaume, effacer toute sorte de jalousie, de factions, et de partis, qui naissent facilement quand la puissance est divisée.

« Nous sçavons bien que le conseil, qui est la source de la sagesse, est aussi l'ame et le nerf du gouvernement; et que dans la minorité de nos roys, les princes du sang, et les grands officiers de la couronne, sont conseil-né de la régence, avec cette différence pourtant, que les uns y sont appelez par naissance, et les autres par élections: mais le conseil doit être libre, agissant par persuasion et non pas par nécessité, puisque, selon les maximes de la meilleure politique, le jugement de ceux qui commandent doit être l'arbitre de l'esprit et des pensées de ceux qui consultent. Toutes les précautions contraires à cette liberté, les clauses déro

geantes aux principes et à l'unité de la monarchie, nuisent non seulement au secret des affaires, et retardent la promptitude de l'exécution, mais peuvent être des occasions de division, et des empêchemens de bien faire. Pour cela nous honorons la générosité et la prévoyance de nos princes, et les remercions au nom de l'état, de la bonté qu'ils ont euë de renoncer à toutes les clauses de la dernière déclaration (1), que la nécessité du temps avoit établies, que nous avons consenties avec douleur, et que l'obéissance seule du parlement avoit vérifiées. Mais ce qui sera fait aujourd'hui conservera au roy son autorité toute entière, sans dépendance ni participation quelconque, à la reine son pouvoir légitime.

Cette confiance publique qui l'obligera de redoubler ses soius pour satisfaire aux espérances que toute la France a conçues de son gouvernement, qui comblera M. le duc d'Orléans, onele de sa Majesté, et M. le prince de Condé, premier prince du sang, de toutes sortes de bénédictions, d'avoir préféré le salut de l'état aux considérations et avantages particuliers que cette déclaration leur donnoit en apparence. Ainsi faisant réflexion sur ce silence public, que nos paroles ne méritent pas, mais la matière laquelle nous traitons; nous requérons pour le roy, que la reine mère du roy soit déclarée régente dans le royaume, conformé ment à la volonté du roy défunt, pour avoir le soin de l'éducation de la personne de sa Majesté, et l'administration entière des affaires pendant sa minorité. Que le duc d'Orléans son oncle soit lieutenant général dans toutes les provinces du royaume, sous l'autorité de la reine, et chef des conseils, sous la même autorité : et en son absence le prince de Condé, premier prince du sang, demeurant au pouvoir de la reine de faire choix de telles personnes que bon lui semblera, pour délibérer ausdits conseils sur les affaires qui leur seront proposées, sans être obli gée de suivre la pluralité des voix. »

Après quoi ledit sieur chancelier est remonté vers ledit seigueur roy, eta mis le genouil en terre pour prendre son avis par la bouche de ladite dame reine, qui s'est excusée de dire,son sentiment, n'en ayant point d'autre que la résolution qui seroit prise par la compagnie. De sorte que ledit sieur chancelier étant retourné en sa place ordinaire, et demandé les avis, le duc d'Orléans oncle du roy, a dit que les clauses insérées dans la der,

(1) Du so avril. V. la note p. 5.

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